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et les murs étaient décorés de tapis bon marché à motifs orientaux.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

et les murs étaient décorés de tapis bon marché à motifs orientaux. Çà et là, une icône, un vieux portrait photographique qui avait été rehaussé au pastel et, bizarrement, des posters de mannequins languides des années 1940 en lingerie sexy. Il y avait encore une pièce partant de la salle à manger, et lorsque j'ai ouvert la double porte, je suis tombé sur un immense adolescent aux traits slaves, à la fois sévères et magnifiques. Il avait les cheveux noir corbeau et sa peau était d'un blanc immaculé, comme s'il n'avait pas de circulation sanguine. Il m'a regardé avec des yeux vitreux qui donnaient l'impression qu'il ne voyait pas. J'ai refermé la porte et je suis reparti. Alex était juste derrière moi. Pas seulement l'alcool, a-t-il dit. Peut-être la drogue aussi. C'était donc la maison. Un étage. En dehors d'un poster ou deux, il était possible d'imaginer ce qu'elle avait pu être alors, nette, les rideaux de dentelle de chaque côté des fenêtres plutôt que tirés, le poêle en céramique près de la cuisine, éteint à présent, répandant les arômes des aliments en train de cuire. Je marchais de long en large, très réticent à l'idée de devoir partir. Toutes sortes d'idées me traversaient l'esprit. Où pouvait-on cacher quelqu'un ici ? J'ai dit à Alex, Bon, très bien. Puis, j'ai littéralement claqué ma main sur mon front. Demandez-lui, ai-je dit, demandez-lui s'il y a une cave, une sorte de cellier. La femme nous avait suivis pendant que nous déambulions dans les différentes pièces. Je suppose qu'elle redoutait que nous ne tombions sur sa cache d'alcool et Dieu sait quoi encore. Alex lui a parlé. Oui, a-t-il dit, il y a une pièce au sous-sol. La femme aux cheveux noirs a longuement soupiré et froncé les sourcils avec un air résigné, comme si elle avait l'habitude d'être envahie par des inconnus plus déterminés qu'elle. Elle a fait les quelques pas qui séparaient la salle à manger de la petite salle de séjour. Nous l'avons suivie. Les deux sofas étaient à un mètre l'un de l'autre et un tapis rond était posé entre eux. D'un geste un peu las, elle a écarté le tapis du bout du pied, tout en secouant la tête. Là, découpée dans le plancher, il y avait une trappe. Elle faisait environ soixante centimètres de côté et elle avait été coupée de telle manière que les bords étaient parfaitement alignés avec le plancher. Bon camouflage, ai-je pensé. Un petit anneau de métal qui servait de poignée était fixé sur un côté. Nous étions tout autour, les yeux fixés sur elle, pensant exactement la même chose. J'ai pointé le doigt vers le carré découpé dans le plancher, je me suis tourné vers Alex et j'ai dit, Je peux descendre ? Avant qu'Alex ait pu traduire, la femme a hoché la tête. Elle a dit quelque chose à Alex, qui m'a fait savoir que la cave existait déjà quand elles avaient emménagé, en arrivant du sud de la Russie. Elles y entreposaient des bocaux : des cornichons, des choses comme ça. Je me suis baissé et j'ai tiré sur l'anneau pour soulever la trappe. Elle était étonnamment épaisse et lourde. Je l'ai ouverte complètement et une odeur s'est échappée, l'odeur humide de la terre et d'autre chose, l'odeur des endroits qui ne servent plus. Une des autres femmes, assise sur le sofa en face de celui sur lequel se trouvait la femme inerte, a gentiment tendu la main pour maintenir la trappe ouverte. Nous avons jeté un coup d'oeil à l'intérieur. Pendant un moment, nous n'avons rien pu voir d'autre qu'un carré complètement noir. Au bout de quelques secondes, le contour d'étagères est apparu, remplies de bouteilles et de bocaux. J'ai fait le tour de l'ouverture et je me suis arrêté près de la trappe. Des escaliers en pin récents avaient été installés sur un côté. J'ai levé les yeux et dit, Il faut que je descende là-dedans. Alex, la caméra vidéo à la main, a hoché la tête. Je me suis plié en deux et j'ai descendu une jambe dans le trou, cherchant du bout du pied la première marche. Je l'ai trouvée, j'ai commencé à descendre, les yeux tout le temps tournés vers la lumière. Comme je l'ai déjà dit, j'ai une peur viscérale des endroits fermés, mais je ne pouvais pas et ne voulais pas en faire état à ce moment-là, dans ces circonstances. Je pensais au fourgon à bestiaux du musée de l'Holocauste. Peut-être que Shmiel était aussi claustrophobe que moi ? me suis-je dit. Peut-être que c'est génétique, qui sait ? Au moins, j'allais ressortir de là et m'en aller de cet endroit en plein jour. Le trou n'était que ça : un trou. J'avais descendu trois mètres à peu près et j'étais au fond. Il n'y avait pas de lumière et la trappe avait beau être ouverte au-dessus de ma tête, l'endroit était plongé dans une obscurité d'encre : il fallait que j'étende les bras pour repérer les murs, qui se sont révélés très proches. J'ai réalisé que l'endroit ne faisait pas plus d'un mètre de côté. Comme j'étais sous terre, il faisait froid, étonnamment froid. J'ai réprimé un mouvement de panique et je me suis dit, C'est horrible, c'est comme si on était dans... Oh, mon Dieu, que je suis idiot, ai-je pensé au même moment. Un kestl, un kestl, pas un