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dérouler, pétrifiée.

Publié le 06/01/2014

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dérouler, pétrifiée. Elle m'avait dit alors, Yona signifie « colombe » en hébreu. Yona m'avait dévisagé avant de dire, Pourquoi êtes-vous ici, en Israël ? J'avais souri et répondu, Attendez que je vous le dise. Ce soir-là, j'ai appelé ma mère du Hilton et je lui ai raconté ce qui s'était passé. Comme moi, elle était sidérée, presque en larmes. Yona geblonah, l'appelait mon père ! a dit ma mère, émue comme elle l'était toujours lorsque quelque chose ravivait ses souvenirs de mon grandpère. Et pourtant Yona avait paru curieusement détachée vis-à-vis d'une coïncidence qui me paraissait incroyable. Alors que nous en reparlions le lendemain, en marchant le long de la promenade, c'était de nouveau comme si elle s'était un peu attendue à ce qu'une chose de ce genre se produise. La forte brise hachait ses mots. En fait, a-t-elle dit de sa voix très sourde, Israël est un... Pays de miracles ? ai-je dit, en ne plaisantant qu'à moitié, pensant à ce qu'avait dit avec fierté Shlomo, alors que nous quittions Beer Sheva. Yona m'a regardé, avec son adorable sourire, un peu penché, un peu mélancolique. Non, c'est simplement un petit pays, c'est tout. Vous seriez surpris. Des choses comme celle-ci peuvent se produire ici. Nous avons marché pendant un moment et nous avons finalement trouvé un petit restaurant banal où nous asseoir, face à la mer. L'eau était parsemée de petites crêtes blanches. Elle a commandé une bricole ; j'ai commandé une salade et un Coca Light. C'est tout ce que vous prenez ? a-t-elle demandé, en me jetant un regard qui était à la fois curieux et amusé. Il faut manger plus que ça ! Vous ne mangez rien ! J'ai souri et secoué la tête. Nous avons commencé à parler de l'histoire de nos familles. Elle m'avait dit qu'elle avait beaucoup de choses à raconter sur les Jäger de Bolechow. Comme j'avais entendu l'histoire de la façon dont elle avait été nommée, je lui ai demandé si elle avait entendu dire des choses à propos de la personnalité de mon arrière-grand-mère Taube - quelque chose de vraiment particulier, ai-je dit. Oh, c'était une personlikhkayt, une personnalité, une femme très bonne, a répondu Yona au bout d'une minute, essayant de se souvenir de ce qu'elle avait pu entendre dire par ses parents. Elle était tellement honnête, tellement... bonne. Bon, me suis-je dit, à quoi est-ce que je m'attendais ? Elle était morte des années avant la naissance de Yona. Et puis, que peut-on vraiment dire à propos de qui que ce soit ? Elle était tellement bonne, elle avait de si jolies jambes. Il est mort pour elle. Pour mes parents, votre grand-père, c'était quelque chose de spécial, a poursuivi Yona. Mes parents avaient l'habitude de dire, Avrumche, ce n'est pas un ami, c'est comme un frère. J'avais tellement l'habitude de penser à mon grand-père comme à un Jäger avant tout, membre puis chef de cette famille compliquée, angoissée, portée au drame et marquée par la tragédie, que j'ai été un peu choqué d'entendre qu'il avait eu des amis intimes, qu'il avait eu des relations avec des gens en dehors de sa famille, des amis à qui il avait inspiré une telle loyauté et une telle affection. Yona hochait la tête. De nos jours, on ne peut pas comprendre une amitié de ce genre, a-t-elle dit en fixant son regard sur moi. J'ai approuvé de la tête. Même si je ne savais pas très bien ce qu'elle voulait dire, je n'étais pas surpris d'entendre que les amitiés de Bolechow, les amitiés forgées au cours d'une civilisation perdue dans un empire disparu avant même qu'ait commencé la Première Guerre mondiale, étaient, comme tout le reste à Bolechow, irrémédiables. Soudain, elle a souri. Votre grand-père était un vitzer. Vous savez ce que c'est qu'un vitzer ? J'ai approuvé de la tête à nouveau. Je savais. Un homme qui sait raconter une plaisanterie, quelqu'un qui sait comment tourner une histoire drôle. J'ai pensé à ma tante Ida qui avait fait pipi sur elle, lors de Thanksgiving, il y a cinquante ans. J'ai pensé à la façon dont ma grand-mère aurait dit, Oh, Abie ! Votre famille vivait dans Schustergasse, a-t-elle dit. Rue du Cordonnier. Ce détail m'intéressait. J'étais allé voir la maison, mais je ne savais pas alors comment s'appelait la rue. schustergasse, ai-je noté au dos d'un dessous-de-verre en carton. Elle m'a jeté un regard inquiet. Vous prenez des notes ? J'ai hoché la tête. C'est pour l'histoire de la famille ! Il y a quelque chose dans la douceur de sa voix qui était un peu sur la défensive, ai-je pensé. Elle tient à sa vie privée. Elle a fait une grimace, mais elle a continué à parler. Elle m'a parlé de son père qui s'appelait Sholem et qui, en 1916, s'était rendu à Vienne pour trouver du travail afin de soutenir sa famille. Cela lui avait fait du bien ; il aimait beaucoup la musique. Sa famille avait eu une boutique où il vendait le pain et