Dictionnaire en ligne: ENVAHISSEMENT, substantif masculin. A.— Action d'envahir (un lieu, une propriété) par force ou par fraude; son résultat. 1. [Avec l'idée d'occupation matérielle] a) Action d'envahir (un lieu, un territoire) par force armée. (Quasi-)synonymes : assaut, conquête, invasion, occupation. Dans les guerres de conquête ou d'envahissement ou pour des prétentions bien ou mal fondées, il y a toujours injustice d'un côté (BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, Journaux intimes, 1804, page 96 ). La fin du règne de Louis VII se passa à (...) défendre les provinces du Midi contre l'envahissement anglo-normand (JACQUES BAINVILLE, Histoire de France, tome 1, 1924, page 62 ). Goiran, en verve de prophétie, prédit pour le XXIe. siècle l'envahissement de l'Europe par les Jaunes, et l'avenir de la race blanche réduit au seul continent américain (ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, Épilogue, 1940, page 926 ). Remarque : La documentation atteste envahition, substantif féminin Seigneur, Vierge Marie! s'écriait Françoise, ça ne leur suffit pas d'avoir conquéri la pauvre Belgique. Elle a assez souffert, celle-là, au moment de son envahition (MARCEL PROUST, Le Temps retrouvé, 1922, page 842). b) [L'agent désigne un groupe de personnes ayant la force du nombre] Action de forcer (une propriété) pour la saccager ou pour s'en rendre maître. Le major Bouroche, voulant éviter l'envahissement du jardin et de l'ambulance, avait eu la précaution de faire placer deux factionnaires à la porte (ÉMILE ZOLA, La Débâcle, 1892, page 382 ). C'est l'envahissement de toute la maison, le vacarme le plus brutal, puis le silence des soldats exténués (MAURICE BARRÈS,La Colline inspirée, 1913, page 296 ). c) Par analogie. [L'agent désigne un micro-organisme pathogène] Action d'envahir (l'organisme). L'envahissement des tissus par les microbes (ALEXIS CARREL, L'Homme cet inconnu, 1935, page 312 ). 2. Vieilli. Usurpation (d'un bien). L'usure fédérale ou envahissement de moitié du territoire (CHARLES FOURIER, Le Nouveau monde industriel ou l'Agriculture combiné, 1830, page 81 ). — Par analogie, moderne. Expansion abusive. Cependant l'instinct pousse le commerce à l'envahissement; c'est un lionceau qui grandit et essaie ses forces (CHARLES FOURIER, Le Nouveau monde industriel ou l'Agriculture combiné, 1830 page 16 ). Un envahissement (...) de zones, où, pour que la théorie accoutumée du commerce extérieur soit saine et sauve, devrait régner la concurrence est le fait de l'oligopole (FRANÇOIS PERROUX, L'Économie du XXe. siècle. 1964, page 58 ). B.— Par extension. [Avec l'idée dominante de quantité] Action de se répandre dans ou sur (un lieu). (Quasi-)synonymes : assaut, débordement, déferlement, empiétement. 1. [En parlant d'une multitude humaine, sans idée de force ou de fraude] Ces nefs immenses se sont trouvées trop étroites pour l'envahissement de la foule (JULES MICHELET, Introduction à l'Histoire universelle, 1831, page 423 ). C'est l'inoubliable envahissement des gares, l'exode (MAURICE BARRÈS, Mes cahiers, tome 11, 1914-17, page 106 ). La vie moderne avec l'industrie, les villes et l'envahissement cosmopolite (PAUL VIDAL DE LA BLACHE, Principes de géographie humaine, 1921, page 87) : Ø 1. De tous les gargots, des bandes d'ouvriers sortaient; des gaillards barbus se poussaient d'une claque, jouaient comme des gamins, avec le tapage de leurs gros souliers ferrés, écorchant le pavé dans une glissade; d'autres, les deux mains au fond de leurs poches, fumaient d'un air réfléchi, les yeux au soleil, les paupières clignotantes. C'était un envahissement du trottoir, de la chaussée, des ruisseaux, un flot paresseux coulant des portes ouvertes, s'arrêtant au milieu des voitures... ÉMILE ZOLA, L'Assommoir, 1877, page 409. 2. [En parlant d'une multitude animale] C'est un envahissement d'êtres muets et quasi insoupçonnés : car les anguilles ne progressent que la nuit (JOSEPH DE PESQUIDOUX, Chez nous, 1923, page 64 ). Comment empêcher l'envahissement des blattes — ou cancrelats — ou cafards? (ANDRÉ GIDE, Journal, 1938, page 1296 ). 3. [En parlant d'une chose naturelle] Les envahissements de la mer sur les terres (Dictionnaire de l'Académie française. 