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que voir en premier -s'est transformée en dispute.

Publié le 06/01/2014

Extrait du document

que voir en premier -s'est transformée en dispute. Je ne comprends pas pourquoi il est toujours furieux contre moi, a fulminé Andrew, un soir, de retour à l'hôtel, à propos de Matt. Comme Matt avait toujours été une énigme pour moi - nous étions proches par l'âge, mais au cours des réunions de famille, nous n'avions plus grand-chose à nous dire depuis longtemps - je n'avais rien pu répondre. Nous avons commencé par la Pologne, plutôt que d'aller directement en Ukraine, à Bolechow, à cause d'une chose que je voulais faire, et en partie à cause d'une chose qu'Andrew voulait faire. Je voulais commencer ce voyage de cette façon parce que j'étais impatient de rouler à travers ce qui avait été la Galicie, la province d'où tant de Juifs américains sont originaires. Si nous partions de Cracovie, la ville la plus occidentale de la Galicie et où la mère de mon père, ma grand-mère Kay, était née (une femme qui, comme ma mère, a élevé quatre garçons, certains d'entre eux ne parlant pas à certains autres), et roulions vers l'est en direction de L'viv, nous pourrions traverser toute la province. Comme je ne cessais de me le rappeler, je m'intéressais à la vie du Pays d'Autrefois, pas seulement à sa mort, et je voulais voir à quoi ressemblait la Galicie, quelle en était la topographie, quels genres d'arbres et d'animaux y vivaient. De quel genre d'endroit venait ma famille. Mais nous étions aussi venus ici en premier parce que, de Cracovie, on est à une heure d'Auschwitz, et Andrew, en particulier, voulait voir Auschwitz. Même s'il ne s'était pas toujours intéressé à l'histoire de la famille, comme j'avais pu le faire, Andrew s'est engagé avec enthousiasme pour ce voyage et, avant notre départ, il a passé des mois à s'immerger dans la littérature de l'Holocauste, des livres sur les Juifs de l'Europe de l'Est et sur l'histoire de la Pologne et de l'Ukraine. Ce n'était pas surprenant. Ses intérêts ont toujours été multiples, plus nombreux, je crois, que ceux des autres réunis- Peut-être en raison du sens des possibilités illimitées que possède le premier-né, il s'est jeté sur tout, de la culture de diverses espèces de rhododendrons à la construction de meubles, en passant par la collection d'estampes japonaises, avec un enthousiasme sans borne. Ilest grand, brun à la peau claire, et a un visage qui n'est pas sans rappeler celui décrit sur un vieux passeport de la famille, daté de 1920 - visage : ovale, couleur de la peau : claire, nez : droit. Il joue du piano, à un très bon niveau, du clavecin, de la flûte à bec, au tennis. Comme il arrive souvent dans les familles nombreuses, nous avons adopté très tôt, enfants, ou bien nous a-t-on donné ce que j'ai considéré pendant longtemps comme des « étiquettes ». Moi, avec mes cheveux noirs frisés, mes yeux bleus et mes cernes profonds, j'étais Mauvais en math, mais bon en anglais et en français ; Matt, blond, les yeux ambre, avec un grand sourire habituellement réservé, pendant son adolescence combative, à des gens extérieurs à la famille, et déjà une sorte de héros au lycée pour les photos qu'il avait prises de l'équipe de football, des élèves, des professeurs, était Rebelle mais secrètement sensible ; Eric, avec sa tignasse de cheveux bruns et ses yeux noisette attentifs, ses liasses de dessins macabres et délicats qu'il produisait déjà à l'âge de douze ou treize ans, avec leurs légendes troublantes (« Arrêtez de Me Suivre ou Je Demande à ma Bonne de Vous Étrangler »), était, comme tout le monde le savait, L'Artiste, même s'il était aussi Le Plus Drôle de la Famille. Et Jen, la benjamine, l'unique fille longtemps attendue, vive, brune, petite, avec des yeux (disaient les vieux parents juifs) comme des cerises noires, major de sa promotion, violoncelliste, écrivain, était La Star. Mais pour moi, qui ai passé les quinze premières années de ma vie à dormir à soixante centimètres de lui, à l'écouter en train d'écouter ses matchs de hockey, à me demander comment on pouvait être aussi bon en math, en science, en anglais et en sport, Andrew était simplement Bon en Tout. Ce ne fut pas donc une surprise qu'il en ait su autant que moi sur Bolechow au moment où nous sommes partis pour L'viv. C'était lui, après tout, qui m'avait fait le précieux