Devoir de Philosophie

Analyse Automne malade Apollinaire

Publié le 01/02/2015

Extrait du document

apollinaire
Guillaume Apollinaire, Automne malade Introduction Situé dans la dernière partie du recueil, Automne malade évoque une nouvelle fois le thème de la fuite du temps. Poème lyrique en vers libres, ce texte prend la forme d'un tableau de l'automne, mais un t ableau morcelé et enrichi d'une méditation autour de la signification de cette saison. Des motifs chers à Apollinaire s'y retrouvent (cf. Le Pont Mirabeau ou L'Emigrant de Landor Road) : le passage, le caractère éphémère des choses, et de l'amour aussi, la mort. On verra donc comment cette évocation de l'automne, qu'Apollinaire qualifiait de saison mentale dans Signe, est le fait d'une vision intérieure et subjective (celle du poète), soumise à l'emprise du temps. Une description morcelée ? Ce poème qui évoque l'automne pourrait prendre la forme d'un tableau descriptif ordinaire, mais la modernité de l'écriture d'Apollinaire apparaît clairement : o Les éléments descriptifs sont dispersés ; à aucun moment ils ne font l'objet d'un développement suivi ; fidèle au principe de discontinuité propre à l'esthétique cubiste, l'art d'Apollinaire consiste en fait à suggérer un fond automnal à l'aide de « fragments «, de touches suggestives et répartis dans tout le texte. o On remarquera les effets de reprise des vers 1-2 et 5-6 : Automne malade et adoré / Pauvre automne ; Tu mourras / Meurs o Ou encore aux vers 2-4 et 6-7, qui permettent d'accentuer le thème de l'automne et de lui affecter quelques éléments de caractérisation les roseraies, Quand il aura neigé / Dans les ve rgers, points qui sont repris avec des variations : en blancheur et en richesse / De neige et de fruits mûrs. o La dernière strophe réutilise ces éléments descriptifs une nouvelle et dernière fois aux vers 15-17, reprenant au passage, avec le mot forêt, l'évocation automnale presque stéréotypée (cf. lecture linéaire) des vers 12-13, Aux lisières lointaines / Les cerfs ont bramé. ? Ainsi, s'il y a « tableau «, il est morcelé ; mais la tonalité d'ensemble du texte est relativement unifiée, notamment grâce aux champs lexicaux présents. ? Les champs lexicaux de la chute et de la mort dominent dans le poème. Dès le vers 2, la violence destructrice est introduite avec l'ouragan et les ravages qu'il peut engendrer : ruiner les roseraies. À cela répond la chute des fruits (v. 15) et celle des feuilles, comparées dans la dernière strophe à des larmes. Ce champ sémantique de la chute est complété par l'obsédante présence de la mort : Tu mourras ; Meurs ; Des éperviers planent. On comprend mieux dès lors la résonance symbolique attachée au verbe pleurer (v. 16) : le paysage d'automne est l'image d'une tristesse et d'une mélancolie profonde de la nature. ? D'une manière générale, toutefois, la syntaxe poétique dans Alcools est faite de juxtapositions et de discontinuités. o Dans Automne malade, on peut certes relever des indices temporels signalant une action antérieure, c'est -à-dire créant un semblant de chronologie (v. 3, v. 11, v. 13). Mais le texte n'étant pas narratif, ces indices ne sont pas structurants. o En revanche, il convient de souligner les effets de reprise (cf. point n°1), et surtout l'impression de simultanéité (illusion qu'on participe à la scène, lié à l'usage du présent ) qui résulte d'une part de l'usage du présent (voir v. 9 et v. 16) et d'autre part des effets de détachement typographique. ? Les derniers vers du poème, en effet, alignent trois propositions qui auraient pu composer un vers proche de l'alexandrin (4/4/4). Apollinaire a décidé de rendre visible, par un travail de disposition spatiale, le jeu de la simultanéité, qui juxtapose ou superpose trois actions, apparemment dissociées. Une vision subjective ? Quoique les manifestations grammaticales du « je « soient peu nombreuses, la présence affective et morale du locuteur n'est pas pour autant gommée. o Certes, dans le v. 14, le je est presque martelé : Et que j'aime [...] que j'aime... o Toutefois Apollinaire fait le plus souvent le choix d'une énonciation indirecte, qui place le « moi « à l'arrière-plan, tout en laissant transparaître des marques de la subjectivité. Il convient donc d'analyser les procédés par lesquels l'univers concret de l'automne est exprimé. ? C'est pourquoi importent les marques de l'affectivité : adoré, v. 1, et Pauvre, v. 5, relèvent de l'appréciation subjective du « je «. ? On pourra aussi insister sur l'emploi de certaines images, comme celle qui figure au v. 16-17 : Le vent et la forêt qui pleurent / Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille. Cette image, qui associe personnification et métaphore, crée une sorte de proximité familière entre la saison et le poète, dont la présence se manifeste ainsi. ? On notera également le procédé, qui consiste à interpeller un être inanimé, u n objet ou une valeur abstraite : on