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MATHÉMATIQUES

Publié le 02/04/2015

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MATHÉMATIQUES

Les mathématiques sont à bien des égards des sciences exemplaires. Leur existence est ancienne ; elles constituent un modèle de rigueur et de certitude ; jamais elles n'ont été remises en question : un énoncé mathématique semble être une vérité éternelle, en ce qu'il apparaît démontré une fois pour toutes, quand bien même la configuration des mathématiques, en variant au cours de l'histoire, lui donne des fonctions et des significations différentes. L'essor de la physique à partir de Galilée, puis successivement celui des autres sciences (y compris des sciences humaines) a peu à peu montré qu'une science n'était science qu'autant qu'elle était mathématisée. Cette situation appelle un questionnement philosophique dont l'horizon est toujours plus ou moins la détermination de ce qui constitue cette certitude et cette rigueur exceptionnelles et la raison de cette extension quasi universelle.

1.   Intuitionnisme et formalisme classiques

La réponse à ce questionnement peut être produite en prétextant la nature des êtres mathématiques : dans le monde, nous rencontrons des cailloux et des arbres, nous ne rencontrons jamais le nombre 2. Platon par exemple place les « êtres mathématiques « (« le nombre «, le « cercle «, etc.) entre les idées et le monde sensible, et leur donne ainsi existence et perfection. Mais la tentative la plus carac­téristique -est peut-être celle de Descartes, car elle est contemporaine de la mathématisation de la physique. Le fondement de la mathématique cartésienne tient en trois points :

1— La vérité dépend de l'évidence des idées claires et distinctes : une idee n'est vraie que pour autant que son contenu épuise entièrement l'essence dont elle est la repré­sentation.

2 — C'est le propre des essences mathématiques de pouvoir ainsi être livrées sans résidu, d'être des « natures simples «, objets d'intuition intellectuelle.

3 — t'espace réel est l'étendue géométrique, et il y a en tout être des dimensions par lesquelles il est mesurable.

Ce dont parle la mathématique et ce qui fonde sa certitude, c'est un type d'être particulier, la quantité, qui constitue un aspect fondamental du réel et peut en être abstraite (1). On peut qualifier cette position d'intuitionnisme : la science mathématique est vraie et certaine parce qu'elle porte sur des objets, qui ont un mode particulier de relation à l'esprit qui les pense ; la méthode mathématique (construction de figures, calcul arithmétique et algébrique) exprime la spécifi­cité de cette relation. A l'inverse, on pourrait chercher la justification des mathématiques dans la constitution du langage qui les exprime ; les mathématiques tiennent alors leur rigueur et leur certitude de leur forme discursive ou logique, conçue indépendamment de l'objet réel ou idéal auquel cette forme est susceptible d'être rapportée. Ce formalisme dont le principal représentant est Leibniz, cherche à exprimer le raisonnement mathématique dans un calcul logique, et en conçoit l'extension à tout le réel comme l'universalité d'une forme. Dans la tradition classique, le débat entre le formalisme et l'intuitionnisme, rarement aussi tranché que dans l'opposition de Leibniz à Descartes, se traduit philosophiquement dans la tentative de déterminer les parts respectives dans le raisonnement mathématique de l'intuition géométrique et du raisonnement logique (2).

2.   La révolution mathématique et le formalisme

Vers le milieu du XIXe siècle, deux faits nouveaux apparaissent dans la pratique des mathématiciens. On commence à élaborer la théorie des fonctions analytiques à partir des nombres réels ; par là, disparaît le rôle qu'y pouvait jouer l'« intuition « (c.-à-d. la représentation géomé­trique). La tentative de démontrer par l'absurde le postulat euclidien des parallèles (par un point passe une seule paral­lèle à une droite donnée) aboutit a la constitution de géométries qui comportent une négation de ce postulat sans etre contradictoires ; par là la géométrie est libérée de tout résidu concret (3). La mathématique, dans ce dernier cas, prend pour thème de recherche le système des énoncés qu'elle produit, et renoue avec la tradition logique à laquelle appartenait l'axiomatique euclidienne. Dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe, les mathématiques prennent un aspect nouveau ; on déploie des théories (ex.: théorie des groupes) qui porte moins sur des êtres, ontologiquement ou mathématiquement déterminés (figures, nombres) que sur le réseau des opérations qui règlent leur maniement, sur des structures ; on élabore peu à peu le concept d'ensemble, et par là apparaît la possibilité d'enchaîner déductivement toutes les mathématiques à partir d'un nombre restreint de concepts primitifs. Quand Frege parvient à définir le concept de nombre naturel (les entiers positifs et zéro) à partir de la notion d'extension de concept, la philosophie des mathématiques prend un aspect nouveau que caractérise assez bien le logicisme : on croit pouvoir construire déductivement toutes les mathématiques à partir

