a. Le droit public Les glossateurs redécouvrent les concepts clés de lex, de potestas, de populus. La notion de « lex « était traitée aut tout début du Digeste de Justinien, au chapitre consacré aux sources du droit. Papinien avait écrit : « La loi est une prescription commune, … , un engagement commun de la République « : Lex est commune praeceptum …communis rei publicae sponsio ( D. 1, 3, 1 ). Irnerius glose ce fragment de Papinien : « Le peuple, pris juridiquement comme une universalité, ordonne et prescrit ; le peuple, pris comme individus, promet et s’engage « : Populus, universitatis iure, praecipit ; idem, singulorum nomine, promittit et spondet. Le peuple, comme communauté, commande et fait la loi, et, comme citoyens pris un à un, chacun est soumis à la loi. Les citoyens sont assujettis à la loi dont ils sont les auteurs. La notion de « pouvoir «, imperium et potestas, était traitée aux tous débuts des Institutes de Justinien ( I. Just. I, 2, 6, 1 ). Azon glose ce fragment : « Le peuple transporte à l’empereur et dans l’empereur tout son imperium et tout son pouvoir « : Populus imperatori et in eum omne imperium et omnem postestatem transtulit. C’est le thème de la translatio imperii : le pouvoir politique est translaté, transféré, du peuple à l’empereur ; le peuple délègue son pouvoir politique à César. Hugoccio de Pise affirme, en 1190, que le pouvoir de l’empereur romain germanique a un fondement électif : « L’empereur ne reçoit pas le ius gladii ( « droit du glaive «, pouvoir militaire et de haute justice ), ni la dignité impériale, du pape ( du Siège apostolique ), mais des Princes électeurs : Imperator potestatem gladii et dignitatem imperialem non habet ab Apostolico, sed a principis. Un opinion encore plus autoritaire est exposée, un peu auparavant ( 1158 ) par Rufin. L’obéissance du sujet envers le roi n’est plus justifiée par la vieille doctrine carolingienne de la soumission au Prince voulu par Dieu, et ministre de Dieu sur terre, mais par la foide exigence de la vie des hommes en société. Rufin écrit dans sa Summa ( D. 8, c. 2 ) : « La société humaine exige cela, que nous obéissions au roi « : Societas humana hoc exigit, ut regi obtemperamus. Les glossateurs apportèrent aux empereurs et aux rois les arguments juridiques dont ceux-ci avaient besoin pour appuyer leurs prétentions politiques. Les quatre docteurs de Bologne : Martinus, Bulgarus, Jacobus, Hugo, fournirent à l’empereur Frédéric Barberousse, lors de la diète de Roncaglia, en 1152, des arguments tirés du droit romain, pour justifier ses prétentions impériales et universelles. Les quatre docteurs firent le catalogue des droits régaliens de l’empereur sur l’Italie : les grandes routes et les forêts, les fleuves et les plages, les mines et les salines, les douanes et la monnaie, les marchés et les villes, la juridiction et le pouvoir de ban. On voit que ces iura regalia incluent la Justice, la police des marchés, des routes et des fleuves, la monnaie et l’exploitation du domaine public : mines, forêts, plages … Les quatre docteurs affirmaient la supériorité et l’universalité du droit romain. Ils en tiraient des conclusions juridique et politiques liées. Ils disaient « Que le droit soit unique, car l’empire était unique « : Unum sit ius, cum unum est imperium. Le roi de France et le roi d’Angleterre ne pouvaient accepter ces prétentions. D’autres glossateurs apportèrent aux rois les arguments juridiques dont ils avaient justement besoin pour s’opposer aux prétentions impériales. A l’époque carolingienne, la doctrine dominante pronait une unité de l’empire garantie par la double autorité du pape et de l’empereur. Le souvenir de la Rome antique était cultivé. Le Code de Justinien fournissait des textes sur l’universalité du pouvoir impérial, notamment C. 1, 2, 1. S’appuyant sur ceux-ci, Gratien écrit, vers 1140, dans sa Glose ordinaire ( D. 1 c. 12 ), : « L’empereur est le prince du monde entier « : Imperator princeps totius mundi est. La philosophie de l’unité de l’empire était contestée par les rois d’Angleterre, de France, de Castille. Un autre canoniste, Etienne de Tournai, écolier puis maître à Bologne, prend leparti des rois contre l’empereur. Il écrit, vers 1160, que « Le roi est comme un empereur en son royaume ( Summa sur D. 2, c. 4 ), formule reprise, aux siècles suivants, par les légistes du roi de France. Richard l’Anglais, en 1200, écrit que le roi reçoit une autorité égale à celle de l’empereur. Etienne de Tournai et Richard l’Anglais défendent l’indépendance des royaumes vis-à- vis de l’empire. Cette défense du pouvoir royal conduit Etienne de Tournai à dresser la liste des prérogatives des souverains ou droits régaliens, tels le pouvoir de légiférer, celui de juger en dernier ressort, de lever des taxes, de décider de la paix et de la guerre … b. Le droit privé En droit privé, les glossateurs s’intéressèrent également aux concepts juridiques, aux notions relatives aux corps de droit qui sont mentionnés au chapitre Ier du Digeste : au Droit naturel, au Droit des gens, au Droit civil. En droit des obligations, les glossateurs ont retrouvé notamment la notion de cause ( causa ), en s’appuyant sur les textes romains et sur la tradition philosophique rhétorique. En effet, les littéraires, moralistes