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HISTOIRE

Publié le 02/04/2015

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histoire

HISTOIRE

Parmi les propositions dont la vérité peut être conçue indépen­damment d'un système d'utres propositions, il faudrait classer celles qui sont vraies en vertu des seules lois logiques, et celles dont la vérité ne peut être connue que par référence à une donnée irréduc­tible au langage et à la pensée : elles décrivent des faits. Parmi ces dernières, il y a celles qui sont vérifiables à propos d'une classe définie de phénomènes (« tous les hommes sont mortels «) et celles qui ne sont vraies qu'en vertu d'un phénomène unique. Parmi ces dernières, il convient encore de faire une distinction ; pour certaines, le fait décrit (« Sartre louche «) peut être conçu sans rapport spéci­fique au temps, pour d'autres (e Sartre est né en 1905 «), le temps lui-même appartient au fait décrit, celui-ci est un événement. Les événements ont cette particularité qu'ils sont des êtres singuliers, et qu'ils ne se répètent pas. L'ensemble des événements qui ont eu lieu, ont lieu, ou auront lieu dans l'univers peut-être appelé histoire. On nomme aussi « histoire « l'étude des êtres appartenant à l'histoire. (1)

1.   L'objet et « histoire «

La définition précédente peut paraître artificielle. L'« histoire « n'est pas indépendante de l'histoire : lorsque Thucydide (La Guerre du Péloponèse) et Hérodote (L'Enquête) (2) rédigent les premiers textes « historiques « de la civilisation occidentale (Ve siècle av. J.-C.), la décom­position des cités grecques n'est pas indifférente au fait qu'ils prennent leur histoire pour objet d'étude ; le rôle de I'« histoire « dans les programmes scolaires français depuis le début du siècle dernier a été de justifier des frontières, une politique, de créer en chacun la conscience d'appartenir à une communauté nationale (« Nos ancêtres les Gaulois «). A l'inverse, ce qu'on entend par histoire dépend étroitement d'une pratique « historienne «, c'est-à-dire des objets et des

méthodes des historiens ; l'« histoire « n'a pas nécessairement comme objets les événements au sens défini plus haut. Pendant très longtemps on n'a pas distingué les faits et les événements : l'histoire était conçue comme la connaissance des faits par opposition à celle des principes et des causes qui gouvernent ces faits. C'est pourquoi on distinguait « histoire « naturelle — établissement des « faits « de la nature, c'est-à-dire simple recension de ce qu'on observe — et « histoire « humaine — établissement des « faits « humains, c'est-à-dire d'une part recension de ce qu'on observe dans les sociétés sans référence au temps et d'autre part description chronologique des actions humaines (3). On remarquera cependant que c'est cette description « chronologique « qu'on entend généralement par « histoire « : celle-ci doit se référer explicitement au temps et aux actions humaines. On n'en définit pas pour autant l'objet de I'« histoire « : elle peut être une simple chronique des événements politiques, ou elle peut rechercher à les enchaîner selon leur causalité ; elle peut aussi viser les moeurs, l'économie, les idées (4). Ces dernières préoccupations apparues au XVIIIe siècle (Voltaire) sont maintenant définitivement au centre des travaux « histo­riques « (5).

2.   Objectivité et déterminisme historique

Comme connaissance d'un objet, l'« histoire « tend à prendre le statut de science. On a tenté de définir sa scientificité par sa rigueur, en montrant comment l'utilisation des documents, la critique des témoignages pouvaient donner une connaissance correcte du passé, et sur ce point, l'« histoire « n'a cessé de progresser jusqu'à l'« histoire « quantitative contemporaine qui utilise le traitement automatique des données. Mais la rigueur d'une science dépend de son type d'objectivité ; le modèle donné par la physique suppose que les énoncés scientifiques :

1 — sont vérifiables.

2 — décrivent des mécanismes de causalité ou énoncent des lois.

3 — permettent la prévision.

Le fait que l'« histoire « ait été conçue comme connaissance du passe a amené à nier le premier point : il n'y a pas d'« expérimentation historique «. Le fait que l'« histoire « ait éte spécifiée par rapport à l'homme conçu comme être libre a souvent entraîné la négation des second et troisième points (6). Traditionnellement l'idée d'un déterminisme histo­rique correspond à la négation de la liberté ou à l'idée que la Providence divine guide les actions humaines vers une fin déterminée (Bossuet). Les lois historiques ont d'abord été conçues comme des lois de développement rapportées globa­lement à un sujet (l'humanité pour Comte, l'Esprit pour Hegel) : s'il y a une Raison dans l'histoire, elle concerne alors les événements seulement en tant qu'ils sont rapportés

à une fin (7). L'apparition des sciences humaines a mis l'accent sur les déterminismes qui régissent l'action humaine. Le déplacement progressif de la pratique historienne vers de nouveaux objets — économie, relations sociales, groupes sociaux, unités géographiques importantes (8) —, la fragmen­tation corollaire des préoccupations « historiques « ont permis d'intégrer ces déterminismes en faisant de l'« histoire « l'explication de relations causales entre des séries d'événements, qui ont pour caractéristique de ne pouvoir être rapportées à l'individualité humaine. Il n'y a plus dès lors une « histoire « mais des « histoires « (on découvre des temporalités « historiques « spécifiques à chaque type d'objets) ; doit-on admettre une fragmentation corollaire de l'histoire ?

Pour une science humaine quelconque, quand elle a un rapport au temps, c'est souvent à la manière de la physique : le temps est une variable indépendante servant à décrire les relations existant entre des objets décrits abstraitement, c'est-à-dire en tant seulement qu'ils concernent cette science (9). Pour l'« histoire « la temporalité entre dans la définition des objets dont elle s'occupe et permet de les définir comme singularités. II n'y aurait de déterminisme historique, de lois de l'histoire au sens d'une nécessité

absolue du déploiement de l'histoire conçue comme totalité,

que pour une science qui serait capable de ressaisir toutes ces déterminations événementielles, c'est-à-dire finalement capable d'unifier la diversité des sciences humaines et de leurs objets, en une seule science et en un seul objet. Marx avait cru pouvoir le faire avec le matérialisme historique, c'est-à-dire en admettant que tous les déterminismes socio­culturels sont d'une certaine façon réductibles au détermi­nisme économique.

1. On distinguera ici les deux sens du mot histoire, par l'emploi des guillemets ; dans un tout autre contexte, Heidegger fait une distinction analogue entre Geschichte (histoire) et Historie (recherche « historique «).

2. En grec historia.

3. Voir Bacon ; cette classification est encore celle de d'Alembert dans le Discours préliminaire de l'Encyclopédie.

4. Sur le rôle et les problèmes de l'a histoire « des idées, voir épistémologie, idéologie, Foucault.

5. « Economies, sociétés, civilisations «, tel est, le sous-titre programmatique de la revue Annales d histoire économique et sociale, fondee en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch.

6. Au début du siècle, Weber définissait encore l'histoire comme interprétation subjective (compréhension) des événements.

7. D'où la question traditionnelle : l'histoire a-t-elle un sens?

8. Cf. Braudel « La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l'époque de Philippe II «, rééd. 1966, Écrits sur l'histoire, 1969.

9.  S'il y a une approche structurale des êtres historiques (Foucault), il n'y a pas de structuralisme « historique «, car l'« histoire « des structures ne saurait être structurale :

« l'analyse structurale concède «                 l'histoire « une place de premier plan : celle qui revient de droit à la contingence irréduc­tible. Pour être valable, une recherche tout entière tendue vers les structures commence par s'incliner devant la puissance et l'inanité de l'événement « (Levi-Strauss). ,

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