INNÉ - INNÉISME___________________________
Étymologiquement, l'inné est ce que l'on possède en naissant, et s'oppose à l'acquis. Savoir s'il y a en l'homme de l'inné pose la question de savoir s'il y a une nature humaine. L'inné peut servir à caractériser un instinct, une capacité qui appartient à la nature
humaine ; en ce sens, l'opposition inné/acquis peut être remplacée par l'opposition universel/contingent, ou l'opposition biologique (naturel)/ culturel. L'inné peut servir à caractériser un don individuel ; en ce
sens, l'opposition inné/acquis peut être remplacée par l'opposition intelligence/mémoire, ou nature propre/conditionnement. Cette notion est le lieu de problématiques complexes et embrouillées : les couples d'opposition par lesquels on remplace le couple inné/acquis
sont susceptibles d'intervertir leurs termes selon l'interprétation qu'on leur donne.
On peut caractériser l'innéisme non comme une doctrine particulière, mais comme l'orientation générale des réponses à deux problèmes qui, s'ils sont distincts par leur visée et leur formulation, ne sauraient cependant admettre de solutions divergentes :
1 — L'innéisme est d'abord une orientation générale des réponses possibles concernant la question des rapports du biologique (du corporel) à certaines activités qui sont celles-là mêmes par lesquelles on définit l'homme. Tel est l'innéisme de type cartésien. Pour Descartes, l'esprit humain possède des germes de la vérité sous forme d'idées
innées ; il ne s'agit pas de l'innéité d'un contenu, les idées innées ne diffèrent pas de la faculté de penser, et Descartes les compare à ces maladies auxquelles certaines familles semblent prédisposées. L'innéisme repose sur le double refus de faire dépendre la pensée du mécanisme corporel, et d'expliquer haniversalité et la nécessité des connaissances par l'expérience (il équivaut à la réminiscence ; voir Platon). Il revient à affirmer que, si on ne pose pas qu'il y a en l'homme quelque chose d'inné, une faculté proprement humaine, on ne pourra jamais expliquer la pensee et le langage ; il s'ensuit que l'on doit admettre que :
— l'homme n'est pas une machine ;
2 — le conditionnement externe (l'expérience) ne saurait en aucun cas expliquer que l'homme pense ou parle. L'opposition de l'inné et de l'acquis est celle du spirituel au matériel, et de l'universel au contingent ; comme le culturel est spirituel, il possède des déterminations innées. L'innéisme permet d'affirmer la spécificité de l'homme et son indépendance par rapport à la matière dans une perspective idéaliste à laquelle s'oppose l'empirisme (Locke, Condillac).
2 — L'innéisme est ensuite une orientation générale des réponses possibles concernant la question des rapports des determinismes individuels (biologiques ou autres) aux déterminismes sociaux (culturels). C'est ainsi que le sens commun oppose l'élève doué à ses condisciples, le génie au commun des hommes, en posant qu'il y a en chacun d'eux quelque chose de spécifique qui les distingue des autres. On peut chercher à rattacher cette spécificité à l'hérédité, en invoquant, par exemple, les familles des grands créateurs (les Bach, les Bernouilli, etc.). Une telle conception peut servir à justifier les inégalités sociales, voire la ségrégation raciale. C'est souvent pour des raisons sociales et politiques qu'on la combat. On cherchera ainsi à opposer au déterminisme nécessairement individuel et ségrégatif du don, des déterminismes culturels qui, portant sur des individuspar définition semblablês, ne sont ségrégatifs que dans des contextes sociaux déterminés. Mais pour justifier cette position, on doit montrer que :
I — seuls les traits biologiques sont soumis à hérédité ;
2 — ces traits n'ont pas d'influence sur certaines activités humaines ;
3 — de façon plus générale, tous les phénomènes culturels constituent un ordre de réalité indépendant des données biologiques. C'est le refus de l'innéisme qui, en faisant de l'homme un être historique, le libère des contraintes naturelles. L'opposition de l'inné à l'acquis n'est plus opposition de l'imiversel au contingent, mais du déterminé à l'indéterminé.
Sous ces deux aspects, le problème de l'innéisme n'est pas un problème historiquement dépassé ; le linguiste Chomsky se réclame de Descartes, et le rejet des déterminismes biologiques caractérise tant le marxisme que l'existentialisme (cf. le refus sartrien d'une nature humaine). La discussion est souvent confuse ; les arguments contre l'innéisme (enfants sauvages, diversité des contenus culturels) et les arguments pour (universaux culturels, nécessité de faire une place à la structure biologique) ne partent souvent pas des mêmes problèmes. L'inné n'est pas seulement une question scientifique, dont on pourrait paisiblement attendre la solution de la biologie, de la psychologie, de la linguistique, etc., c'est une valeur dont le refus global ou l'acceptation conditionne une attitude morale ou politique, et à laquelle l'allusion la plus anodine ne saurait être neutre (ainsi admettre l'innéité d'un instinct maternel, c'est en faire une valeur dont la transgression est un crime).