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Centre Etrangers, Série Technologique

Publié le 22/05/2011

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Objet d’étude : Le théâtre, texte et représentation. Textes :  Texte A : Molière, L’Avare, 1668. Texte B : Alfred de Musset, Il ne faut jurer de rien, 1836. Texte C : Henry de Montherlant, La Reine morte, 1942.

 

 

Texte A : Molière, L’Avare, 1668. Acte I, scène 4.

[Clêante et Élise, les enfants d'Harpagon, veulent entretenir leur père de leur projet respectif de mariage.]

                                                   HARPAGON, CLEANTE, ELISE

 

CLEANTE – Mon Dieu ! mon père, vous n’avez pas lieu de vous plaindre et l’on sait que vous avez assez de bien.

 

HARPAGON – Comment, j’ai assez de bien ! Ceux qui le disent en ont menti. Il n’y a rien de plus faux ; et ce sont des coquins qui font courir tous ces bruits-là.

ELISE – Ne vous mettez point en colère.

HARPAGON – Cela est étrange que mes propres enfants me trahissent et deviennent mes ennemis.

CLEANTE – Est-ce être votre ennemi que de dire que vous avez du bien ?

HARPAGON – Oui. De pareils discours, et les dépenses que vous faites, seront cause qu’un de ces jours on me viendra chez moi couper la gorge, dans la pensée que je suis tout cousu de pistoles1.

CLEANTE – Quelle grande dépense est-ce que je fais ?

HARPAGON – Quelle ? Est-il rien de plus scandaleux que ce somptueux équipage2 que vous promenez par la ville ? Je querellais hier votre sœur ; mais c’est encore pis. Voilà qui crie vengeance au ciel ; et, à vous prendre depuis les pieds jusqu’à la tête, il y aurait là de quoi faire une bonne constitution3. Je vous l’ai dit vingt fois, mon fils, toutes vos manières me déplaisent fort ; vous donnez furieusement dans le marquis ; et, pour aller ainsi vêtu, il faut bien que vous me dérobiez.

CLEANTE – Hé ! comment vous dérober ?

HARPAGON – Que sais-je ? Où pouvez-vous donc prendre de quoi entretenir l’état que vous portez ? 

CLEANTE – Moi, mon père ? C’est que je joue ; et, comme je suis fort heureux, je mets sur moi tout l’argent que je gagne.

HARPAGON – C’est fort mal fait. Si vous êtes heureux au jeu, vous en devriez profiter, et mettre à honnête intérêt l’argent que vous gagnez afin de le trouver un jour. Je voudrais bien savoir, sans parler du reste, à quoi servent tous ces rubans dont vous voilà lardé depuis les pieds jusqu’à la tête, et si une demi-douzaine d’aiguillettes ne suffit pas pour attacher un haut-de-chausses. Il est bien nécessaire d’employer de l’argent à des perruques lorsque l’on peut porter des cheveux de son cru, qui ne coûtent rien ! Je vais gager qu’en perruques et rubans il y a du moins vingt pistoles ; et vingt pistoles rapportent par année dix-huit livres six sols huit deniers, à ne les placer qu’au dernier douze4.

CLEANTE – Vous avez raison.

HARPAGON – Laissons cela, et parlons d’autre affaire. Euh ? (Apercevant Cléante et Élise qui se font des signes.) Hé ! (Bas, à part.) Je crois qu’ils se font signe l’un à l’autre de me voler ma bourse. (Haut.) Que veulent dire ces gestes-là ?

ELISE – Nous marchandons, mon frère et moi, à qui parlera le premier, et nous avons tous deux quelque chose à vous dire.

 

1. pièces d’or. 2. habit. 3. placement financier. 4. Harpagon invite son fils à placer de l’argent avec un intérêt (« au dernier douze ») au lieu de le dépenser.

 

Texte B : Alfred de Musset, Il ne faut jurer de rien, 1836. Acte I, scène 1.

La chambre de Valentin. Valentin assis. Entre VAN BUCK.