et rhétoristes, débattaient de la volonté et de la cause finale. Le vocabulaire de Papias, vers 1060, définit la cause comme « l’impulsion de l’esprit à agir « ( causa : impulsus animi ad agendum ), et la raison comme « un ordre provenant de la cause « ( ratio : ordo ex causa venientum ). Les notions d’obligation naturelle et d’obligation civile sont des thèmes de philosophie du droit. Tout sujet de droit est soumis à une double polarité : il est pris entre la Nature et la Cité. La Nature est assimilée à Dieu : Natura, id est Deus, jusqu’au XIIIème siècle, quand s’ouvre la période de laïcisation de la société . Il existe donc un Droit naturel, moral et religieux, car la Nature est la Création de Dieu, dans cette conception. Un autre pole attire le sujet de droit : la Cité. Le législateur est à l’origine du Droit civil, droit à la fois matériel et judiciare des formalités pour agir en Justice. Le droit des obligations est pris dans cette double polarité des obligations naturelles, en vertu du Droit naturel, et des obligations civiles, en vertu du Droit civil. Bulgarus, l’un des quatre docteurs bolonais élèves d’Irnérius, écrit que l’obligation est formée d’une obligation naturelle et d’une obligation civile qui est incorporée au chirographe, à la stipulation. Guillaume de Gabiano, auteur d’une Summa Trescensis probablement élaborée dans la vallée du Rhône, distingue une cause naturelle, qui forme la substance de l’obligation, et une cause civile, qui consiste en des formalités. Les remèdes judiciares, en matière d’obligations, sont tirés de la procédure romaine : la condictio, les exceptions de pacte, de dol, d’argent non compté ( exceptiones pacti, doli, non numeratae pecuniae ) Jean Bassien se rattache à l’Aristotélisme médiéval. Il distingue la cause statique, formelle et matérielle, des causes dynamiques, la cause efficiente et finale, et la cause impulsive, la motivation. Si la cause efficiente et finale vient à cesser, l’effet de l’obligation cesse aussi : Cessante causa, cessante effectus. Azon affirme que la cause finale est suffisante pour rattacher une volonté à l’ordre juridique. Il pense aussi que la nécéssité urgente et l’utilité publique sont des causes générales. Cette notion de cause finale posa de nombreux problèmes théoriques et fut la source de beaucoup de confusion. Si les glossateurs furent des puissants analystes des concepts romains et contribuèrent à leur reception, leurs successeurs, français d’abord, italiens ensuite, furent des constructeurs de concepts. B. Les commentateurs orléanais ( 1200-1300 ) Au XIIIème siècle, le studium d’Orléans ( 1. ), érigé en université au début du XIIIème siècle, devint, par son orientation nouvelle ( 2. ), un centre d’études brillant ( 3. ). 1. Le studium et l’université d’Orléans La vallée de la Loire fut, au XIème et XIIème siècles, un foyer des études littéraires. Des écoles brillantes s’ouvrirent à Fleury, à Orléans, à Chartes, à Beaugency, à Meung sur Loire. A Chartres, l’évêque et canoniste, Yves de Chartres, fut l’un des fondateurs du droit canonique, autour de l’An Mille. Au début du XIIIème siècle, le studium d’Orléans bénéficia de l’interdiction de l’enseignement du droit romain à Paris. Le pape Honorius III promulgua la décrétale Super Speculam pour des raisons controversées : soit le désir de protéger l’enseignement de la faculté de théologie, de son recrutement et de la pureté de ses étudiants, soit la disposition à répondre à une demande du roi de France, Philippe II Auguste, qui aurait craint que l’enseignement du droit romain à Paris ne procure un argument politique entre les mains de l’empereur germanique, qui voulait, c’est un fait, imposer son autorité à Philippe Auguste. L’enseignement du droit canonique restait autorisé à Paris. L’enseignement du droit romain y étant interdit, les étudiants et les professeurs déménagèrent alors à Orléans, où ils furent bien accueillis. Le studium orléanais prospéra et accueillit de nombreux étudiants de toute l’Europe, dont certains eurent une carrière brillante. Un ancien étudiant du studium, Bertrand de Got, évêque de Bordeaux, fut élu pape en 1305, sous le nom de Clément V. Il éleva le studium d’Orléans au statut d’université par la Bulle pontificale Dum perspicacite, en 1305. 2. La nouvelle orientation des commentateurs Les professeurs de l’école de droit du studium d’Orléans étaient empreints d’un esprit fort différent de celui des glossateurs bolonais. Leurs préoccupations n’allaient plus vers la seule compréhension des textes. Ils ajoutèrent à la forme de la glose celle du commentaire. Les commentateurs s’intéressaient à l’application de ces textes. La théorie, l’abstraction, et les distinctions subtiles n’étaient pas leurs tentations. Ils étaient empreints d’un esprit pratique et concret. Ils s’intéressaient aux grands principes dans la mesure où ils étaient suceptibles de s’appliquer à la vie juridique concrète. On peut y voir l’influence politique des rois de France, dont certains des meilleurs professeurs d’Orléans furent très proches. C’est au XIIIème siècle que les rois firent une place dans leur conseil aux légistes, qui avaient pour mission de trouver des arguments juridiques aux efforts des rois de restaurer la fonction royale et d’élargir leur fonct...