castel. Finalement, nous ne nous trompons pas parce que nous ne faisons pas attention mais parce que le temps passe, les choses changent, un petit-fils ne peut pas être son grand-père, en dépit de tous ses efforts pour l'être ; parce que nous ne pouvons jamais être autre que nousmême, prisonnier que nous sommes du temps, du lieu et des circonstances. Quel que soit notre désir d'apprendre, de savoir, nous ne pouvons jamais voir que de nos propres yeux et entendre de nos propres oreilles, et la façon dont nous interprétons ce que nous voyons et entendons dépend, en dernier ressort, de qui nous sommes et de ce que nous pensons déjà savoir ou désirer savoir. Kestl est le mot yiddish pour boîte. Pendant toutes ces années, j'avais écouté mon grand-père parler, et l'unique fois où il m'avait fourni une information concernant la mort de Shmiel, en écoutant ces voyelles cotonneuses et ces consonnes épaisses, j'avais entendu ce que je voulais entendre, un conte de fée, un drame tragique avec un noble et un château. Mais il ne m'avait pas raconté, après tout, une de ses histoires, une histoire fondée en partie sur des faits et en partie sur un fantasme, une histoire de Juifs dans un pays lointain se cachant dans un château. Ils s'étaient caches dans une sorte de boîte. Il avait, après tout, su quelque chose tout du long, avait entendu une histoire dont les détails avaient à présent disparu ; une histoire assez proche de la vérité, en fin de compte. Il m'avait fallu tout ça, toutes ces années et tous ces kilomètres, il avait fallu que je revienne voir cet endroit de mes propres yeux avant que le fait, la réalité matérielle, m'autorise à comprendre enfin les mots qu'il avait prononcés. Ils s'étaient cachés dans un endroit horriblement petit et fermé, un endroit que quelqu'un, quelque part, avait dû décrire comme une sorte de boîte, de kestl, et j'étais maintenant dans cette boîte, et maintenant je savais tout. En frissonnant, j'ai attrapé l'appareil photo que m'avait donné Froma et j'ai pris une photo à l'aveuglette. La photo ne montre rien, vraiment : un mur blanc surexposé par un flash. Ils avaient été là, se cachant pendant des semaines, des mois, personne ne le savait. Mais c'était ici que cela s'était passé. J'avais toujours voulu avoir des détails. Maintenant je les avais. Je suis resté là un moment, parce que j'ai pensé qu'il était décent de le faire et que je voulais rassembler mes pensées, qui partaient dans un million de directions différentes, et ensuite je suis remonté d'un pas rapide. Nous sommes restés là quelques minutes à prendre des photos des pièces, des tapis, de la trappe, des sofas, de la cachette. Et puis, il n'y a eu rien d'autre à faire. Nous avons remercié les femmes et nous sommes partis.     Deux autres éléments d'information extrêmement importants ont été collectés au cours de ce second voyage à Bolekhiv. Après que nous sommes sortis de la maison, j'ai demandé à Alex et à Froma si cela ne les embêtait pas que j'appelle mes parents sur mon portable : je voulais leur raconter immédiatement ce qui s'était passé. Bien sûr que non, ont-ils répondu, et je me suis un peu éloigné de la Passat et j'ai composé le numéro. Sept heures plus tôt dans la journée, mon père a décroché le téléphone. Je sais exactement ce que je lui ai dit à ce moment-là, parce que j'avais oublié d'éteindre mon magnétophone en sortant de la maison des Szedlak et, quelques semaines plus tard, pendant que je retranscrivais tous les enregistrements, j'étais sidéré d'entendre, à la fin de la cassette CACHETTE !, le son de ma propre voix excitée, même si la conversation enregistrée est, comme certains autres échanges dans ma famille qui font partie de cette histoire, unilatérale, puisqu'il est impossible d'entendre sur cet enregistrement ce que dit un des correspondants. Papa ? C'est Dan. Va chercher Maman. [silence] Maman (Je ne sais absolument pas pourquoi je l'ai appelée comme ça, c'est un mot que je n'ai plus utilisé depuis l'âge de quatre ans) ... c'est Daniel, je suis à Bolechow. Je suis à Bolechow. Attends, vous n'allez pas croire ce qui vient de se passer, vous n'allez pas le croire. Ce qui s'est passé. Nous avons rencontré un vieux type et il nous a emmenés dans la maison où Shmiel s'était caché... Et je suis entré dans la maison et je suis descendu dans la cachette, elle est toujours là, c'est une sorte de souterrain... de cave, et tout est là. Et il s'est souvenu de tout, ils étaient cachés dans la cave et ils ont été dénoncés et ils les ont emmenés dans le jardin et ils les ont abattus... Oui, c'est incroyable, j'étais dedans, il y a quelques minutes. Jamais je n'aurais cru de ma vie que je trouverais l'endroit. Oui, j'ai pris des photos, j'ai pris des photos. En tout cas, c'est incroyablement... émouvant et bizarre. Je vais bien, je vais bien, nous allons rentrer à Lwów maintenant. Jamais je n'aurais cru pouvoir trouver cet endroit, je pensais simplement aller prendre quelques photos. Bon, appelez mes frères et ma soeur pour leur raconter que j'ai trouvé la maison, que j'ai trouvé quelqu'un qui nous a emmenés à la maison dans laquelle ils étaient cachés, que je suis allé à l'endroit exact où ils sont morts. OK, oui, je rappellerai plus tard. OK. Je vous aime aussi. Au

