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Publié le 12/11/2023

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« La vie et l'œuvre d'Edmond Rostand par Émile Faguet (1910) Je l'ai dit souvent et j'ai le regret de le répéter, mais non le repentir de l'avoir cru, puisque je le crois encore, Edmond Rostand, c'est tout 1630, et par conséquent c'est le Romantisme français, je dis le romantisme purement français.

Car il y a eu deux romantismes en France, dont l'un était français et l'autre français aussi, surtout français, mais un peu mêlé d'apports étrangers et un peu défiguré par des influences étrangères et le premier est celui de 1630 et le second est celui de 1820.

Edmond Rostand est un romantique français de 1630 et il réunit en lui tous les éléments divers du romantisme de cette époque-là.

Il va, très exactement, de Corneille à Scarron en passant par Théophile.

Il est sublime, il est précieux et il ne se refuse pas d'être burlesque, dont par parenthèse je ne le blâme point quoique sachant que là est le péril. Le romantisme de 1630 c'était, comme tout ce qu'on appelle romantisme la prédominance de la sensibilité et de l'imagination sur la raison, le raisonnable et le régulier, et j'ajoute une légère prédominance de l'imagination sur la sensibilité.

Il visait au grand, c'est-à-dire aux conceptions pour lesquelles la raison ne suffit pas et qui demandent un transport de l'imagination créatrice, partant de la réalité, mais la dépassant, et ceci est la définition générale de Corneille comme de Shakespeare. Il visait aussi à l'inattendu, à l'imprévu, au rapprochement surprenant d'idées disparates au premier abord, à cet esprit de finesse qui saisit ou qui invente des rapports insoupçonnés entre des choses fort éloignées, pour le vulgaire, les unes des autres.

Et ceci est le subtil, le maniéré, et quand il est dans une certaine mesure juste ou qui paraît juste, le précieux.

C'est Théophile, c'est Cyrano.

Il a beaucoup d'imagination encore dans cet esprit-là, une imagination qui vise au fin au lieu de viser au grand, au délicat au lieu du sublime, mais une imagination très vive, assez forte même, saillante pour ainsi parler et aiguë La Bruyère a bien vu cela quand il nous parle de cet esprit précieux « où l'imagination a trop de part ». Et enfin, par une dégénérescence ou plutôt par une transposition, le précieux, souvent chez les précieux eux-mêmes, exemple Voiture, devenait le burlesque.

Le burlesque, c'est une imagination gaie, drôle, bouffe, qui se moque du précieux, avec les procédés mêmes du précieux ; je dis plus, avec le fond même du précieux, à savoir la recherche de l'imprévu et du surprenant, et par conséquent ce peut être et c'est souvent le précieux se moquant lui-même de lui-même.

Voiture est précieux quand il est sérieux et burlesque quand il s'amuse.

Scarron, qui ne peut être sérieux, est burlesque continuellement, avec de l'imagination gaie qui est incroyable.

Il parodie les précieux, c'est son procédé constant, et il parodie souvent, peut-être toujours, le précieux qu'il avait en lui.

Inutile d'ajouter que cet esprit des burlesques devient très vite et presque forcément un esprit de mots.

La recherche de l'imprévu, des rapports inattendus entre les idées, amène vite les esprits débiles, et aussi les esprits vigoureux en leurs moments de détente, à la recherche des rapprochements de mots, à la recherche des allitérations, des jongleries verbales et des calembours, et ceci n'est point burlesque en soi, mais un des exercices naturels et favoris du burlesque. Toute littérature romantique a comme naturellement et presque fatalement sa littérature précieuse et sa littérature burlesque.

Les groupes romantiques ont toujours 1 eu des précieux et des burlesques, et très souvent même, dans un seul poète romantique, il y a un précieux et un burlesque qui font très bon ménage avec l'homme d'imagination grandiose et grandiloquente.

À la vérité, Corneille n'est jamais burlesque ; mais il est précieux très souvent.

Shakespeare est sublime précieux et burlesque. Hugo est sublime, précieux et burlesque, ce dernier même avec une complaisance extraordinaire et inquiétante.

Il semble que ces trois choses se tiennent. Elles se tiennent en effet.

L'imagination du grand, l'imagination du rare, l'imagination de l'excentrique sont comme trois degrés, et si l'on ne monte pas facilement du dernier au premier, on descend très facilement du premier au dernier en ces moments de production facile où l'on fléchit, sans doute, mais sans se dépayser et en restant encore dans sa nature propre et dans son propre tour d'esprit.

Corneille peut devenir précieux; ce serait absolument impossible à Voltaire. Edmond Rostand a tout cet esprit de 1630.

Il est Cornélien, Théophilien.