des choses comme ça. Les temps étaient durs, a-t-elle dit. J'ai souri. Se souvenait-elle encore d'avoir entendu ses parents dire autre chose à propos de la famille de mon grand-père ? ai-je dit. Je me demandais si quelqu'un avait jamais parlé du père de mon grand-père, ce riche gentleman à barbichette et chapeau mou, qui était mort dans une station thermale, un jour, déclenchant la série des désastres qui allaient envoyer mon grand-père à New York, envoyer Shmiel à New York avant de le renvoyer à Bolechow, et finalement m'envoyer moi, ici. Yona a secoué la tête. D'Elkune Jäger, elle ne savait rien. Mais je peux vous dire que la famille de votre grand-père avait toujours été très pauvre, a-t-elle dit. Pauvre ? Je l'ai dévisagée. Très pauvre ? Toujours ? Elle a opiné. Oui, a-t-elle dit. Je me souviens de mon père disant que lorsqu'il était enfant, sa famille l'emmenait en vacances à Zakopane, en Pologne, et qu'il était triste parce que Avrumche était trop pauvre pour venir avec eux. J'ai réfléchi et j'ai dit, Ah bon. Je savais que les choses avaient mal tourné après la mort de mon arrière-grand-père et que, ensuite, la guerre est arrivée... Elle a secoué la tête, haussé les épaules et dit, En tout cas, quand ils étaient petits. J'ai pensé aux histoires de mon grand-père. J'ai pensé à sa description de son père, l'homme d'affaires prospère, les petites bouteilles de Tokay qu'il emportait à Vienne. J'ai pensé à ses descriptions de la bonne ukrainienne qu'il avait eue, quand il était enfant, de la cuisinière qui savait faire cuire pour chaque enfant son petit challah, le vendredi soir. J'ai pensé à lui me racontant combien son père avait de l'influence dans la ville. Ce n'était pas que je perdais foi en ces récits, nécessairement. Mais au moment où Yona me racontait à quel point l'enfance de mon grand-père avait été désespérément pauvre, j'avais recommencé à me demander, une fois encore, à quel point les histoires de mon grand-père étaient fondées sur des faits et à quel point elles étaient des projections de son imagination vive et ardente. Il n'est pas surprenant qu'un enfant, qui a à peine dix ans au moment où son père meurt, agrandisse, avec le temps, le souvenir de ce père, donne à ce père perdu une allure, une stature, une fortune qu'il n'a peutêtre jamais possédées en réalité, parce que ce souvenir agrandi, au cours des moments terribles que ce garçon doit maintenant traverser - ce souvenir qui, avec les ans, va se fossiliser dans les histoires qu'il raconte aux autres, à moi -, ce souvenir permet au garçon de se faire une meilleure idée de lui-même. Nous étions quelque chose autrefois, se dit ce garçon, nous étions quelqu'un de très spécial. Les temps difficiles semblent à présent, pour ce garçon, être un test de ce courage, de cette supériorité innée que ce père, s'éloignant toujours plus dans le passé, avait eus autrefois et dont la fortune, l'estime, le statut - imputés rétroactivement dans son souvenir par le garçon, maintenant adulte et homme d'affaires couronné de succès, quand il parle de lui à présent - n'étaient, après tout, que l'expression visible. Parfois, les histoires que nous racontons sont les récits de ce qui s'est passé ; parfois, elles sont l'image de ce que nous aurions souhaité voir se passer, les justifications inconscientes des vies que nous avons fini par vivre. Nous étions riches, nous avions des servantes. C'est une sioniste, il était mon préféré. C'est seulement dans les histoires que les choses prennent une bonne tournure et seulement dans les histoires que chaque détail trouve sa place. Mais s'ils collent trop parfaitement, nous aurons tendance à ne pas croire à l'histoire. J'étais en train de penser à tout cela, je commençais à me demander ce qu'avait bien pu être ma famille en réalité, quand l'addition est arrivée. Yona a insisté pour payer. Après quelques protestations rituelles, je l'ai laissée faire. Il était près de deux heures de l'après-midi et le soleil était incroyablement aveuglant. Je plissais les yeux. Vous avez toujours eu ces yeux tellement bleus, m'a-t-elle dit posément, en regardant mon visage, alors que nous attendions que le garçon revienne avec la monnaie. J'ai souri et je n'ai rien dit. C'est au moment de nous séparer, quelques minutes plus tard, lorsque nous échangions numéros de téléphone et adresses, que j'ai rougi. Yona, ai-je dit, gêné, tout en écrivant son nom sur une serviette en papier, c'est tellement embarrassant. Elle m'a jeté un regard inquisiteur. Je n'avais pu écrire que yona sur la serviette. Je l'ai regardée et j'ai dit, Je viens de me rendre compte que, au cours de toutes ces années, je n'ai jamais su quel était votre nom de famille. Elle a souri de son petit sourire, haussé les épaules et dit, Wieseltier. C'était pendant l'été. A la fin de l'automne, je suis revenu à Tel-Aviv avec Matt, pour qu'il puisse prendre des photos - de Yona, de tous les autres. Mais Israël serait notre seconde étape. Avant

