Devoir de Philosophie

Artaud, le Théâtre et son double (extrait).

Publié le 07/05/2013

Extrait du document

artaud
Artaud, le Théâtre et son double (extrait). Fasciné par les spectacles d'une troupe de comédiens balinais venus à Paris à l'occasion de l'Exposition coloniale de 1931, Artaud dévalue l'importance du texte écrit pour lui substituer un nouveau langage spécifique au spectacle dramatique ; il s'agit de développer les techniques de mise en scène, en leur intégrant toutes les recherches empruntées aux arts plastiques. En renouant avec le corps et les forces élémentaires du cosmos et de la vie, le théâtre retrouve la vocation sacrée de ses origines, en même temps qu'il doit en finir avec les variations psychologiques produites depuis des siècles par le théâtre occidental. Le Théâtre et son double d'Antonin Artaud Théâtre oriental et théâtre occidental La révélation du Théâtre Balinais a été de nous fournir du théâtre une idée physique et non verbale, où le théâtre est contenu dans les limites de tout ce qui peut se passer sur une scène, indépendamment du texte écrit, au lieu que le théâtre tel que nous le concevons en Occident a partie liée avec le texte et se trouve limité par lui. Pour nous, au théâtre la Parole est tout et il n'y a pas de possibilité en dehors d'elle ; le théâtre est une branche de la littérature, une sorte de variété sonore du langage, et si nous admettons une différence entre le texte parlé sur la scène et le texte lu par les yeux, si nous enfermons le théâtre dans les limites de ce qui apparaît entre les répliques, nous ne parvenons pas à séparer le théâtre de l'idée du texte réalisé. Cette idée de la suprématie de la parole au théâtre est si enracinée en nous et le théâtre nous apparaît tellement comme le simple reflet matériel du texte que tout ce qui au théâtre dépasse le texte, n'est pas contenu dans ses limites et strictement conditionné par lui, nous paraît faire partie du domaine de la mise en scène considérée comme quelque chose d'inférieur par rapport au texte. Étant donné cet assujettissement du théâtre à la parole on peut se demander si le théâtre ne posséderait pas par hasard son langage propre, s'il serait absolument chimérique de le considérer comme un art indépendant et autonome, au même titre que la musique, la peinture, la danse, etc., etc. On trouve en tout cas que ce langage s'il existe se confond nécessairement avec la mise en scène considérée : 1° D'une part, comme la matérialisation visuelle et plastique de la parole. 2° Comme le langage de tout ce qui peut se dire et se signifier sur une scène indépendamment de la parole, de tout ce qui trouve son expression dans l'espace, ou qui peut être atteint ou désagrégé par lui. Ce langage de la mise en scène considéré comme le langage théâtral pur, il s'agit de savoir s'il est capable d'atteindre le même objet intérieur que la parole, si du point de vue de l'esprit et théâtralement il peut prétendre à la même efficacité intellectuelle que le langage articulé. On peut en d'autres termes se demander s'il peut non pas préciser des pensées, mais faire penser, s'il peut entraîner l'esprit à prendre des attitudes profondes et efficaces de son point de vue à lui. En un mot poser la question de l'efficacité intellectuelle de l'expression par les formes objectives, de l'efficacité intellectuelle d'un langage qui n'utiliserait que les formes, ou le bruit, ou le geste, c'est poser la question de l'efficacité intellectuelle de l'art. Si nous en sommes venus à n'attribuer à l'art qu'une valeur d'agrément et de repos et à le faire tenir dans une utilisation purement formelle des formes, dans l'harmonie de certains rapports extérieurs, cela n'entache en rien sa valeur expressive profonde ; mais l'infirmité spirituelle de l'Occident, qui est le lieu par excellence où l'on a pu confondre l'art avec l'esthétisme, est de penser qu'il pourrait y avoir une peinture qui ne servirait qu'à peindre, une danse qui ne serait que plastique, comme si l'on avait voulu couper les formes de l'art, trancher leurs liens d'avec toutes les attitudes mystiques qu'elles peuvent prendre en se confrontant avec l'absolu. On comprend donc que le théâtre, dans la mesure même où il demeure enfermé dans son langage, où il reste en corrélation avec lui, doit rompre avec l'actualité, que son objet n'est pas de résoudre des conflits sociaux ou psychologiques, de servir de champ de bataille à des passions morales, mais d'exprimer objectivement des vérités secrètes, de faire venir au jour par des gestes actifs cette part de vérité enfouie sous les formes dans leurs rencontres avec le Devenir. Faire cela, lier le théâtre aux possibilités de l'expression par les formes, et par tout ce qui est gestes, bruits, couleurs, plastiques, etc., c'est le rendre à sa destination primitive, c'est le replacer dans son aspect religieux et métaphysique, c'est le réconcilier avec l'univers. Source : Artaud (Antonin), le Théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1964. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

Liens utiles