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enfants étaient impeccablement habillés, les enfants avaient toujours de très jolis vêtements.

Publié le 06/01/2014

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enfants étaient impeccablement habillés, les enfants avaient toujours de très jolis vêtements. Anna s'est tournée vers moi. Di zeyst ? a-t-elle déclaré. Lorkas familyeh kenn ikh besser als Malka Grossbard ! Vous comprenez ? je connais la famille de Lorka mieux que ne la connaît Meg Grossbard ! Elle a dit quelque chose à Shlomo, qui m'a expliqué que le frère de sa mère, un certain monsieur Zwiebel, était un voisin de Shmiel Jäger. Il vivait juste à coté, a dit Shlomo. Et donc Anna (a-t-il poursuivi) avait l'habitude de venir voir son oncle, et c'est pour cela qu'elle voyait Lorka tout le temps, pas simplement en classe. Afin de le prouver sans doute, Anna a raconté un souvenir précoce. Je me souviens que lorsque les premières fraises arrivaient chaque année, on les trouvait d'abord sur le marché de Lemberg. Et donc votre oncle Shmiel les rapportait de Lemberg à Bolechow, à un moment où on ne les trouvait pas encore à Bolechow. Et Lorka venait me chercher chez moi le jour où les fraises arrivaient et disait, Viens prendre quelques fraises, elles sont arrivées ! J'ai pu saisir, avec soudaineté et force, une bouffée de quelque chose, une trace, nette et évanescente à la fois, du rythme d'une vie désormais invisible et inimaginable. Shmiel et ses camions : tout le monde avait l'air de se souvenir de ça. Quel genre d'homme était Shmiel ? ai-je voulu savoir. Anna a esquissé un sourire et tapé sur son oreille. Er var a bissl toyb ! Il était un peu sourd ! Sourd ? ai-je répété, et elle a dit, Oui ! Toyb ! Toyb ! Je suis resté silencieux. Puis j'ai demandé, Est-ce qu'elle se souvient d'une au moins des autres filles ? Die kleyneste, a-t-elle commencé à répondre, la plus jeune... Bronia, ai-je dit sur un ton pressant. J'étais excité à la pensée que quelqu'un allait finalement pouvoir nous dire quelque chose à propos de Bronia. Bronia, qui avait disparu dans les Bains et les Chambres d'inhalation, soixante ans auparavant ; Bronia, qui avait eu la malchance d'être si jeune lorsqu'elle avait été prise, et parce que personne d'aussi jeune ne pouvait être un travailleur utile, presque personne d'aussi jeune - ses amis, ses camarades de classe - n'avait survécu, ce qui explique pourquoi il reste si peu d'elle aujourd'hui qu'on puisse connaître. Bronia ? ai-je interrogé de nouveau. Mais Anna a secoué la tête et a dit, Ruchele var di kleynste. Ruchele ? ai-je dit, sidéré. Anna a hoché la tête avec emphase, mais je n'ai pas voulu en savoir plus. Ce qui explique pourquoi, quand elle a continué en me disant que di kleynste, la plus petite, était une fille très solide, très sensible très délicate, qu'elle appartenait à un groupe d'enfants qui étaient tous très polis et très gentils - description qui, je le savais, collait avec la description de Ruchele faite par Jack -, je n'étais plus très sûr de pouvoir jamais apprendre quoi que ce fût à propos de Bronia.     J'AI quelques photos à vous montrer, ai-je dit à Anna. Pour aiguillonner ses souvenirs, j'avais apporté mon classeur de vieilles photos de famille, celles que j'avais apportées aussi à Sydney. Mais après Sydney - après que Boris Goldsmith avait plissé les yeux devant la minuscule photo de Shmiel, Ester et Bronia, en 1939, et dit avec un soupir, Je ne les vois pas bien - j'avais appris ma leçon et fait agrandir toutes les photos que je possédais. À présent, même le plus petit instantané de ma collection avait atteint la taille d'un tirage standard sur papier : le visage marqué par les soucis de Shmiel, dans cette ultime photo de 1939, était maintenant grandeur nature ou presque. Au moment où j'ai passé le classeur, un des agrandissements a glissé sur la table : la photo de Frydka, Meg Grossbard et Pepci Diamant en manteaux à col de fourrure et bérets, prise en 1936. Duss iss Frydka mit Malka Grossbard und Pepci Diamant, ai-je dit. Voici Frydka avec Malka Grossbard et Pepci Diamant. Anna a immédiatement pointé le doigt sur le visage de Meg et, comme quelqu'un qui vient de remporter le pli dans un