Définition du mot: APPRÉHENSION2, substantif féminin. A.— Au singulier. [Avec un complément prépositionnel de, indiquant ce qu'on appréhende] Appréhension de quelque chose. Fait d'appréhender, d'envisager avec inquiétude une chose imminente (confer appréhender2 ) : Ø 1. L'autre, non moins naïf, s'étonne, trouve que partout tout est tranquille, et demande de quoi on s'inquiète. Celui-là certes n'a point de place, et ne va pas chez les ministres; car il y verrait que le monde (le monde, comme vous savez, ce sont les gens à places), bien loin d'être tranquille, est au contraire fort troublé par l'appréhension du plus grand de tous les désastres, la diminution du budget, dont le monde en effet est menacé, si le gouvernement n'y apporte remède. PAUL-LOUIS COURIER, Pamphlets politiques, lettres au rédacteur du "Censeur", 1819-20, page 38. Ø 2. Il lui donna la main. Elle la saisit et la serra, à le faire crier. Ils jouèrent, comme deux paysans, à se faire le plus de mal possible. Ils étaient heureux, sans arrière-pensée. Tout le reste du monde, les chaînes de leur vie, les tristesses du passé, l'appréhension de l'avenir, l'orage qui s'amassait en eux, tout avait disparu. ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Le Buisson ardent, 1911, page 1373. B.— Au singulier ou au pluriel (à valeur intensive) [Avec un complément prépositionnel de ou un adjectif possessif indiquant la personne qui appréhende] Appréhension de quelqu'un.. État d'une personne qui appréhende : Ø 3. Chaque soir, en s'endormant, elle revoyait la physionomie de Montriveau sous un aspect différent. Tantôt son sourire amer; tantôt la contraction jupitérienne de ses sourcils, son regard de lion, ou quelque hautain mouvement d'épaules, le lui faisaient terrible. Le lendemain, la carte lui semblait couverte de sang. Elle vivait agitée par ce nom, plus qu'elle ne l'avait été par l'amant fougueux, opiniâtre, exigeant Puis ses appréhensions grandissaient encore dans le silence, elle était obligée de se préparer, sans secours étranger, à une lutte horrible dont il ne lui était pas permis de parler. Cette âme, fière et dure, était plus sensible aux titillations de la haine qu'elle ne l'avait été naguère aux caresses de l'amour. HONORÉ DE BALZAC, La Duchesse de Langeais, 1834, page 290. Ø 4. On ne juge pas mieux l'événement de près que de loin. En France, la veille du jour où la Révolution va éclater, on n'a encore aucune idée précise sur ce qu'elle va faire. Parmi la foule des cahiers, je n'en trouve que deux où se montre une certaine appréhension du peuple. Ce qu'on redoute, c'est la prépondérance que doit conserver le pouvoir royal, la cour, comme on l'appelle encore. ALEXIS DE TOCQUEVILLE, L'Ancien Régime et la Révolution. 1856, page 59. — Emploi absolu : Ø 5. Toute ascension, toute entreprise, toute création me font peur maintenant Je ne puis plus rien oser, aventurer, tenter. La paresse le dispute à l'appréhension. HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime, 1866, page 381. SYNTAXE : Appréhension irréfléchie, irraisonnée; vague, obscure; soudaine, subite; objective, légitime, fondée; aiguë, extrême, violente, douloureuse, cruelle. Légère, confuse, sourde, secrète appréhension; forte, terrible, grande, vive appréhension; noire, sinistre, affreuse, mortelle appréhension; sans aucune appréhension. Une sorte d'appréhension; appréhension de l'inconnu. Avoir, éprouver de l'appréhension, être dans l'appréhension, causer de l'appréhension, attendre avec (une certaine) appréhension; justifier, confirmer les appréhensions de quelqu'un. C.— Locution. Avoir une appréhension : Ø 6. Voici la rue des Saints-Pères. J'approche de mon logis avec cette appréhension qu'on a en se rendant chez un dentiste. Toutes les fenêtres sont sombres. On dort sans doute. GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, La Patronne, 1884, page 696. — Avoir une certaine appréhension de + substantif : Ø 7.... comme je demande à Daudet si son traité était complètement arrêté pour son futur roman avec Lemerre, il me répond : « Oui et non », ajoutant : « Au fond, j'ai une certaine appréhension superstitieuse du définitif... » EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1887, page 711. — Avoir comme une appréhension : Ø 8. Pourtant elle avait comme une appréhension en s'y rendant, un pressentiment secret qui lui disait de retourner. ÉMILE MOSELLY, Terres lorraines, 1907, page 94. · Avoir comme une (vague) appréhension de + infinitif : Ø 9.... il y a des instants où j'ai comme une vague appréhension de les voir [ces dames] me sauter au cou!... SIBYLLE-GABRIELLE-MARIE-ANTOINETTE DE RIQUETTI DE MIRABEAU, COMTESSE DE MARTEL DE JANVILLE, DITE GYP, Le 13e, 1894, page 194. Remarque : Même vague, il s'agit toujours d'une appréhension déterminée, relevant du domaine du « un certain » (quidam en latin). — (Avoir l') appréhension que + subjonctif. · [On appréhende la survenance de quelque chose] Généralement : appréhension que + négation ne + subjonctif. Dans l'appréhension qu'il a qu'on ne le trompe (Dictionnaire de l'Académie française. 1835-1932). Remarque : Dans l'exemple suivant, la substitution de l'indicatif (futur proche) à la construction ne + subjonctif marque la quasi-certitude de voir se réaliser l'événement appréhendé : Ø 10. Ennui, toute la journée, de l'appréhension que la princesse va me demander le nom du dîneur auquel Mlle. Abbatucci a parlé chez Mme. Gallaup, demande faite hier par la princesse dans une lettre à Mlle. Zeller. EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1891, page 102. · [On appréhende la non-survenance de quelque chose] Appréhension que + négation ne... pas + subjonctif : Ø 11. Pas un mot dans une feuille quelconque sur mon Journal paru depuis huit jours, et l'appréhension que ma pièce retirée du Gymnase ne soit pas reçue par Antoine. EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1892, page 204. STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 593. Fréquence relative littéraire : XIXe. siècle : a) 313, b) 793; XXe. siècle : a) 947, b) 1 259.
