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L'affaire Gabrielle Russier

Publié le 01/04/2019

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L'affaire Gabrielle Russier

 

Au début des années soixante, la libération des moeurs est sensible. On commence à parler d'homosexualité, d'amour libre et d'avortement. Pourtant, la France est encore très traditionnelle, comme en témoigne l'affaire Gabrielle Russier. Enseignante à Marseille, celle-ci s'éprend, en 1968, de l'un ses élèves, mineur, avec lequel elle noue une liaison qui lui vaut d'être condamnée à un an de prison avec sursis. Tandis que les médias s'emparent de l'affaire, le procureur général d'Aix-en-Provence fait appel a minima, risquant de faire ainsi tomber le sursis. Ne supportant l'idée de se retrouver de nouveau en prison, Gabrielle Russier se suicide le 1er septembre 1969. Sa mort suscite une vague d'indignation et inspire \"Mourir d'aimer\" au réalisateur André Cayatte.

« V AFFAIRE GA BRIELLE RUSSIERFOUC ART Les années soixante sont la lente maturation de ce qui abou­ tira à l'explosion de mai 1968.

Au cours des (de­ puis 1950), la France est prospère, elle s'enrichit, se modernise.

Mais elle s'ennuie, selon le mot célèbre d'un éditorialiste du Monde.

Toutes les «aventures», qu'elles soient militaires, coloniales ou maritimes, s'achèvent; l'insolite, l'exaltant ne sont plus que préfabriqués.

Dans cette société qui explose, on commence à jeter tous les bonnets par-dessus tous les moulins.

Tout cela est particulièrement sensible dans le domaine des mœurs: on commence à parler sans gêne de l'amour libre, de l'avortement, de l'homosexualité.

Pourtant, la France profonde n'a pas vraiment bougé, la morale (laïque ou chré­ tienne) reste profondément ancrée.

Et puis, la loi est là, précise et sans détours.

C'est dans ce contexte que va éclater une affaire qui sera un peu comme un point d'aboutissement des générosités et des folies de mai 1968.

Fille d'un avocat à la cour, Gabrielle Russier naît le 29 avril 1937 à Paris.

Sa mère, atteinte de poliomyélite, reste paralysée, et Gabrielle grandit dans un univers triste et studieux de bourgeoisie intellectuelle.

Très bonne élève, elle est aussi passionnée, veut combattre l'injustice, l'hypocrisie, le mensonge.

Elle veut se dévouer, et la voilà cheftaine.

Son héroïne est Antigone: «Je ne suis pas née pour parta�er la haine, mais l'amour.» Etudiante en Sorbonne, elle prépare propédeutique.

Elle a vingt ans.

Elle rencontre alors un jeune ingénieur, Michel Nogues.

C'est un garçon doux, intelligent, mais qui ne perçoit pas sans doute la sensibilité à vif et la fragilité de Gabrielle.

Ils se marient et s'installent -·-···----------·-·-····- --··----------------- � Casablanca, où elle enseigne le français au lycée franco-musulman.

A l'époque, déjà, elle se passionne pour ces grandes questions que sont l'Indochine, le Maghreb, la décolonisation, et elle milite pour l'indépendance de l'Algérie.

En 1959, la voici mère de jumeaux, Joël et Valérie.

Elle semble heureuse; pourtant il y a déjà comme un fossé entre les époux.

En 1961, retour en France, et c'est le divorce, à l'amiable.

Gabrielle décide de reprendre ses études et s'inscrit à la faculté des lettres d'Aix-en-Provence.

Elle a vingt-cinq ans.

Elle est enchantée de l'at­ mosphère détendue, et s'épanouit dans une vie d'étudiante où elle se montre brillante.

Elle est considérée comme anticonformiste, et pleine d'enthousiasme pour les causes qui lui sont chères.

En 1964, elle est diplômée d'études supérieures avec un mémoire sur le Nou­ veau Roman, puis elle prépare l'agrégation.

Tout en travaillant avec méthode, elle s'occupe de ses enfants, dont elle a la garde.