Cyranien, Voituriste et Scarronien.

Il est tout le romantisme proprement français.

Je l'ai comparé à Alfred de Musset.

je ne m'en dédis pas, quoiqu'il y ait tout un côté de Musset, et le plus accessible au public, qu'il n'a point ou qu'il a très peu, sur quoi nous reviendrons plus loin; mais il a certainement beaucoup de Musset.

Il a en lui le Musset romantique des Contes d'Espagne et d'Italie il a en lui le Musset shakespearien de Lorenzaccio ; il a en lui le Musset précieux d'On ne badine pas avec l'amour et il a en lui le Musset burlesque de la Ballade à la Lune.

Tous ces Musset-là, si je puis m'exprimer ainsi, qui eussent été tout à fait à leur place et à leur aise de 1630 à 1660 et que comprenait Théophile Gautier, qui a si bien compris lui-même qu'il était lui-même de tous ces Musset-là sont dans Rostand.

Ils sont dans les Musardises dans les Romanesques , si comparables à A quoi rêvent les jeunes filles , dans la Princesse lointaine , si proprement shakespearienne et shakespearienne à la manière de Musset, dans la Samaritaine , qu'on dirait écrite après une lecture de la première partie de Rolla . Rostand est un Musset moins déclamatoire et plus précieux, aussi spirituel et qui rêve de la même façon .

Son tour d'imagination est le même.

Son tempérament n'est pas le même, et nous nous expliquerons là-dessus ; mais son tour d'imagination est le même.

Tous deux sont des romantiques assez spirituels et assez souples pour parcourir tout le registre du romantisme et pour en mêler, à dire ainsi, les éléments avec aisance, avec une maestria fringante et un soupçon d'insolence, aimable encore. Ainsi doué, ainsi marqué par décret individuel de la Providence, Edmond Rostand commença par des vers gais, riants, alertes, simples, verdissants, où l'on sentait comme la démarche alerte, sautillante et bondissante de la jeunesse ou plutôt de l'adolescence.

C'étaient les Musardises, poèmes très ingénieux, la plupart exquis déjà de prestesse, de désinvolture et d'une sentimentalité légère, mousseuse et capiteuse. On parla d'un nouveau Banville ; il fallait parler d'un Banville rajeuni, qui, même pour commencer n'était pas imitateur, qui était de sève forte et fraîche et qui ne deviendrait jamais « le vieux clown ».

Du reste, il était très vrai que ce jeune homme se faisait remarquer par la virtuosité, par la possession déjà complète de son instrument, par le don, si rare, assez dangereux aussi, que Victor Hugo possédait également, dès la vingtième année, de mettre en vers et en vers agréables, absolument tout ce qu'il voulait .

Chez Rostand, comme chez Hugo, comme chez Mozart, l'artiste précédait le poète, phénomène assez rare, dont il n'y a rien à augurer; car il arrive que dans l'artiste précoce un poète ne naît jamais, comme il arrive qu'il y naisse, ou plutôt s'y développe et finisse par prendre la maîtrise; comme il arrive que dans un jeune poète qui est 2 encore artiste maladroit, l'artiste se forme peu à peu et se mette au service du poète à qui désormais ne manque rien.

Les Musardises étaient une promesse significative, intéressante, qui pouvait être décevante, qui pouvait n'avoir pas trompé. Les Romanesques vinrent ensuite.

Edmond Rostand s'était trouvé.

Il s'était trouvé comme poète dramatique, d'abord.

Il l'était essentiellement.

Qui saura dire les rapports étroits, les rapports intimes qui existent entre le romantisme et la poésie dramatique ? Le poète romantique est fait pour le théâtre, il a besoin du théâtre et il ne peut pas se passer du théâtre.

On a dit que le théâtre vit de réalité bien observée.

C'est presque faux; c'est un peu vrai ; c'est surtout faux.

Parce que le théâtre ne laisse pas au spectateur le temps de la réflexion et parce que le spectateur sait qu'il ne l'a pas et prend son parti de ne pas l'avoir, il faut que le théâtre ravisse, transporte, enlève le spectateur, et c'est précisément l'affaire de l'imagination et du mouvement qui est luimême une faculté de l'imagination.

Tous les grands poètes dramatiques sont surtout de grands imaginatifs.

On peut faire du théâtre avec de l'observation, de la raison et de la logique, et les âges qui n'ont pas d'imagination font du théâtre ainsi.

Seulement de leur théâtre il ne reste rien.

C'est l'histoire du théâtre du XVIIIe siècle.

C'est par leurs belles parties d'imagination que Racine et Molière ont réussi sur le théâtre, comme c'est par leurs parties de forte.... »

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