cadeau des Memoirs of Ber of Bolechow. Pendant les mois qui ont précédé le voyage, en août en particulier, il n'a cessé de m'envoyer des e-mails pour me signaler les noms des livres qu'il avait lus et dont j'aurais dû, estimait-il, faire 1'acquisition : Bitter Harvest: Life and Death in Ukraine under Nazi Rule, ou encore Masters of Death: The SSEinsatzgruppen and the Invention of the Holocaust. Je les ai achetés, bien entendu. Et donc, puisque Andrew voulait y aller et puisque Andrew demande rarement quoi que ce soit ; et puisque Matt pensait pouvoir faire quelques photos intéressantes ; et puisque Jennifer, qui avait récemment fait sa propre étude de la vie et de la religion juives, et qui allait bientôt être l'unique membre de ma famille à épouser un Juif, était intéressée elle aussi ; en raison de toutes ces choses qui étaient importantes pour mes frères et ma soeur, nous sommes allés à Auschwitz, le premier jour de notre arrivée en Pologne. J'étais le seul à ne pas avoir voulu y aller. J'étais méfiant. Pour moi, Auschwitz représentait le contraire de ce qui m'intéressait et - comme j'ai commencé à m'en rendre compte le jour où je suis allé à Auschwitz - de la raison pour laquelle j'avais fait ce voyage. Auschwitz, désormais, est devenu, en un seul mot, le symbole géant, la généralisation grossière, la formule consacrée de ce qui est arrivé aux Juifs en Europe - même si ce qui s'est passé à Auschwitz n'est pas arrivé, en fait, à des millions de Juifs dans des endroits comme Bolechow, des Juifs qui ont été alignés et abattus au bord de fosses communes ou, échappant à ça, ont été envoyés dans des camps qui, à la différence d'Auschwitz, n'avaient qu'un but, des camps qui sont moins connus du public, précisément parce qu'ils n'offraient pas d'autre issue que la mort et ne laissaient par conséquent aucun survivant, aucune mémoire, aucune histoire. Mais, même si nous acceptons Auschwitz comme symbole, ai-je pensé en arpentant son périmètre si étrangement paisible et impeccablement soigné, il y a quelques problèmes. C'était pour sauver mes parents des généralités, des symboles, des abréviations, pour leur rendre leur particularité et leur caractère distinctif, que je m'étais lancé dans ce voyage étrange et ardu. Tués par les nazis - oui, mais par qui exactement ? Effroyable ironie d'Auschwitz - je m'en suis aperçu en traversant les salles remplies de cheveux humains, de prothèses, de lunettes, de bagages destinés à ne plus aller nulle part -, l'étendue de ce qui est montré est tellement gigantesque que le collectif et l'anonyme, l'envergure du crime, sont constamment et paradoxalement affirmés aux dépens de toute perception de la vie individuelle. Naturellement, c'est utile puisque,  même encore aujourd'hui, même lorsque les survivants racontent leurs histoires à des gens comme moi, il y en a d'autres, nous le savons bien, qui veulent minimiser l'importance de ce qui s'est passé, et même nier que cela a eu lieu, et lorsque vous marchez dans un endroit comme Auschwitz, que vous errez dans l'immense plaine vertigineuse où se dressaient autrefois les baraquements, que vous parcourez la grande distance qui les séparent de l'endroit où se trouvaient les crématoriums, et de là jusqu'aux nombreuses, très nombreuses, pierres commémoratives qui vous attendent, représentant les morts innombrables de vingtaines de pays, il devient possible de comprendre comment tant de gens ont pu passer par ici. Mais pour moi, qui étais venu pour apprendre quelque chose sur six parmi six millions, je ne pouvais m'empêcher de penser que l'immensité, l'échelle, la taille étaient un obstacle, plutôt qu'un véhicule, pour l'illumination du petit pan d'histoire qui m'intéressait. Il y avait aussi (ai-je pensé alors que nous passions, par une matinée humide et dans une atmosphère envahie par les moustiques, l'entrée béante du poste de garde en contournant un groupe de touristes Scandinaves) le problème de la surexposition. Pendant que nous marchions, nous avons remarqué que tout nous paraissait familier : le portail, la voie de garage, les baraquements, le barbelé électrifié avec les pancartes d'avertissement en allemand encore intactes, et le plus insigne, le portail, étonnamment petit - comme c'est le cas curieusement de tant de monuments célèbres quand vous finissez par les voir de près -, où vous lisez arbeit macht freí qui, tout en étant une