parlera de personnification, et presque de prosopopée (figure de style selon laquelle on donne la parole à un être inanimé ou disparu et qui, de ce fait, nous semble bien vivant : ici, l'automne ne parle certes pas, mais est considéré comme une personne à laquelle le poète s'adresse (v. 1-2, v. 5-6). o Les apostrophes, le recours au pronom tu, l'impératif (v. 6), contribuent à animer et à humaniser un aspect saisonnier de la nature. La personnification dynamise l'énonciation poétique et souligne la dimension affective de la communication et de la complicité qui s'établit entre le poète et le monde naturel, comme on l'a déjà dit à propos des vers 16-17. ? Par ailleurs, les temps dans ce poème appartiennent tous au « système du présent « : ce sont les temps du discours. o o o o La base est donc un présent, qui peut avoir une valeur descriptive (v. 9, v. 14, v. 16 et v. 18 -23). Employé à l'impératif (v. 6), le présent peut aussi acquérir une valeur prescriptive : mais ici il s'agit moins d'un ordre que d'un constat résigné, soulignant le caractère irrévocable de la mort. Le passé composé, quant à lui, marque des actions dont les effets se font encore sentir au moment de l'énonciation (v. 11 et v. 13). Ce temps signale également une antériorité et contribue à créer un effet de durée. Le futur enfin (v. 2-3) possède une valeur affirmative : il présente la mort sous l'angle d'un accomplissement inéluctable. Ce temps est donc déterminant puisqu'il annonce et célèbre l'automne comme la saison de la chute et de la mort. L'emprise du temps ? La figure automnale élaborée dans ce poème porte les signes du temps et de la chute. o L'épithète malade qui qualifie cette saison - présente dans le titre et dans le vers d'attaque du poème - atteste que l'automne meurt d'être parvenu à son point ultime de maturité, à son plus haut degré d'accomplissement (Meurs en blancheur et en richesse / De neige et de fruits mûrs). Les fruits mûrs, symbole de plénitude, sont voués à la décomposition. o À cette donnée s'ajoute le rôle destructeur des éléments, tels l'ouragan ou le vent, qui brisent l'harmonie naturelle et qui dotent l'automne de sa mélancolie propre (Et que j'aime ô saison que j'aime tes rumeurs ; Le vent et la forêt qui pleurent). ? Automne malade est l'exemple même de l'élégie remaniée selon les exigences du « lyrisme neuf « voulu par Apollinaire : ni confession ni lamentation, le texte déroule une gamme d'impressions et de sensations. o La méditation poétique proposée ici n'est pas celle d'un Lamartine ou d'un Vigny, par exemple : un art de la brièveté et de la suggestion remplace la composition grandiloquente d'une rêverie suivie, telle que l'affectionnaient les grands Romantiques. o Mais, comme pour les poètes du XIXe siècle, la nature est un spectacle déchiffrable, lisible ; elle peut aussi revêtir les traits d'une personne. Dans ce poème, Apollinaire offre une vision de l'écoulement du temps que thématisent les thèmes conjoints de la chute et de la dispersion (vers 2, Tu mourras quand l'ouragan soufflera dans les roseraies ; vers16, Les fruits tombant sans qu'on les cueille). o La dernière strophe concentre les traits de cette méditation sous la forme d'un symbole. Aux fruits qui tombent répondent d'abord les feuilles, puis le train, enfin la vie. Une gradation manifeste invite à lire ces ultimes vers comme l'image condensée de la vie qui passe et qui s'efface. Thème fondamental de l'élégie classique qu'Apollinaire renouvelle en y introduisant le train, intrusion typique chez ce poète du modernisme et des machines bruyantes. ? Introduite au vers 2, reprise lexicalement au vers 6, l'idée de la mort demeure centrale. Elle se matérialise en outre dans certaines images : la neige et la couleur blanche symbolisent l'ensevelissement, le linceul (cf. Les Femmes) et la mort. De même, l'ouragan ou les éperviers traduisent la présence active d'un principe de destructio n. Enfin, les derniers vers du texte soulignent la présence de la mort au sein de la nature : le renouveau passe par l'effacement ce qu'il y avait précédemment : c'est l'idée du cycle de la vie. Conclusion Reprenant un des thèmes sans doute les plus exploités de la poésie romantique - l'automne et la mélancolie qu'il inspire Apollinaire s'attache à offrir un tableau qui tire habilement parti des motifs conventionnels pour créer de la nouveauté. Nou veauté dans la composition, morcelée et simultanée tout à la fois ; mais aussi dans la vision subjective, qui se plaît à accélérer l'écoulement du temps et à préfigurer, par le moyen d'images éloquentes, le moment de la mort. La grande originalité d'Apollinaire est sans doute d'avoir su éviter, sur ce thème , le lyrisme plaintif et la grandiloquence. L'évocation, tout au contraire, crée une proximité familière entre le « je « et la saison de l'automne, qui semblent dialoguer en toute simplicité. Mais cette simplicité n'interdit pas la gravité.

Liens utiles