VAN BUCK – Monsieur mon neveu, je vous souhaite le bonjour. VALENTIN  – Monsieur mon oncle, votre serviteur. VAN BUCK  – Restez assis; j’ai à vous parler. VALENTIN  – Asseyez-vous; j’ai donc à vous entendre. Veuillez vous mettre dans la bergère1, et poser là votre chapeau. VAN BUCK, s’asseyant. – Monsieur mon neveu, la plus longue patience et la plus robuste obstination doivent, l’une et l’autre, finir tôt ou tard. Ce qu’on tolère devient intolérable, incorrigible ce qu’on ne corrige pas; et qui vingt fois a jeté la perche à un fou qui veut se noyer, peut être forcé un jour ou l’autre de l’abandonner ou de périr avec lui. VALENTIN  – Oh ! oh ! voilà qui est débuter, et vous avez là des métaphores qui se sont levées de grand matin. VAN BUCK  – Monsieur, veuillez garder le silence, et ne pas vous permettre de me plaisanter. C’est vainement que les plus sages conseils, depuis trois ans, tentent de mordre sur vous. Une insouciance ou une fureur aveugle, des résolutions sans effet, mille prétextes inventés à plaisir, une maudite condescendance, tout ce que j’ai pu ou puis faire encore (mais, par ma barbe! je ne ferai plus rien !)… Où me menez-vous à votre suite ? Vous êtes aussi entêté… VALENTIN  – Mon oncle Van Buck, vous êtes en colère. VAN BUCK  – Non, monsieur, n’interrompez pas. Vous êtes aussi obstiné que je me suis, pour mon malheur, montré crédule et patient. Est-il croyable, je vous le demande, qu’un jeune homme de vingt-cinq ans passe son temps comme vous le faites ? De quoi servent mes remontrances, et quand prendrez-vous un état2 ? Vous êtes pauvre, puisqu’au bout du compte vous n’avez de fortune que la mienne; mais, finalement, je ne suis pas moribond, et je digère encore vertement. Que comptez-vous faire d’ici à ma mort ? VALENTIN  – Mon oncle Van Buck, vous êtes en colère, et vous allez vous oublier. VAN BUCK  – Non, monsieur, je sais ce que je fais; si je suis le seul de la famille qui se soit mis dans le commerce, c’est grâce à moi, ne l’oubliez pas, que les débris d’une fortune détruite ont pu encore se relever. Il vous sied bien de sourire quand je parle; si je n’avais vendu du guingan3 à Anvers, vous seriez maintenant à l’hôpital, avec votre robe de chambre à fleurs. Mais, Dieu merci, vos chiennes de bouillottes4… VALENTIN – Mon oncle Van Buck, voilà le trivial; vous changez de ton; vous vous oubliez; vous aviez mieux commencé que cela. VAN BUCK – Sacrebleu ! tu te moques de moi. Je ne suis bon apparemment qu’à payer tes lettres de change ? J’en ai reçu une ce matin : soixante louis ! Te railles-tu des gens ? Il te sied bien de faire le fashionable5 (que le diable soit des mots anglais!) quand tu ne peux pas payer ton tailleur ! C’est autre chose de descendre d’un beau cheval pour retrouver au fond d’un hôtel une bonne famille opulente, ou de sauter à bas d’un carrosse de louage pour grimper deux ou trois étages. Avec tes gilets de satin, tu demandes, en rentrant du bal, ta chandelle à ton portier, et il regimbe6 quand il n’a pas eu ses étrennes. Dieu sait si tu les lui donnes tous les ans ! Lancé dans un monde plus riche que toi, tu puises chez tes amis le dédain de toi-même; tu portes la barbe en pointe et tes cheveux sur les épaules, comme si tu n’avais pas seulement de quoi acheter un ruban pour te faire une queue. Tu écrivailles dans les gazettes, tu es capable de te faire saint-simonien quand tu n’auras plus ni sou ni maille, et cela viendra, je t’en réponds. Va va, un écrivain public est plus estimable que toi. Je finirai par te couper les vivres, et tu mourras dans un grenier.

1. fauteuil. 2. profession, métier. 3. fine toile de coton. 4. ancien jeu de cartes. 5. à la mode, raffiné, délicat. 6. résiste en refusant.

 

 

Texte C : Henry de Montherlant, La Reine morte, 1942. Acte I, tableau I, scène 3

 

 [Le vieux roi du Portugal, Ferrante, a décidé de marier son fils, le prince Don Pedro, à l'Infante d'Espagne. Ce dernier révèle à l'infante qu'il est amoureux d'une autre femme ; elle se sent insultée. Le roi convoque son fils.]

 

 FERRANTE L’infante m’a fait part des propos monstrueux que vous lui avez tenus. Maintenant, écoutez-moi. Je suis las de mon trône, de ma cour, de mon peuple. Mais il y a aussi quelqu’un dont je suis particulièrement las, Pedro, c’est vous. Bébé, je l’avoue, vous ne me reteniez guère. Puis, de cinq à treize ans, je vous ai tendrement aimé. La reine, vote mère, est morte bien jeune. Votre frère aîné allait tourner à l’hébétude, et rentrer dans les ordres. Vous me restiez seul. Treize ans a été l’année de votre grande gloire ; vous avez eu à treize ans une grâce, une gentillesse, une finesse, une intelligence que vous n’avez jamais retrouvée depuis ; c’était le dernier et merveilleux rayon du soleil qui se couche ; seulement on sait que, dans douze heures, le soleil réapparaîtra, tandis que le génie de l’enfance, quand il s’éteint, c’est à tout jamais. On dit toujours que c’est d’un ver que sort le papillon ; chez l’homme, c’est un papillon qui devient un ver. A quatorze ans vous étiez éteint ; vous étiez devenu médiocre et grossier. Avant, Dieu me pardonne, par moments j’étais presque jaloux de votre gouverneur ; jaloux de vous voir prendre au sérieux ce que vous disait cette vielle bête de don Christoval plus que ce que je vous disais moi-même. Je songeais aussi : « A cause des affaires de l’Etat, il me faut perdre mon enfant : je n’ai pas le temps de m’occuper de lui. » A partir de quatorze ans, j’ai été bien content que votre gouverneur me débarrassât de vous. Je ne vous ai plus recherché, je vous ai fui. Vous avez aujourd’hui vingt-six ans : il y a treize ans que je n’ai plus rien à vous dire.