tromperie du genre sardónique si cher aux nazis, s'est révélé plus véridique à Auschwitz que les pancartes similaires au camp de Belzec, par exemple, où il n'y avait plus qu'une seule destination après la descente du wagon à bestiaux. Tout cela a été reproduit, photographié, filmé, diffusé et publié si souvent qu'au moment où vous y êtes, vous vous retrouvez en train de regarder ce qu'il est difficile de ne pas considérer comme des « attractions », des vitrines de prothèses, de lunettes ou de cheveux, comme vous regarderiez plus ou moins l'apatosaurus récemment reconstruit au Natural History Muséum. Et donc, pendant que je marchais dans Auschwitz, je me débattais avec la question de savoir pourquoi aller voir des endroits pareils comme un touriste. Pas pour apprendre, au moins de façon générale, ce qui s'y est passé ; car quiconque vient à Auschwitz et dans les nombreux sites du même genre sait ce qui s'est passé. Et certainement pas pour se faire une meilleure idée de « ce que c'était », comme si en voyant l'architecture ou en percevant les dimensions de l'endroit, en sachant combien de temps il fallait pour aller du point A au point B, on pouvait mieux comprendre l'expérience de ceux qui étaient venus ici non pas dans des cars de tourisme climatisés, mais dans des wagons à bestiaux. Non. Sans doute parce que je suis le fils d'un père homme de science et d'une mère née dans une famille émotive et nostalgique, je ne vois apparemment que deux raisons d'aller dans un endroit comme Auschwitz. La première est scientifique et juridique : le site dans son ensemble est une preuve géante et, de ce point de vue, voir les piles de lunettes ou de chaussures, plutôt que de le savoir simplement ou de ne voir que des photos ou des vidéos de ces piles de lunettes, de chaussures et de bagages, est plus utile pour transmettre ce qui s'est passé. La seconde est sentimentale. Car l'autre raison d'aller à Auschwitz est celle qui vous fait aller dans un cimetière, ce qu'Auschwitz est aussi : pour reconnaître les revendications des morts. C'est ce qui me préoccupait après que je suis sorti du musée des cheveux, des chaussures et des prothèses, et que je me suis retrouvé sous le crachin à attendre mes frères et ma soeur. Un troupeau de grands blonds - des Suédois ? des Norvégiens ? -, qui portaient tous des sacs à dos avec des petites bouteilles d'eau saillant d'une poche, approchait de l'endroit où je me trouvais, juste devant les baraquements des femmes, et c'est à ce moment-là - alors que j'étais en train de lire une plaquette qui racontait comment des exécutions sommaires avaient eu lieu dans ce qui semblait à présent une petite cour assez peu inquiétante, qui n'aurait pas paru déplacée dans n'importe quelle école élémentaire américaine - c'est à ce moment-là qu'une jeune femme à côté de moi a murmuré, Si je ne trouve pas une bouteille d'eau, je vais m'évanouir ! Auschwitz a donc toujours été pour moi un prélude. Nous savions, en regardant, cet après-midilà, le célèbre fil barbelé dont il est possible de faire de magnifiques compositions artistiques, en contemplant le panorama célèbre des voies de garage qui disparaissent dans le lointain, dans ces photos célèbres, avec la même inéluctabilité raisonnable de l'espace et de la distance que l'on trouve dans la perspective des peintures de la Renaissance - L'Ecole d'Athènes, par exemple - à travers un portique ouvert sur un point de fuite qui était en effet un point d'évanouissement ; en regardant ces piles de chaussures, de lunettes et de prothèses, parfaitement préservées derrière les vitres ; et puis en regardant, le lendemain matin, les synagogues vides du quartier Kazimiersz de Cracovie, l'ancien quartier juif où était née la mère de mon père, dans un autre monde, incroyablement grouillant, où les touristes allemands, américains et suédois circulaient aujourd'hui, avec une attention polie, parmi des silhouettes en carton de Juifs, grandeur nature, dans des attitudes rigides et pieuses de dévotion religieuse, tandis que des enregistrements de prières en hébreu bourdonnaient dans le fond, qui me rappelaient les visites de mon enfance à l'American Museum of Natural History pour voir les dioramas de dinosaures ; et puis, le troisième jour, en regardant l'architecture résidentielle, à la fois superbe et délabrée, de la ville que je ne pouvais m'empêcher de considérer comme Lwów