jeu de cartes, elle a ramassé la photo en disant, Malka ! Puis elle a dit, Frydka var zeyer sheyn - zeyer sheyn ! Frydka était jolie - très jolie ! En disant cela, Anna a fait un geste admiratif, pris une expression universelle d'émerveillement : les mains sur les joues, les yeux levés au ciel. Nous étions venus pour parler de Lorka, que personne d'autre n'avait bien connue, mais je n'étais pas surpris que nous soyons passés à Frydka, la fille qui était si jolie, la fille pour laquelle un garçon avait donné sa vie, le genre de fille, j'en avais déjà le sentiment, qui attirait naturellement les histoires et les mythes. Je veux vous parler d'un fait, a dit Anna, en regardant la photo de Frydka à l'âge de quatorze ans, et elle s'est mise à parler. Shlomo l'a écoutée, puis s'est tourné vers moi. Il a dit, Elle a dit que Frydka devrait vivre aujourd'hui, être vivante aujourd'hui. C'était une femme moderne, mais elle a vécu à la mauvaise époque ! Que veut-elle dire ? ai-je demandé. À cause de sa façon de vivre à l'époque, dans un petit shtetl, elle était critiquée ! Elle était, vous savez, libre ! Critiquée ? ai-je dit, pendant que je pensais : qu'est-ce qui s'est passé avec elle ? Même à l'époque, ils parlaient d'elle. Même à l'époque, elle était le centre de l'attention. Anna hochait la tête. Elle aurait dû vivre cinquante ans plus tard, a-t-elle dit. Lorka, elle était calme, sérieuse, et elle n'avait qu'une sympatia... (plus tard, j'ai regardé sympatia dans un dictionnaire de polonais : un béguin, disait-il, et il y avait quelque chose dans la sonorité désuète de béguin qui m'a ému, quand je me suis souvenu d'Anna parlant de Lorka et de sa sympatia) ... qu'une sympatia à la fois. Elle avait quelqu'un qu'elle aimait bien, un frère de Mme Halpern. Alors elle l'a fréquenté... Bumo Halpern. Vraiment ? ai-je dit. J'avais été pris par surprise. Je leur ai expliqué qu'à Sydney, Meg Grossbard avait soutenu que le petit ami de Lorka était un lointain cousin - mon lointain cousin -, Yulek Zimmerman. Anna a secoué la tête vigoureusement et dit, Bumo Halpern. OK, ai-je dit. Bon. Shlomo a continué : Anna dit que Lorka se comportait, se comportait honnêtement et qu'elle ne... elle avait de la sympathie pour un homme et elle ne l'a jamais trahi. Trahi. Et Frydka ? ai-je demandé, sachant par avance ce que serait la réponse. Anna m'a tait un grand sourire et, en secouant la tête comme si le souvenir l'amusait encore, agitant les mains en l'air, elle a dit, Frydka var geveyn a... (elle s'est interrompue et, incapable de trouver le mot qui convenait en yiddish, elle est passée à l'espagnol) ... Sie's geveyn a picaflor ! Frydka était un oiseau-mouche ! Shlomo a souri largement lui aussi en traduisant, amusé par l'image. Puis il a ajouté la sienne. Oui ! Il hochait la tête en souriant. Il se souvenait d'elle, lui aussi. C'était un papillon ! s'est-il écrié. Elle allait de fleur en fleur ! A ce moment-là, entre Anna et Shlomo, le yiddish a fusé et gargouillé. Shlomo s'est tapé sur la cuisse et a ri. Elle m'a raconté deux histoires, a-t-il fini par me dire. La première : sur Frydka, elle peut dire qu'elle et des amies étaient allées du côté de Russki Bolechow. Il y avait là-bas un type qui louait une chambre et elles étaient curieuses de le connaître. Donc, elles frappent à sa porte et qui était là quand la porte s'est ouverte ? Frydka ! J'ai souri. Un papillon ! Comment la blâmer ? me suis-je dit. J'avais vu des photos de l'album de Pepci Diamant. Frydka, l'adolescente ombrageuse, rêvassant à son propre album de photos ; Frydka, par une journée très ensoleillée, en robe blanche et chaussures découpées sur les doigts de pied, grande, toute en jambes, les yeux plissés regardant l'appareil photo ; Frydka faisant le clown dans les buissons au bord de la rivière Sukiel ; Frydka, fixant l'appareil photo, l'air renfrogné, les doigts sur les lèvres finement dessinées, pose dans laquelle personne n'aime se faire prendre, en train de manger ce que sa mère lui avait préparé, un repas qui est devenu poussière depuis bien longtemps. On pouvait, me suis-je dit, tomber amoureux de cette fille. Anna s'est excusée pour aller répondre au téléphone, qui avait retenti bruyamment à la fin de