PEDRO  – Mon père…

FERRANTE « Mon père » : durant toute ma jeunesse, ces mots me faisaient vibrer. Il me semblait – en dehors de toute idée politique qu’avoir un fils devait être quelque chose d’immense… Mais regardez-moi donc ! Vos yeux fuient sans cesse pour me cacher tout ce qu’il y a en vous qui ne m’aime pas.

PEDRO Ils fuient pour vous cacher la peine que vous me faites. Vous savez bien que je vous aime. Mais, ce que vous me reprochez, c’est de ne pas avoir votre caractère. Est-ce ma faute si je ne suis pas vous ? Jamais, depuis combien d’années, jamais vous ne vous êtes intéressé à ce qui m’intéresse. Vous ne l’avez même pas feint. Si, une fois… Quand vous aviez votre fièvre tierce, et croyiez que vous alliez mourir ; tandis que je vous disais quelques mots auprès de votre lit, vous m’avez demandé : « Et les loups, en êtes-vous content ? ». Car c’était alors ma passion que la chasse au loup. Oui, une fois seulement, quand vous étiez tout affaibli et désespéré par le mal, vous m’avez parlé de ce que j’aime.

FERRANTE Vous croyez que ce que je vous reproche est de ne pas être semblable à moi. Ce n’est pas tout à fait cela. Je vous reproche de ne pas respirer à la hauteur où je respire. On peut avoir de l’indulgence pour la médiocrité qu’on pressent chez un enfant. Non pour celle qui s’étale dans un homme.

PEDRO Vous me parliez avec intérêt, avec gravité, avec bonté, à l’âge où je ne pouvais pas vous comprendre. Et à l’âge où je l’aurais pu, vous ne m’avez plus jamais parlé ainsi, – à moi que, dans les actes publics, vous nommez « mon bien-aimé fils » !

FERRANTE Parce qu’à cet âge-là non plus vous ne pouviez pas me comprendre. Mes paroles avaient l’air de passer à travers vous comme à travers un fantôme pour s’évanouir dans je ne sais quel monde : depuis longtemps la partie était perdue. Vous êtes vide de tout, et d’abord de vous-même. Vous êtes petit, et rapetissez tout à votre mesure. Je vous ai toujours vu abaisser le motif de mes entreprises : croire que je faisais par avidité ce que je faisais pour le bien du royaume ; croire que je faisais par ambition personnelle ce que je faisais pour la gloire de Dieu. De temps en temps, vous me jetiez à la tête votre fidélité. Mais je regardais à vos actes, et ils étaient toujours misérables.

PEDRO Mon père, si j’ai mal agi envers vous, je vous demande de me le pardonner.

 

 

 

 I – Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez aux deux questions suivantes (6 points) :

 

 

1) Dans ce corpus, quels sont les points communs aux trois personnages adultes ? Quels sont ceux des jeunes gens ? (3 points) 2) Les échanges qui opposent ces deux générations sont-ils tous présentés dans le même registre ? (3 points)

 

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (14 points) :

 

     

  • Commentaire Vous ferez !e commentaire du texte de Montherlant (texte C) en vous aidant du parcours de lecture suivant : 1) Montrez comment s’exprime le mépris du roi à l’égard de son fils. 2) Ce dialogue permet-il un véritable échange entre le roi et son fils ?
  • Dissertation Pourquoi le conflit entre les personnages pourrait-il être ce que vous retenez avant tout de la lecture ou de la représentation d’une pièce de théâtre ? Vous présenterez votre argumentation en prenant appui sur les textes du corpus et sur les œuvres que vous avez pu étudier ou voir.
  • Invention Un metteur en scène doit choisir dans le texte A ou le texte B un passage pour faire jouer à ses comédiens une scène de conflit. Il leur explique son choix et les idées de mise en scène que ce passage lui inspire. L’un des comédiens propose le choix d’un autre passage du texte A ou du texte B et le justifie par les possibilités de mise en scène qu’il offre. Vous rédigerez leur discussion en quelques répliques de dialogue. Vous veillerez à ce que ces répliques soient suffisamment développées (de trois à six  environ) pour la totalité du dialogue.
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