d'un langage logique élémentaire. Dès la découverte des paradoxes de la théorie des ensembles (4), l'axiomatisation devient une activité essentielle du mathématicien ; elle ne répond pas seulement au projet logiciste — qui n'est qu'une certaine façon d'aborder la question supposant qu'on passe continûment de la logique aux mathématiques (5). La certi­tude et la rigueur des mathématiques n'apparaissent plus comme un fait, leur fondement devient un problème, et c'est un problème intra-mathématique dont la formulation constitue ce qu'on appelle le programme de Hilbert (6).

Fonder les mathématiques apparaît comme une tâche ; il s'agit :

1— De construire un système formel (7) dans lequel il serait possible de déduire toutes les mathématiques connues à partir d'un nombre minimum d'axiomes, et de règles de déduction parfaitement définies ; par là serait exclu tout recours à l'intuition ;

2 — De démontrer la non-contradiction de ce système ; comme cela ne peut se faire sous peine de cercle vicieux dans le système lui-même, il convient de distinguer le système formel (langage-objet) des moyens de démonstration de ses propriétés (méta-langage ou méta-mathématique) ; pour être eux-mêmes assurés, Hilbert pense que ces derniers ne doivent comporter que des procédures finies. Pas plus que le logicisme, le formalisme hilbertien n'est la seule conception possible des mathématiques ; sa formulation montre surtout comment la réflexion sur les mathématiques se trouve elle-même nécessairement l'objet d'un travail mathématique, et comment le formalisme (8) est un moment nécessaire de la pensée mathématique.

3.   Valeur du formalisme

La problématique philosophique des mathématiques

modernes peut être définie par deux types de problèmes :

1— Des problèmes ontologiques : Il s'agit de savoir par exemple si un être mathématique comme le nombre est une entite existant réellement ou un abstrait construit à partir des sensations.

2 — Des problèmes techniques : Il s'agit de construire le système d'énoncés le plus économique possible qui permette de déduire toutes les mathématiques en évitant les paradoxes.

Ces deux types de problèmes ne sont pas indépendants, comme on peut le voir sur l'exemple des théories « intuition-nistes « modernes (Brouwer, Heyting). Les « intuitionnistes « soutiennent que pour qu'on accorde l'existence à un être mathématique, il faut être capable de le construire effecti­vement (9) ; ils sont alors conduits à rejeter des mathéma­tiques les êtres dont on démontrerait simplement l'existence

par l'absurde ; cela les entraîne à refuser les ensembles infinis (10), à construire pour rendre compte de leur pratique un système logique qui n'admet pas le tiers exclu (la proposition « P ou non P « est toujours vraie). Ils sont aussi amenés à refuser certains axiomes de la théorie des ensembles (11).

Quelle que soit la philosophie des mathématiques préconisée (logicisme de Frege, de Russell, intuitionnisme, nominalisme de Carnap, formalisme hilbertien), elle a pour but d'expli­citer la pratique mathématique, et se définit toujours par rapport à un certain formalisme : c'est pourquoi l'échec du programme de Hilbert marque un tournant important. La réalisation de ce programme s'est heurtée à deux faits :

1 — K. Gôdel devait démontrer l'impossibilité de prouver la non contradiction d'un système contenant l'arithmétique finie (12).