«   J'AI quelques photosàvous montrer, ai-jeditàAnna. Pour aiguillonner sessouvenirs, j'avaisapporté monclasseur devieilles photos defamille, celles que j'avais apportées aussiàSydney.

Maisaprès Sydney – après queBoris Goldsmith avait plissé lesyeux devant laminuscule photodeShmiel, EsteretBronia, en1939, etdit avec un soupir, Je ne les vois pasbien – j'avais apprismaleçon etfait agrandir touteslesphotos queje possédais.

Àprésent, mêmeleplus petit instantané dema collection avaitatteint lataille d'un tirage standard surpapier :le visage marqué parlessoucis deShmiel, danscette ultime photo de 1939, étaitmaintenant grandeurnatureoupresque.

Aumoment oùj'ai passé leclasseur, un des agrandissements aglissé surlatable :la photo de Frydka, MegGrossbard etPepci Diamant en manteaux àcol defourrure etbérets, priseen1936.

Duss issFrydka mitMalka Grossbard undPepci Diamant, ai-je dit.Voici Frydka avecMalka Grossbard etPepci Diamant.

Annaaimmédiatement pointéledoigt surlevisage deMeg et, comme quelqu'un quivient deremporter lepli dans unjeu decartes, ellearamassé laphoto en disant, Malka ! Puiselleadit, Frydka varzeyer sheyn - zeyer sheyn ! Frydka étaitjolie–  très jolie ! En disant cela,Anna afait ungeste admiratif, prisune expression universelle d'émerveillement : les mains surlesjoues, lesyeux levés auciel.

Nous étions venuspourparler deLorka, que personne d'autren'avaitbienconnue, maisjen'étais passurpris quenous soyons passésà Frydka, lafille quiétait sijolie, lafille pour laquelle ungarçon avaitdonné savie, legenre de fille, j'enavais déjàlesentiment, quiattirait naturellement leshistoires etles mythes. Je veux vousparler d'unfait,adit Anna, enregardant laphoto deFrydka àl'âge dequatorze ans, etelle s'est mise àparler.

Shlomo l'aécoutée, puiss'est tourné versmoi.

Iladit, Elle adit que Frydka devrait vivreaujourd'hui, êtrevivante aujourd'hui.

C'étaitunefemme moderne, mais elleavécu àla mauvaise époque ! Que veut-elle dire?ai-je demandé. À cause desafaçon devivre àl'époque, dansunpetit shtetl, elle était critiquée ! Elleétait, vous savez, libre ! Critiquée ?ai-je dit,pendant quejepensais :qu'est-ce quis'est passé avecelle?Même à l'époque, ilsparlaient d'elle.Même àl'époque, elleétait lecentre del'attention. Anna hochait latête.

Elleaurait dûvivre cinquante ansplus tard, a-t-elle dit.Lorka, elleétait. »

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