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Cette première page de Présent, passé, passé, présent peut-elle être considérée comme opérant une remise en question de l'autobiographie traditionnelle ?

Publié le 23/10/2010

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question

 

Dans cette première page du texte d’Ionesco, l’auteur semble vouloir se distancier de l’autobiographie traditionnelle. L’autobiographie traditionnelle comme nous la connaissons est celle de Rousseau ou de Chateaubriand. Ces auteurs dévouaient leurs œuvres à la remise en question de leur existence à travers la poétisation du passé. Rousseau, par exemple, va trouver jouissance et bonheur dans les bras de la Nature. Il cherchera à évoquer tous les plaisirs du passé de manière relativement chronologique en théâtralisant les moments qui lui ont étés chers. En cela, Rousseau invente l’autobiographie traditionnelle. Ionesco, lui, semble faire abstraction de toutes ces règles. 

 

Nous pouvons faire l’hypothèse que cette première page est une remise en question de l’autobiographie traditionnelle. Dans un premier temps, Ionesco décide d’éviter tout cadrage, toute temporalité. Comme le titre de l’œuvre nous l’indique, Ionesco fait des sauts entre passé et présent. Nous observons cette dualité temporale rien que dans les deux premières phrases : « je vois des ombres. J’avais deux ans, je crois. « Il nous est difficile de comprendre dans quel moment se placer. Cet alternation passé et présent va tout de suite conteste un principe fondamental de l’autobiographie traditionnelle : nous trouvons ici aucune théâtralisation du passé car c’est plutôt un réaction soudaine à un événement ancré dans le présent. Nous pourrions supposer qu’Ionesco alterne entre passée et présent et pour remettre en question l’autobiographie et pour faire parvenir cette idée que la réminiscence peut avoir lieu spontanément sans pouvoir être contrôlée.

 

Dans cet extrait, cet aspect de non contrôle de la réminiscence est traduite à travers ce changement d’action d’un paragraphe à l’autre qui ne suit aucune structure particulière. En effet, le passage de « je crie « à « lorsque « nourrit cette ellipse temporelle qui nous fait passer d’un événement à un autre. Ionesco passe d’un moment important à un autre dans sa vie tout en restant dans le passé. Il semble vouloir perturber le lecteur : où se situent le présent et le passé ? 

 

L’autobiographie traditionnelle repose sur une règle fondamentale : le questionnement sur soi et Ionesco ne fait parvenir aucun vrai questionnement sauf peut-être la quête de souvenirs. A travers les différentes histoires que nous raconte l’auteur, nous ne constatons à aucun moment un point de vue objectif sur l’événement raconté. Ionesco tenterait juste de capturer un souvenir sans y apporter de recul. Il ne va pas faire comme Rousseau et se demander pourquoi tel événement a eu lieu et en quoi cet événement a changé sa vie.

 

Chez Rousseau, nous retrouvons une quête constante de l’exactitude. Rousseau va s’obséder à raconter les faits avec certitude, sans douter de la date, du lieu, du décor. Ionesco, lui, va user de termes dubitatifs tels que « je crois «, « était-ce le premier mot que je prononçais ? « Nous pourrions interpréter cette incertitude comme un désir de garder l’essence de spontanéité du naturel. Néanmoins, cette spontanéité contient quelque chose que nous ne trouvons pas dans le autant dans l’autobiographie traditionnelle : le traumatisme. Le fait que le texte soit aussi saccadé et dans sa forme et dans la syntaxe montre vraiment que ces évènements ont agi comme de vrais traumatismes. Même si nous ne trouvons pas de questionnement de l’auteur au sein de cet extrait, nous constatons que la mémoire remonte par impulsions. Cette spontanéité de la réminiscence va faire revivre en lui les évènements qui l’auraient traumatisé.

 

Ionesco joue aussi avec les regards. Lorsqu’il décrit les évènements il évoque le fait qu’il ne voit pas certaines personnes. Il y a ici tout un élément d’ambigüité que l’on ne trouve pas dans l’autobiographie traditionnelle qui, elle, repose sur la surabondance de détails. Par exemple, Ionesco dit « quelqu’un (mon père ou ma mère.) « Ceci nous renvoie aux termes dubitatifs qui remettent en question l’authenticité de ce que narre Ionesco. Dans l’autobiographie traditionnelle, Rousseau tente de fonder et d’approfondir une illusion romanesque. Il crée un lien profond entre son passée et ses lecteurs. 

 

Néanmoins, malgré toutes ces disparités, nous retrouvons une chose qui appartient au genre autobiographique, qu’importe le siècle et l’auteur. Ionesco fait parvenir une certaine angoisse de la mort. Comme Rousseau, comme Chateaubriand, comme tout ceux qui adhèrent à l’autobiographie traditionnelle ou contemporaine, le texte d’Ionesco témoigne de l’humanité de l’auteur. Celui-ci est humain et va donc éprouver des sentiments que chaque individu a le droit d’éprouver. C’est en faisant référence à cette « lanterne magique «, avec le jeu assez cliché entre lumière et obscurité qu’il va montrer cette angoisse existentielle. Ionesco remet donc en question l’autobiographie traditionnelle mais va mettre l’accent sur sa peur, sa peur de mourir.

 

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