Elle échoue en 1966, mais est reçue avec aisance l'année suivante.

Parmi les professeurs qui la félicitent, un couple dont elle partage les idées d'extrême gauche: lui est professeur de phonétique, elle de lettres.

Ils ont un fils de seize ans, Christian ...

À la rentrée scolaire de 1967, Gabrielle Russier est nommée professeur de français au lycée Saint-Exupéry de Marseille et loue un appartement dans le quartier Saint-Antoine.

La voici donc, passion­ née, au milieu de ses élèves de seconde et de première.

Tout de suite, elle les subjugue: pas de cours magistraux, mais des débats très , où l'on refait Je monde et la littérature.

Le dialogue avec cette prof si «sympa>> se prolonge par des lettres ou des visites: on lui écrit, elle répond longuement, et puis elle reçoit chez elle un groupe de travail où l'on discute de tout, mais surtout de littérature.

Dans ce groupe composé essentiellement de garçons, le plus assidu est Christian, le fils de ses collègues et amis de la faculté.

Il a maintenant dix-sept ans, c'est un immense gaillard au regard sombre, abondamment barbu.

Il fait nettement «plus que son âge».

Bientôt, les regards sont plus appuyés, les sourires complices.

Les cœurs cha­ virent.

Ni l'un ni l'autre ne veulent voir la situation en face, et simple­ ment raisonner: aux yeux de la loi, l'amour est impossible entre un professeur de trent�deux ans, fonctionnaire, mère de deux enfants, investi par l'Académie de l'autorité et du prestige, et un grand élève de dix-sept ans dont les idées révolutionnaires n'empêchent pas une réalité: il est pénalement et civilement mineur.

Et puis tout se confond dans l'orage de mai 68, tout semble possible, d'autant que Gabrielle, Christian et ses parents communient dans le même enthousiasme, défilent derrière les mêmes drapeaux.

Pendant toutes ces journées-là, les camarades de Christian aussi bien que les collègues de Gabrielle se rendent compte de ce qui se passe, mais peu importe.

Et puis arrive d'abord la douche froide des élections de juin ...

et aussi les vacances.

Les parents de Christian, qui savent parfaitement à quoi s'en tenir, et considèrent qu'après tout il faut bien que s'accomplisse la «révolution sexuelle», ne s'alarment pas.

Ce ne sera qu'une passade.

Pourtant, le rêve se poursuit pour les amants.

Gabrielle est au comble de la joie : - J'ai découvert la perfection de l'amour, dit-elle.

En juillet, Christian part pour l'Allemagne.

Gabrielle l'y rejoint.

En août, c'est l'Italie, en camping.

Et Gabrielle écrit à une amie: - J'aurais tant de choses à te dire qui ne se peuvent s'écrire: trop long, et trop compliqué ...

Mes élèves m'ont rendu mes quinze ans (la méchanceté en moins, je crois).

Mais à la rentrée, les parents s'alarment.

Et puis ils sont communistes, Gabrielle est maoïste, il y a un léger froid.

Un matin, les amants se présentent, main dans la main, à la villa des parents de Christian: - Nous voulons vivre ensemble, dit le garçon.

- Oui, nous nous aimons et nous sommes prêts à nous marier, pré- cise son professeur.

Cette fois, les parents se rebellent.

Une liaison, d'accord, mais en espérant que cette amourette, peu à peu, s'éteindrait d'elle­ même.

Mais c'est méconnaître la force de cette passion, et le phéno­ mène bien connu qu'a analysé Radiguet dans le Diable au corps: pour un adolescent, le détachement de la mère est fonction du premier amour qu'il porte à une femme, surtout si cette femme est plus âgée que lui.

Et Christian est fasciné par Gabrielle.

Celle-ci tente de plai­ der sa cause: - Dans un an, il aura dix-huit ans.

Je l'aime, laissez-le-moi un peu.

Je me sacrifierai ensuite s'ille faut, mais en attendant ne me l'enlevez pas, vous le tueriez ...

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