2 — La 'constitution de plusieurs axiomatiques de la théorie des ensembles a montré le relativisme de toute axiomatique : aucune ne peut prétendre épuiser le champ de la pratique

mathématique. Ne doit-on pas en conclure qu'une philo­sophie des mathématiques correcte ne peut être que l'épisté­mologie de cette discipline (13) ? On ne peut définir la mathématique en dehors des enchaînements opératoires par lesquels elle se constitue dans une histoire où la formali­sation n'est qu'un moment privilégié. Le rapport au réel de cette science abstraite n'est pas alors un problème insurmon‑

table. La mathématique ne descend pas toute faite du ciel platonicien, son histoire, pour avoir un rythme propre, n'est pas indépendante de celle des autres sciences (ex. : la décou­verte du calcul infinitésimal est étroitement liée aux progrès et aux problèmes de la physique pré-newtonienne). La mathématique ne demeure pas dans le ciel platonicien ; les

sciences du réel sont mathématisées. C'est à la fois l'aspect nouveau des mathématiques contemporaines et leur rôle dans toute pensée scientifique, que l'on entend désigner lorsqu'on

affirme qu'elles sont la science des structures les plus générales.

1. Ce qui a pour conséquence d'assurer en droit la mathéma­tisation de la physique, mais à l'inverse d'exclure le non-quanti­tatif de la science. Voir Bergson.

2. De façon générale, la philosophie classique ne conçoit pas les mathématiques indépendamment de l'intuition géométrique : pour Kant c'est parce que l'espace est une forme a prion de notre sensibilité que les mathématiques sont universelles et certaines, c'est-à-dire constituées de jugements synthétiques a priori.

3. La géométrie euclidienne passe pour la science de l'espace perçu (cf. Kant), il est clair qu'une géométrie qui n'y correspond pas est immédiatement comprise en dehors de tout rapport au concret, même si dans le fond cette interprétation est arbitraire.

4. Le plus célèbre est sans doute le paradoxe de Russell : Soit l'ensemble de tous les ensembles qui ne se contiennent pas eux-mêmes ; supposons qu'il se contienne lui-même, alors il ne doit pas se contenir lui-même ; supposons qu'il ne se contienne pas lui-même, alors il doit se contenir lui-même.

5. Voir Russell.

6. Mathématicien allemand (1862-1943) ; en 1899, il donne une axiomatisation de la géométrie (Fondements de la Géométrie) et en 1900 de l'arithmétique (Sur le concept de nombre).

7. Voir dans le § 4, de l'article ontologie, le schéma d'un système formel.

8. On peut nommer formaliste au sens général toute conception qui fait de l'ensemble des mathématiques un système déductif tenant sa valeur de cette seule forme ; telle est la conception de N. Bourbaki, pseudonyme d'un groupe de mathématiciens français gui ont entrepris depuis 1940 la publication d'Eléments de Mathematiques reprenant toutes les mathématiques axiomati-quement.

9. La notion de construction joue un rôle fondamental dans la philosophie des mathématiques ; on peut en effet admettre qu'une entité (par exemple le nombre), est donnée, qu'elle subsiste indépendamment du fait qu'on la pense (cas du plato­nisme) ; on peut aussi admettre qu'elle est construite à partir de données élémentaires selon des procédures définies ; la nécessité d'éviter les paradoxes conduit tous les mathématiciens à accorder une place importante à la construction ; le construc­tivisme pose que les seuls êtres mathématiques dont on peut admettre l'existence sont ceux qu'on petit effectivement construire. La définition de cette effectivité peut varier. Les intuitionnistes pensent l'assurer par une certaine conception des actes possibles à l'esprit humain.

10. Le raisonnement suivant fera peut-être mieux comprendre le problème : Considérons le développement infini des décimales de iT = 3,14 ... Dans ce développement, le nombre 1 a un nombre fini ou infini d'occurences ; il en est de même pour tous les nombres de 0 à 9 ; comme la suite est infinie, il y a au moins un nombre qui a une infinité d'occurences. On ne peut pas savoir réellement quel il est ; peut-on légitimement en parler et s'en servir dans un raisonnement ultérieur ? Les intuition-nistes répondent non, ce pourquoi ils se disent intuitionnistes.

11. Par exemple l'axiome de choix qu'on peut formuler ainsi étant donné une famille d'ensembles donnés disjoints et non vides, il est possible de former un ensemble constitué en prélevant un élément dans chacun d'entre eux ; dans le cas d'une infinité d'ensembles, on ne peut en effet construire effecti­vement l'ensemble en question.

12. Voir Cavaillès et dans le Vocabulaire, consistance et complé­tude.

 

13. Voir Desanti.

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