« Yona hochait latête. De nos jours, onnepeut pascomprendre uneamitié decegenre, a-t-elle ditenfixant son regard surmoi. J'ai approuvé delatête.

Même sije ne savais pastrès bien cequ'elle voulait dire,jen'étais pas surpris d'entendre quelesamitiés deBolechow, lesamitiés forgées aucours d'une civilisation perdue dansunempire disparu avantmême qu'aitcommencé laPremière Guerremondiale, étaient, commetoutlereste àBolechow, irrémédiables. Soudain, elleasouri. Votre grand-père étaitun vitzer.

Vous savez ceque c'est qu'un vitzer ? J'ai approuvé delatête ànouveau.

Jesavais.

Unhomme quisait raconter uneplaisanterie, quelqu'un quisait comment tournerunehistoire drôle.J'aipensé àma tante Idaqui avait fait pipi surelle, lorsdeThanksgiving, ilya cinquante ans.J'aipensé àla façon dontmagrand-mère aurait dit, Oh, Abie ! Votre famille vivaitdansSchustergasse, a-t-elledit.

Rue duCordonnier.

Ce détail m'intéressait.

J'étaisallévoir lamaison, maisjene savais pasalors comment s'appelait la rue.

schustergasse, ai-jenoté audos d'un dessous-de-verre encarton. Elle m'a jeté unregard inquiet.

Vousprenez desnotes ? J'ai hoché latête.

C'est pourl'histoire delafamille ! Ilya quelque chosedansladouceur desa voix quiétait unpeu surladéfensive, ai-jepensé.

Elletient àsa vie privée.

Elleafait une grimace, maiselleacontinué àparler.

Ellem'a parlé deson père quis'appelait Sholemetqui, en 1916, s'était renduàVienne pourtrouver dutravail afindesoutenir safamille.

Celaluiavait fait dubien ;il aimait beaucoup lamusique.

Safamille avaiteuune boutique oùilvendait le pain etdes choses comme ça.Les temps étaient durs,a-t-elle dit. J'ai souri. Se souvenait-elle encored'avoirentendu sesparents direautre chose àpropos delafamille de mon grand-père ?ai-je dit.Jeme demandais siquelqu'un avaitjamais parlédupère demon grand-père, ceriche gentleman àbarbichette etchapeau mou,quiétait mort dansunestation thermale, unjour, déclenchant lasérie desdésastres quiallaient envoyer mongrand-père à New York, envoyer ShmielàNew Yorkavant delerenvoyer àBolechow, etfinalement m'envoyer moi,ici. Yona asecoué latête.

D'Elkune Jäger,ellenesavait rien. Mais jepeux vousdirequelafamille devotre grand-père avaittoujours ététrès pauvre, a-t-elle dit. Pauvre ?Je l'ai dévisagée.

Trèspauvre ? Toujours ? Elle aopiné. Oui, a-t-elle dit.Jeme souviens demon père disant quelorsqu'il étaitenfant, safamille l'emmenait envacances àZakopane, enPologne, etqu'il était triste parce queAvrumche était trop pauvre pourvenir aveceux.. »

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