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Publié le 24/05/2011

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A – Le portrait en mouvement d’un riche vieillard

La scène se déroule dans une cage d’escalier. La rencontre est vécue selon le principe du défilé. Un personnage immobile voit arriver vers lui un marcheur qui s’approche jusqu’à ce que les regards puissent se croiser avant que le passant ne s’éloigne dans l’autre sens. Nicolas Poussin voit « monter » un « vieillard ». Ce qu’il peut percevoir en cet instant est l’habillement du visiteur. Notons alors une focalisation interne car le personnage rencontré est vu, apprécié par le jeune peintre. Ce dernier relève de loin deux caractéristiques majeures : la « bizarrerie » et la « magnificence » de la tenue. En d’autres termes, il relève la richesse et la beauté des habits, mais aussi leur aspect suranné. Ce qui frappe le jeune peintre est le rabat de dentelle ouvragée (cité deux fois), le « pourpoint noir » et la « lourde chaîne d’or ». Le visiteur porte de manière ostentatoire des objets de prix en même temps qu’appartenant au goût vestimentaire d’une autre époque. Ces signes extérieurs de richesse en même temps que l’allure décidée sont immédiatement interprétés : ce vieillard ne peut être qu’un « protecteur ou l’ami du peintre ». En effet quel personnage distingué pourrait accepter de venir se perdre dans la compagnie d’artistes sans être lui-même un admirateur désintéressé ou mieux un mécène éclairé ? L’importance du personnage est soulignée par un rythme ternaire, signe d’équilibre, qui en impose au jeune peintre en quête de notoriété : « la bizarrerie de son costume », « la magnificence de son rabat de dentelle » et « la prépondérante sécurité de la démarche ». Il n’est pas étonnant que par déférence un peu obséquieuse ou impressionnée, le jeune homme s’écarte pour laisser le passage à son aîné. Il est alors dans d’excellentes dispositions à l’égard du visiteur en « espérant trouver en lui la bonne nature d’un artiste (ce qui renvoie indirectement à la fierté ambitieuse du jeune peintre) ou le caractère serviable des gens qui aiment les arts (ce qui suggère avec malice l’arrivisme du futur auteur des Bergers d’Arcadie, selon Balzac) ».

B – qui inquiète Nicolas Poussin, les traits démentent l’allure générale

Lorsque le vieillard passe devant lui, Nicolas peut dévisager son homologue. Les traits relevés démentent inexplicablement la première impression favorable. Le jeune homme se comporte en artiste en manifestant sa « curiosité », c’est-à-dire son attrait pour ce qui sort de l’ordinaire, ce coup d’œil perspicace prompt à dégager la nouveauté. Dans cette conduite, Balzac prête à son personnage une conception artistique plus romantique que classique. À son tour, il se coule dans ce goût pour le bizarre mis à la mode par Hoffmann et approfondi plus tard par Baudelaire. L’artiste a su repérer ce « quelque chose de diabolique » repris par le « je ne sais quoi qui affriande ». L’expression insiste sur deux aspects : le charme indéfinissable qui permet de prolonger l’attente du lecteur, mais aussi le raffinement esthétique propre à l’artiste peintre. Le tout est condensé dans ce goût très romantique pour le démoniaque. La suite du portrait va détailler et justifier cette impression fugitive première. La description part du front pour descendre jusqu’au menton, avant de remonter jusqu’aux yeux sur lesquels elle s’attarde comme accès à l’intériorité du personnage. À partir de ce moment, nous changeons de point de vue, ce n’est plus Nicolas Poussin qui s’exprime, mais Balzac. L’auteur a repris ses prérogatives omniscientes ; il les marque par ses impératifs « imaginez », « mettez », « entourez », « jetez » résumés dans le « vous aurez » conclusif. En effet, c’est lui qui désormais peint avec les mots et justifie la validité de ses choix. Ces formules sont destinées à guider le regard sur ce qui est important, sur ce qui a su retenir l’attention. L’objectif n’est pas d’établir un portrait léché, mais une esquisse parlante, « une image imparfaite ». Le front est « chauve » et « bombé », le nez épaté et « retroussé ». La comparaison qui suit avec Rabelais et Socrate conforte le trait. Frenhofer a des allures de faune, c’est un homme qui juge avec liberté le monde qui l’entoure. Le rire repérable sur ses lèvres le confirme. Le portrait s’achève sur le menton « court » et « relevé », orné d’une barbe « taillée en pointe », comme pour nous signifier la fierté distante et l’exigeante personnalité de son possesseur. Ces traits contrastés entre sourire et sévérité, comme entre attribut pileux insolite et visage dépourvu de cheveux, cils et sourcils, fondent cette bizarrerie entrevue. Le visiteur est désormais suffisamment proche pour que les regards puissent se croiser. Les yeux sont tout aussi contrastés que les autres traits du visage : une prunelle « blanc nacré », signe de distinction, sans doute aussi amorce de la métaphore suivante, et « yeux vert de mer » où la métaphore comme l’allitération soulignent l’acuité du regard, son intransigeance et ses tempêtes. Ce regard est « magnétique ». Cette qualification est souvent reprise au XIXe siècle qui découvre tous les sortilèges de l’électricité. Ce regard fatigué est encore capable de débordements d’énergie, « colère ou enthousiasme ». Arrêtons-nous un instant sur les qualificatifs qui rattachent ce personnage à la source commune des héros balzaciens, à savoir l’énergie. En effet le héros balzacien est comme son créateur un passionné qui brûle sa vie dans une débauche d’activité. En même temps, Balzac corrige la première impression « diabolique » ressentie par Nicolas en retenant aussi l’enthousiasme qui ouvre des possibilités pour un héros positif et pas seulement méphistophélique. Le visiteur s’éloigne, nous sommes conviés à apprécier la silhouette générale tout aussi contrastée : la grosse tête repose sur un corps « fluet et débile », la dentelle blanche tranche sur le pourpoint noir.

C – le lieu de la rencontre favorise l’ambiguïté

Le portrait est donc volontairement antithétique jusque dans ses moindres détails. Chaque signe est affaibli par son contraire. Quand ce n’est pas possible d’annuler un trait par une notation opposée, Balzac opte pour l’humour incongru : ainsi en va-t-il pour cette dentelle irréprochable et précieuse comparée à une prosaïque « truelle à poisson ». La finalité de ces signes contradictoires est claire : Balzac cultive l’ambiguïté. Cette équivoque est renforcée par les caractéristiques propres au lieu : espace restreint et sombre, lieu de passage qui ne permet pas l’étude approfondie ni les échanges verbaux entre inconnus. Le plus important reste « ce jour faible » qui procure « une couleur fantastique ». La finalité est avouée en cet instant, Balzac cherche à mêler réalité et surnaturel dans un endroit propice à la rêverie. Il y parvient en dramatisant la scène par un jeu d’ombres et de lumières qui crée une atmosphère oppressante et fantasmagorique. Le portrait s’achève sur la référence à Rembrandt (on pourrait penser à Ronde de nuit) par un élargissement métaphorique qui présente un triple intérêt : - renvoyer au domaine de la peinture, - valoriser la « noire atmosphère », le clair-obscur cher au maître hollandais, - et surtout créer cette perception onirique nécessaire au registre fantastique.

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