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RAISON-RATIONALITÉ

Publié le 02/04/2015

Extrait du document

RAISON-RATIONALITÉ____________________________

On peut désigner comme rationnel tel ou tel discours, telle ou telle démarche, les décrire pour montrer en quoi consiste leur rationalité, et de là décider à l'inverse ce qu'est l'irrationnel. C'est l'acte même de désignation qui fait problème : il y a là instauration ou reconnais­sance d'une valeur. La raison n'est jamais saisie dans l'extériorité, elle est toujours présence à soi, adhérence à la démarche où elle se déploie ; c'est pourquoi l'autre de la raison est raison aliénée, c'est-à-dire folie. La question n'est pas seulement de savoir ce qui fait la rationalité (voir science), mais ce qui fait la valeur de la rationalité, comment s'est instaurée cette valeur, et ce que peut représenter sa

critique.

On décrit souvent l'origine de la philosophie comme le passage du mythe à la raison (1), qu'est-ce que ce passsage ? La cosmogonie d'Hésiode explique la naissance (génésis) du monde (cosmos), sa nature (physis, de phytein, enfanter, produire), par l'union sexuelle des divinités (la Terre et l'Océan). La cosmologie ionienne possède la même structure, mais les divinités se transforment en puissances actives, abstraitement conçues, dont la réalité se borne à produire un effet physique déterminé : au lieu de décrire les naissances successives, on définit les principes premiers constitutifs de l'Être. Les ioniens font appel aux modèles techniques, réélaborent les notions de physis et de génésis : la première désigne un principe interne d'émergence à l'Être et de développement, la seconde une origine. Il s'agit désormais non seulement de rechercher par delà le chan­gement l'identique et le stable, mais de rendre à soi-même transparent le mouvement par lequel cette identité parvient à l'intelligibilité : la philosophie va chercher l'Être authen­tique (2) dans la pure abstraction, le logos, terme qui signifie à la fois raison et langage. Au même moment, le langage change de statut ; pour la parole digne d'être énoncée par le sage qui dévoilait aux initiés ce qui devait être dit, la fausseté n'avait pas de sens ; elle en a désormais pour un discours laïcisé, manifeste à tous, et dont la valeur dépend

des techniques (rhétorique, logique) par lesquelles on en construit les phrases afin, de convaincre. L'émergence de la rationalité (« le miracle grec «) n'est pas née de rien : la laïci­sation de la vérité correspond dans les cités grecques à la naissance du citoyen, c'est-à-dire à l'avènement d'une pratique démocratique, qui fait du débat public l'essentiel de la vie politique. On comprend alors le triple caractère de la rationalité :

1 — Elle est exclusive, c'est-à-dire qu'elle rejette hors d'elle le mythe, la religion, en se présentant comme connaissance authentique de la réalité.

2 — Elle correspond à des normes discursives dans le déploiement du savoir.

3 — Elle répond à une certaine structure sociale, à une certaine insertion du savoir dans la société.

·      L'histoire de la philosophie peut être considérée comme la tentative constante pour la rationalité de s'authentifier elle-même : il s'agit de définir ce type de discours cohérent, compréhensible et admissible par tous, qui seul est suscep­tible de décrire l'Être, de montrer où se rencontre ce discours, et pourquoi on le doit préférer aux autres (au discours révélé de la foi, comme à l'illusion de l'imagi­nation).

Les noms et les types de la rationalité ont varié (3),• ses justifications aussi : correspondance du logos et de l'Etre, faculté interne au sujet humain, possibilité effective de dominer la nature et de prévoir l'avenir ; mais toujours les contestations de la valeur de la raison ont porté sur son universalité, qu'il s'agisse de montrer une région de l'Être irréductible à être objet d'une pensée rationnelle — Dieu, les mystères — ou une activité essentielle à l'homme — la passion, le désir, l'inconscient — (4) qui se déploierait hors ou contre toute démarche rationnelle. Depuis que nous définissons la rationalité comme pensée technico-scientifique, cette contestation est contestation de la valeur de la science : Bergson nie qu'elle puisse apporter la connaissance de la qualité ; les nietzschéens en considérant son exclusivité, y voient avant tout une attitude de refus contraire à la vie ; les modernes qui ont découvert le relativisme sociologique des formes de pensée, en font une production spécifique de la culture occidentale, ni plus ni moins valable que les autres. Si tout n'est pas pensable dans l'universalité d'une raison, rien de ce qui ne l'est pas ne pourra être dit qui vaille pour tous : l'irrationalisme signifie-t-il autre chose que l'affir­mation selon laquelle il y aurait de l'indicible ? Comment saurions-nous qu'il y a de l'indicible, sinon à le confondre avec le non-dit ?

1.  Voir présocratiques ; nous nous inspirons ici des ouvrages de J.P. Vernant cités dans cet article.

2. Voir ontologie.

3. Voir science, objectivité, épistémologie.

4. Ceci manifeste une confusion largement répandue entre la pensée et son objet, le langage et ce qu'il désigne : de ce que le désir ne s'offre pas comme raison à celui qi&le vit, il ne s'ensuit pas qu'il ne puisse être l'objet d'une connlissance rationnelle, pas plus que de ce que la religion ou le mythe sont irrationnels, il ne s'ensuit l'impossibilité pour la raison d'en concevoir le fonctionnement.

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