« installés suruncôté. J'ai levé lesyeux etdit, Ilfaut quejedescende là-dedans.

Alex,lacaméra vidéoàla main, a hoché latête. Je me suis pliéendeux etj'ai descendu unejambe dansletrou, cherchant dubout dupied la première marche.Jel'ai trouvée, j'aicommencé àdescendre, lesyeux toutletemps tournés vers lalumière.

Commejel'ai déjà dit,j'aiune peur viscérale desendroits fermés,maisjene pouvais pasetne voulais pasenfaire étatàce moment-là, danscescirconstances.

Jepensais au fourgon àbestiaux dumusée del'Holocauste.

Peut-êtrequeShmiel étaitaussi claustrophobe quemoi ?me suis-je dit.Peut-être quec'est génétique, quisait ?Au moins, j'allais ressortir delàet m'en allerdecet endroit enplein jour. Le trou n'était queça:un trou.

J'avais descendu troismètres àpeu près etj'étais aufond.

Iln'y avait pasdelumière etlatrappe avaitbeau êtreouverte au-dessus dema tête, l'endroit était plongé dansuneobscurité d'encre:il fallait quej'étende lesbras pour repérer lesmurs, quise sont révélés trèsproches.

J'airéalisé quel'endroit nefaisait pasplus d'un mètre decôté. Comme j'étaissousterre, ilfaisait froid,étonnamment froid.J'airéprimé unmouvement de panique etjeme suis dit,C'est horrible, c'estcomme sion était dans... Oh, mon Dieu, quejesuis idiot, ai-je pensé aumême moment.

Un kestl, un kestl, pas un castel.

Finalement, nousnenous trompons pasparce quenous nefaisons pasattention mais parce queletemps passe,leschoses changent, unpetit-fils nepeut pasêtre songrand-père, en dépit detous sesefforts pourl'être ;parce quenous nepouvons jamaisêtreautre quenous- même, prisonnier quenous sommes dutemps, dulieu etdes circonstances.

Quelquesoitnotre désir d'apprendre, desavoir, nousnepouvons jamaisvoirquedenos propres yeuxetentendre de nos propres oreilles, etlafaçon dontnous interprétons ceque nous voyons etentendons dépend, endernier ressort, dequi nous sommes etde ceque nous pensons déjàsavoir ou désirer savoir.

Kestl est lemot yiddish pour boîte.

Pendant toutescesannées, j'avaisécouté mon grand-père parler,etl'unique foisoùilm'avait fourniuneinformation concernantlamort de Shmiel, enécoutant cesvoyelles cotonneuses etces consonnes épaisses,j'avaisentendu ce que jevoulais entendre, unconte defée, undrame tragique avecunnoble etun château.

Mais il ne m'avait pasraconté, aprèstout,unedeses histoires, unehistoire fondéeenpartie surdes faits eten partie surunfantasme, unehistoire deJuifs dans unpays lointain secachant dansun château.

Ilss’étaient cachesdansunesorte de boîte.

Il avait, après tout,su quelque chose tout dulong, avaitentendu unehistoire dontlesdétails avaient àprésent disparu;une histoire assez proche delavérité, enfin decompte.

Ilm'avait fallutoutça,toutes cesannées ettous ces kilomètres, ilavait falluquejerevienne voircetendroit demes propres yeuxavant quele fait, laréalité matérielle, m'autoriseàcomprendre enfinlesmots qu'ilavait prononcés.

Ils s'étaient cachésdansunendroit horriblement petitetfermé, unendroit quequelqu'un, quelque part,avait dûdécrire comme unesorte deboîte, de kestl, et j'étais maintenant dans cette boîte, etmaintenant jesavais tout. En frissonnant, j'aiattrapé l'appareil photoquem'avait donnéFroma etj'ai pris une photo à l'aveuglette.

Laphoto nemontre rien,vraiment :un mur blanc surexposé parunflash.

Ils avaient étélà,secachant pendant dessemaines, desmois, personne nelesavait.

Maisc'était ici que cela s'était passé.

J'avais toujours vouluavoirdesdétails.

Maintenant jeles avais. Je suis resté làun moment, parcequej'aipensé qu'ilétait décent delefaire etque jevoulais rassembler mespensées, quipartaient dansunmillion dedirections différentes, etensuite je suis remonté d'unpasrapide.

Noussommes restéslàquelques minutesàprendre desphotos. »

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