« signaler lesnoms deslivres qu'ilavait lusetdont j'aurais dû,estimait-il, faire1'acquisition : Bitter Harvest: Lifeand Death inUkraine underNaziRule, ou encore Masters ofDeath: TheSS- Einsatzgruppen andtheInvention ofthe Holocaust.

Je les aiachetés, bienentendu. Et donc, puisque Andrewvoulaityaller etpuisque Andrewdemande rarementquoiquecesoit ; et puisque Mattpensait pouvoir fairequelques photosintéressantes ;et puisque Jennifer, qui avait récemment faitsapropre étudedelavie etde lareligion juives,etqui allait bientôt être l'unique membre dema famille àépouser unJuif, était intéressée elleaussi ;en raison de toutes ceschoses quiétaient importantes pourmesfrères etma sœur, noussommes allésà Auschwitz, lepremier jourdenotre arrivée enPologne. J'étais leseul àne pas avoir voulu yaller.

J'étais méfiant.

Pourmoi,Auschwitz représentait le contraire decequi m'intéressait et– comme j'aicommencé àm'en rendre compte lejour oùje suis alléàAuschwitz – delaraison pourlaquelle j'avaisfaitcevoyage.

Auschwitz, désormais, est devenu, enun seul mot, lesymbole géant,lagénéralisation grossière,laformule consacrée de ce qui estarrivé auxJuifs enEurope – même sice qui s'est passé àAuschwitz n'estpasarrivé, en fait, àdes millions deJuifs dans desendroits commeBolechow, desJuifs quiont étéalignés et abattus aubord defosses communes ou,échappant àça, ont étéenvoyés dansdescamps qui, àla différence d'Auschwitz, n'avaientqu'unbut,descamps quisont moins connus du public, précisément parcequ'ilsn'offraient pasd'autre issuequelamort etne laissaient par conséquent aucunsurvivant, aucunemémoire, aucunehistoire.

Mais,même sinous acceptons Auschwitz commesymbole, ai-jepensé enarpentant sonpérimètre siétrangement paisibleet impeccablement soigné,ilya quelques problèmes.

C'étaitpoursauver mesparents des généralités, dessymboles, desabréviations, pourleurrendre leurparticularité etleur caractère distinctif, quejem'étais lancédanscevoyage étrange etardu.

Tués parlesnazis –  oui, mais par qui exactement ?Effroyable ironied'Auschwitz – jem'en suisaperçu entraversant lessalles remplies decheveux humains, deprothèses, delunettes, debagages destinés àne plus aller nulle part –, l'étendue decequi estmontré esttellement gigantesque quelecollectif et l'anonyme, l'envergure ducrime, sontconstamment etparadoxalement affirmésauxdépens de toute perception delavie individuelle.

Naturellement, c'estutilepuisque,  mêmeencore aujourd'hui, mêmelorsque lessurvivants racontentleurshistoires àdes gens comme moi,ily en ad'autres, nouslesavons bien,quiveulent minimiser l'importance decequi s'est passé, et même nierquecela aeu lieu, etlorsque vousmarchez dansunendroit comme Auschwitz, que vous errez dansl'immense plainevertigineuse oùsedressaient autrefoislesbaraquements, que vous parcourez lagrande distance quilesséparent del'endroit oùsetrouvaient les crématoriums, etde làjusqu'aux nombreuses, trèsnombreuses, pierrescommémoratives qui vous attendent, représentant lesmorts innombrables devingtaines depays, ildevient possible de comprendre commenttantdegens ontpupasser parici.Mais pourmoi,quiétais venu pour apprendre quelquechosesursixparmi sixmillions, jene pouvais m'empêcher depenser que l'immensité, l'échelle,lataille étaient unobstacle, plutôtqu'unvéhicule, pourl'illumination du petit pand'histoire quim'intéressait. Il yavait aussi (ai-je pensé alorsquenous passions, parune matinée humideetdans une atmosphère envahieparlesmoustiques, l'entréebéanteduposte degarde encontournant un groupe detouristes Scandinaves) leproblème delasurexposition.

Pendantquenous marchions, nousavons remarqué quetout nous paraissait familier:le portail, lavoie degarage, les baraquements, lebarbelé électrifié aveclespancartes d'avertissement enallemand encore intactes, etleplus insigne, leportail, étonnamment petit– comme c'estlecas curieusement de tant demonuments célèbresquandvousfinissez parlesvoir deprès –, oùvous lisez arbeit macht freíqui,tout enétant unetromperie dugenre sardónique sicher auxnazis, s'est. »

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