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Commentaire Nathalie Sarraute - Enfance

Publié le 22/10/2010

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sarraute

 

Enfance de Nathalie Sarraute est un roman autobiographique publié en 1989. Dans cette œuvre, l’auteur se parle comme si elle était deux personnes différentes. L’extrait étudié est le récit d’un souvenir dans lequel sa mère, occupée à débattre avec Kolia, rejette la petite Nathalie, qui avait voulu la défendre. En quoi le fait de monologuer sur des faits restés flous peut-il aider à les percevoir plus clairement bien des années plus tard ? Pour répondre à cela, nous étudierons tout d’abord la forme particulière de dialogue présent dans cet extrait, puis l’idée de l’abandon ressenti par l’auteur.

 

Nathalie Sarraute revient sur ses souvenirs en utilisant un dialogue, qui est en réalité un monologue à deux facettes, entre elle et sa conscience. Ce procédé original la pousse à revenir sur elle-même, à ne pas se  mentir, et à dégager une analyse bien plus intime de ses souvenirs.

 Le monologue de l’auteur apparaît comme un dialogue qui se déroulerait entre elle et sa conscience. Cette forme d’énonciation, singulière et surprenante, présente un échange d’idées permanent et des oppositions, tout comme l’étayent les lignes 45 et 49 : « Non, cela, je ne l’ai pas pensé… «, « Non, tu vas trop loin… «. Ces oppositions indiquent que l’auteur réfléchit sur les limites de ses sentiments en même temps qu’elle les écrit ; elle s’interdit donc certaines répliques, que la part narratrice d’elle-même considère comme fausses, car exagérées. Le choix du dialogue nécessite également l’utilisation des pronoms « je « et « tu «, qui désignent tous deux Nathalie Sarraute, quelle que soit la part d’elle-même qui s’exprime – ligne 46 : « je te l’accorde… «.

À plusieurs reprises, au cours de ce dialogue, la conscience de l’auteur intervient pour faire revenir cette dernière vers la vérité, vers des sensations plus précises que celles dont Nathalie Sarraute prétend se souvenir. Entre les lignes 15 et 18 se livre une sorte de confrontation des deux vérités, de ce que l’une et l’autre part de l’auteur sait ou pense savoir : « Mais c’est ce que j’ai senti longtemps après… Tu sais bien que sur le moment… « - « Oh, même sur le moment… et la preuve en est que ces mots sont restés en toi pour toujours «. L’auteur voudrait croire que l’impression de manque ressentie au cours de l’incident raconté ne s’est pas immédiatement manifestée, mais sa conscience la pousse à se l’avouer et à accepter la vérité. « Crois-tu vraiment ? «, question posée à la ligne 27, a pour but d’approfondir l’analyse, la véracité des propos explicatifs donnés par l’auteur sur les paroles de sa mère. La ligne 32 : « Et c’est tout ? Tu n’as rien senti d’autre ? «, s’ancre dans cette même optique visant à déterminer l’exacte vérité. Les encouragements de son égo, « Allons, fais un effort… « à la ligne 37 et « C’est bien, continue… « à la ligne 40, montrent que Nathalie a besoin de s’auto-motiver pour exprimer ses émotions d’enfant sans omettre le moindre détail, ou cacher la vérité derrière des faux-semblants.

Utiliser un deuxième soi est donc un moyen pour mieux se souvenir, pour être plus précis sur les évènements et sensations du passé. Cela permet également de se poser des limites et de réfléchir plus en profondeur sur l’authenticité des propos qu’on avance.

 

Un large emploi des champs lexicaux de l’abandon et de la détresse marque l’impression de rejet ressentie par l’auteur. Il est également question de la différence visible dans les relations que l’auteur, sa mère et Kolia entretenaient, et de la distance ainsi prise entre les deux partis.

Les expressions qui désignent le délaissement perçu par l’auteur sont très nombreuses et en gradation : « elle m’a repoussée doucement « ligne 22, « je me suis écartée « ligne 23, « aussi vite que si elle t’avait repoussée violemment « ligne 24. Cette première série de formules se concluent ligne 25 : « sur le moment ce que j’ai senti était très léger «. Nathalie Sarraute, après une première réflexion, croit se souvenir que cet abandon ne s’était pas tant fait sentir sur l’instant. Cependant, après que sa conscience l’ait un peu aiguillée – « tu enserres des bras la jupe de ta mère et elle se dégage […] l’air un peu agacé… « lignes 34 et 35 –, l’auteur emploie un discours et des mots plus forts pour désigner ce rejet : « je dérangeais leur jeu « ligne 36, « Je venais m’immiscer… m’insérer là où il n’y avait pour moi aucune place « lignes 38 et 39, « [J’étais] un corps étranger « lignes 41, 42 et 43. L’occurrence de ce dernier groupe nominal exclut définitivement Nathalie Sarraute du noyau qu’elle formait avec sa mère et Kolia.

Ce dernier était très respecté par l’auteur : « Je sentais se dégageant de Kolia […] le regard bienveillant qu’il posait sur moi, son sourire si facile à faire sourdre « lignes 1 à 5. Nathalie Sarraute entretenait donc une relation presque familiale avec Kolia, et l’adorait. Lui et sa mère parlaient souvent de choses que la petite ne comprenait pas – « Je ne saisissais pas bien ce qu’ils disaient «, ligne 9 –, mais ce qui les liait tous deux la touchait néanmoins, tout comme l’expriment les lignes 12 et 13 : « Ce qui se passait entre Kolia et maman […] j’en recevais, moi aussi, comme des ondes «. La relation mère-fille présentée à travers ce souvenir montre à la fois l’amour et la cession entre elles. « Je la croyais menacée, et elle a voulu me rassurer «, ligne 29, est une expression évoquant la tendresse qu’il existait entre elle ; « femme et mari sont un même parti «, lignes 23, 31 et 35, est un dicton que la mère a utilisé comme pour faire comprendre à l’auteur qu’elle n’avait pas sa place au milieu de la discussion, et par extension entre eux deux. L’expression du « corps étranger « se complète avec la conclusion donnée par la conscience de l’auteur : « Il faut que l’organisme où il s’est introduit tôt ou tard l’élimine «, lignes 43 et 44. Ainsi Nathalie Sarraute se sentait-elle un intrus au milieu de l’« organisme « que formaient Kolia et sa mère.

À travers ces expressions graduées et les divers aspects relationnels qu’il existait entre les trois personnages, on ressent que la jeune Nathalie Sarraute était mise à l’écart des deux autres, qui partageaient de très nombreuses choses autres que ce que la petite pouvait comprendre ou vivre. La notion d’abandon est donc mise en avant par l’auteur qui se sentait rejetée par des gens pour lesquels elle ressentait beaucoup de respect et d’amour.

 

Cet extrait d’Enfance montre donc que l’utilisation de cette forme particulière de dialogue intérieur permet de revenir sur les sensations réellement perçues lors d’évènements racontés plus précisément. De fait les sentiments s’en trouvent décuplés, et l’abandon que Nathalie Sarraute évoque à travers ce souvenir en paraît plus douloureux.

 

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