1835-1932). Sur cette plaine horizontale l'envahissement des eaux devait être rapide (JULES VERNE, Les Enfants du capitaine Grant, tome 1, 1868, page 210 ). Pour le sol, regarde l'envahissement de la matière végétale (JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, 1928, page 191 ). On peut combattre efficacement l'envahissement par la vase des bassins et des chenaux (MAURICE BENOIST, FRANÇOIS PETTIER, Les Transports maritimes, 1961, page 178 ). — Par analogie. Ils connaissaient la brièveté du crépuscule sous cette latitude déjà élevée, et combien se fait vite cet envahissement de la nuit (JULES VERNE, Les Enfants du capitaine Grant, tome 3, 1868, page 99 ). L'éphémère envahissement de la couleur, succédant à l'incolore domination du soleil (ERNEST PSICHARI, Le Voyage du centurion, 1914, page 96 ). Une lampe dans l'envahissement de l'aurore (HENRI DE MONTHERLANT, La Petite Infante de Castille, 1929, page 639 ). · [Le corps étant considéré comme un lieu] C'était, à fleur de peau, mille chatouillements de graisse naissante, un lent envahissement de l'être entier (ÉMILE ZOLA, Le Ventre de Paris, 1873, page 695 ). Ce venin amer dans la bouche, dont l'envahissement semblait donner aux joues la jaunisse quand il était en colère (MARCEL PROUST, La Prisonnière, 1922, page 221 ). Quand les massages ne suffisent plus à réprimer l'envahissement de la graisse (ALEXIS CARREL, L'Homme cet inconnu, 1935 page 212 ). C.— Au figuré. 1. [L'objet envahi est la personne] a) [Au physique] Atteinte globale (du corps ou d'une partie du corps). La mort serait (...) une chose douce (...) assez semblable à la prise de possession, à l'envahissement d'un corps par les anesthésiques, la morphine, le chloral (EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal, 1885, page 445 ). L'envahissement progressif de la sclérose (EDMOND NOCARD, ÉMILE LECLAINCHE, Les Maladies microbiennes des animaux, 1896, page 802 ). J'étais seul dans cette grande chambre, seul avec elle, assistant au solennel envahissement de la mort (ANDRÉ GIDE, Si le grain ne meurt, 1924, page 611 ). b) [Au moral] Emprise totale sur (les sentiments, les facultés de quelqu'un). Elle restait écrasée sous l'envahissement brutal des pensées de vengeance qui chassaient toute la bonté de sa vie (ÉMILE ZOLA, Thérèse Raquin, 1867, page 180 ). Laure avait assisté à ce déclin d'un être, à cet envahissement de l'intelligence par le désordre et la mort (HENRI PETIOT, DIT DANIEL-ROPS, Mort, où est ta victoire?, 1934, page 491) : Ø 2. Et c'est vrai que cette sorte de courage vous a des apparences de péché. Elle n'est pas qu'une forme de la curiosité de la vie, comme le goût du sacrifice n'est qu'une forme de la prodigalité de la vie; elle est l'envahissement de tout l'être par la tentation d'un acte... HENRI DE MONTHERLANT, Le Songe, 1922, page 77. 2. [L'objet envahi est un domaine humain] Empiètement. La paix de Westphalie ayant fixé les droits des différentes religions, elles ne craignent plus leurs envahissements mutuels (GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, De l'Allemagne, tome 5, 1810, page 63 ). L'envahissement de la philosophie profane dans la théologie (CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT, Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231), 1836, page XVIII. ). 3. En particulier. a) Importance exagérée, abusive d'une chose. L'envahissement de la finance, qui n'est autre chose que l'égoïsme solidifié (HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette, 1846, page 393 ). À défaut du bas peuple, il reste assez de bouches françaises pour que l'envahissement de l'argot ne puisse, de longtemps, être considéré comme un danger (RÉMY DE GOURMONT, Esthétique de la langue française, 1899, page 119 ). En 1857 (...), Renan parle déjà de « l'envahissement du monde par l'immoralité, le charlatanisme et le léger » (ANDRÉ GIDE, Journal, 1948, page 321 ). b) Atteinte morale. La folle manie d'administrer tout, de centraliser tout, qui, de nos jours, s'est emparée de certains gouvernements, est, de leur part, un envahissement des seules vraies libertés des peuples, et peut-être, à la longue, la plus dure des tyrannies (FÉLICITÉ-ROBERT DE LAMENNAIS, De la Religion considérée dans ses rapports avec l'ordre politique et civil, 1825, page 69 ). Un murmure étouffé de commérage et de complot, où il ne saisissait que des mots épars, des ordres donnés, des mesures prises, un envahissement de sa libre personnalité (ÉMILE ZOLA, Le Docteur Pascal, 1893, page 99 ). c) Atteinte de (l'intimité.) (Quasi-)synonymes : intrusion, invasion. Les envahissements de la familiarité française (HONORÉ DE BALZAC, Spendeurs et misères des courtisanes, 1844, page 293 ). Ces deux ou trois journées d'envahissement du domicile par les « fournisseurs spéciaux » (VALÉRY LARBAUD, Journal, 1935, page 348 ). STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : XIXe. siècle : a) 343, b) 460; XXe. siècle : a) 381, b) 233.
