Broutille de temps
Publié le 01/03/2016
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Le destin n'est qu'une perte de temps, clamait alors mon professeur. Devant son cours magistral, je m'endormais en rêvant de libertés. Pourquoi rester cloisonné dans cette salle de classe est-il si valorisé par mes aînés ? Les grands espaces baignant dans la mer de soleil m’attendaient. Une folle aventure devait sûrement se présenter à mes yeux. La vie est un long cours d'eau ; il faut donc profiter de chaque rive avant de se jeter dans l'océan abyssale, continuait ainsi Monsieur Alain. Ces belles maximes me semblaient inappropriées à l'environnement où je me trouvais. Qui diable peut rester aussi stoïque devant une étude d'ouvrage si ennuyeux ? La cloche sonna ma liberté, du moins pour cette journée. Cependant, je fus quémandé par mon instituteur. Pourquoi ces longs silences depuis quelques temps prends-tu lors de mes cours ? T'est-il arrivé quelque chose ? Tu dynamisais sans cesse le cours de tes remarques pertinentes. C'est regrettable... Cet exposé de mon professeur me rendait indifférent ; j'avais de lui tirer tout ce qui pouvait m'être utile, à savoir sa culture et sa science. Néanmoins, c'était un homme d'assez faible éloquence et sa profondeur d'esprit ne laissait guère matière à exploiter une fois trois mois à le côtoyer. Je cherche seulement autre chose, lui murmurais-je alors en guise de réponse à son rapport. Je parti rejoindre ensuite mes amis sous le préau pour ouvrir mon cœur. Je retrouvais donc deux de mes camarades, Lucie, une jeune fille ingénieuse mais téméraire, et Jacques, un jeune garçon astucieux mais introverti. Nos discussions se portaient sur de nombreux sujets, qui reprenaient le plus souvent ceux du cours du jour. Cependant j'étais le seul à ne plus considérer notre professeur ; mon amie lui vouait une telle admiration que les religieux pouvaient se faire athées. Les arguments de ses harangues l'éblouissaient, sa grâce dans les mots la charmait, sa gestuelle la ravissait. Que j'aimais discuter avec cette jeune innocente ; cependant ce goût trop prononcé pour une beauté, qui me semblait à moi chimérique, me dégouttait. Quant à Jacques, il ne parlait peu, mais il parlait bien. Pourquoi alors est-il si réservé, si sa rhétorique est si belle ? C'est à dire qu'il m'exaspérait, à force de trop attendre enfin ses propos raisonnés. L'entretien du jour fut assez court, du fait que j'avais fort à faire en ma maison. Je pris donc le chemin du retour, tout en flânant à mon habitude. Le sentier était sinueux, mais le paysage visible en valait la peine. Du haut de la colline, on pouvait observer une étendue verdoyante que les rayons du soleil caressaient. Je pris goût très tôt de la nature, mais pas n'importe laquelle ; c'est la liberté qu'elle me suggérait qui me satisfaisait. J’aperçus alors une jeune demoiselle, qui devait être de mon âge. Ne l'ayant jamais vu auparavant, un doute s'installait en moi car ce chemin était depuis longtemps abandonné. Elle était d'une chevelure d'or, de taille moyenne mais d'une démarche singulière. Elle semblait pressée de quitter l’éden de beauté que représentait cet endroit à mes yeux. Je fis donc marche hâtive pour la rattraper. Au détour du ruisseau qui traversait le village, j’engageai enfin l'entretien. Je la saluai d'une part, puis lui demanda ce qui l'amenait dans ces contrées perdues. Une cause perdue, mon amour, me force à l'exil, s'exclama-t-elle. Sa voix me séduisait aussitôt, mais ses paroles me troublèrent davantage. Excusez-moi, je ne vous avez pas vu. Je vous ai pris pour mon valet. Ma surprise s'agrandissait ; elle est aurait donc un valet comme amant. Je vous pardonne mademoiselle, mais quelle cause, si grande soit elle, vous amène en de telles terres ? Une jeune fille, entichée d'un domestique, ne pouvait m'être qu'insupportable. Quel genre de libertine était-elle ? Sa gestuelle était d'une arrogance telle que je ne supportais point. Elle partit alors en grande hâte. Sur le reste du sentier, malgré mon mépris pour ce genre de femme libre, cette fille occupait entièrement mon esprit. La curiosité prit le pas sur mon goût pour la promenade. J'arrivai donc à ma demeure en peu de temps, sans même m'en rendre compte. Mon foyer se situait au flanc sud et de la colline. C'était une de ces maisons simples que connaissait la campagne. Je vivais encore avec mes deux parents, ainsi que ma soeur. C'étaient des gens bons et rationnels malgré leur peu d'autorité. Il s'étaient rencontrés durant leur enfance et ne sont depuis jamais séparés. Leur amour était si grand que je les enviais; un tel bonheur intemporel ne pouvait qu'être fantastique. De cette union, je naquit, ainsi que ma soeur, Anne. Quelle grâce dans tous ses gestes. Tout ce qu'elle entreprenait était d'une perfection que je ne saurai décrire. Cependant elle était d'un caractère assez ingénu et accordait donc souvent sa confiance trop facilement. Ceci devait sûrement être dû à l'éducation que nous eûmes reçu; en effet la doctrine essentielle était la liberté. Nos parents croyaient en la bonté de l'homme ainsi qu'en son libre arbitre. Cette instruction permis alors mon émancipation et je puis développer mon sens critique grâce aux nombreuses lectures que j'effectuaient. Je tiens donc à remercier mes parents pour ce don, que j'allais justement rencontrés en franchissant le palier de ma maison. Franchissant le palier, j'aperçus une tasse de thé au bout de la table du séjour. Il était en effet l'heure cet événement quotidien qui rassemble la famille autour d'une boisson chaude. Cependant, hormis ce récipient rempli, je ne vis aucune figure familière de cette occasion traditionnelle chez mes aînés. Mes parents n'auraient manqué pour rien au monde cet instant de discussion privilégié. Ils travaillaient à la ville en tant que médecins. Néanmoins leur service à la clinique se finissait à 3 heures, de sorte qu'ils puissent nous recevoir en bonne et due forme au retour de l'étude car nous étions les deux créatures nécessitant le plus d'affection à leurs yeux. Leur retard ne pouvait donc s'expliquer que par un événement extraordinaire. J'entrepris donc de faire chemin vers la ville.
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