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Commentaire sur Paix de Damilaville

Publié le 12/02/2011

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PRÉSENTATION DU TEXTE

La réflexion sur la guerre constitue un thème récurrent de la pensée philosophique du XVIII e siècle. Montesquieu (Lettres persanes, \" Apologue des Troglodytes \"), Voltaire (Micromegas, Candide, Dictionnaire philosophique), Jaucourt (article \" Guerre \" de l'Encyclopédie en ont déjà dénoncé les méfaits. Damilaville, à son tour, reprend l'analyse dans l'article \" Paix \", montrant par ce choix à quel point les deux notions ne peuvent se définir que l'une par rapport à l'autre.

Ce qu'ils dénoncent est l'arbitraire, l'horreur, les dévastations causées par la guerre, la manière dont sont bafoués les droits les plus élémentaires des populations civiles. Mais, comme bien souvent, leur critique va plus loin et vise directement ceux qui décident les guerres : les princes. Leurs passions, leurs ambitions, leur manque de raison, le souci constant de leurs intérêts personnels au détriment du bonheur de leurs peuples sont sévèrement stigmatisés par les philosophes qui font ainsi la critique du pouvoir politique.

L'extrait de l'article \" Paix \" donné ici est surtout consacré à la guerre. Chacun des deux paragraphes est construit sur un double jeu d'oppositions : opposition guerre/paix dans le premier, à partir d'une métaphore qui fait de la guerre une maladie et de la paix un état d'équilibre et de bonne santé, opposition hypothèse/réalité dans le second. Dans les deux cas, sont longuement étudiées les conséquences catastrophiques de la guerre sur les pays engagés dans des conflits. La dénonciation de la guerre s'inscrit dans une réflexion générale sur la politique mise au service du bonheur des nations et des individus.

STRUCTURE DU TEXTE

La division de l'extrait en deux paragraphes correspond à une double approche des problèmes posés par l'absence de paix, c'est-à-dire par l'état de guerre (ce terme est d'ailleurs le premier du premier paragraphe).

Premier paragraphe

Ouverture sur une sorte de définition de la guerre et développement de l'état de paix en une métaphore filée tout au long du paragraphe (guerre = \" maladie \", paix = santé). Une articulation centrale (\" la guerre, au contraire \", l. 5) fait apparaître, sous forme contradictoire, les images désastreuses de la guerre. Le paragraphe entier est construit à partir des deux notions antithétiques, l'une fortement valorisée, l'autre nettement dénoncée.

Deuxième paragraphe

Il évolue lui aussi en deux étapes. La première (l. 11-17) est entièrement construite sur une hypothèse (emploi récurrent de \" si \" et du conditionnel) qui souligne un irréel du présent. L'auteur envisage une situation utopique dans laquelle les hommes seraient raisonnables. La deuxième étape, qui commence avec l'expression d'une opposition (\" mais \", l. 17), est une analyse de la conduite réelle des princes. Cette conduite est envisagée non pas de manière historiquement contemporaine, mais dans le déroulement de l'Histoire.

ÉTUDE DU PREMIER PARAGRAPHE LA MÉTAPHORE DE LA MALADIE, L'OPPOSITION GUERRE/PAIX

La métaphore de la maladie

Dès le début du texte la guerre est présentée sous une forme métaphorique (\" c'est une maladie \", l. 1) reprise et complétée au cours du paragraphe à travers tout un champ lexical de la maladie. L'image est favorisée par l'assimilation de la nation à un \" corps politique \". Le choix du terme \" corps \" légitime l'utilisation du vocabulaire médical. On peut en effet récapituler les termes suivants : \" santé \" (l. 2), \" vigueur \" (l. 3), \" membres \" (l. 9), \" plaies \" et \" guérir \" (l. 10). La guerre est ainsi présentée comme un état de trouble, de perturbation, d'anormalité destructrice, pouvant, comme la maladie, conduire à la mort. Certaines caractérisations, comme \" convulsive \" et \" violente \" (l. 1) s'inscrivent dans le même registre en soulignant le caractère incontrôlable et peut-être imprévisible de la maladie. On voit apparaître à travers cette formulation l'idée, chère à Rousseau, qu'il s'agit, dans la violence et la destruction, d'une détérioration de la nature humaine, non portée originellement à détruire.

L'opposition guerre/paix

Damilaville oppose un état anormal et maladif à un état naturel et utile, efficace. D'un côté, il situe la destruction, le désordre, la détérioration, de l'autre, la prospérité dans tous les domaines. La reprise de certains termes renforce la double idée de parallélisme et d'opposition entre les deux notions et les situations qu'engendrent respectivement la guerre et la paix.

 

On voit ainsi apparaître d'un côté tous les aspects positifs, constructifs et louables de la paix : développement économique, liberté et bonheur et de l'autre tous les aspects destructifs et néfastes de la' guerre, ruine, désordre social, privation de liberté ou liberté effrénée, désastre économique. La conclusion du paragraphe rappelle que les éventuels succès guerriers n'offrent jamais de compensation assez grande pour justifier les horreurs commises. Là encore, des termes antithétiques soulignent l'absence totale d'équilibre entre ce qu'apporte la guerre et ce qu'elle fait disparaître : \" triomphes les plus éclatants \" / \" perte d'une multitude de ses membres \" ; \" victoires \" / \" plaies profondes \" (l. 10).

La négation catégorique qui sépare les éléments opposés marque leur caractère irréductible : il y a incompatibilité entière, totale et irréversible entre eux d'après Damilaville. C'est d'ailleurs ce que ` souligne aussi l'opposition entre les champs lexicaux auxquels appartiennent ces termes (succès d'un côté, souffrance et destruction de l'autre).

ÉTUDE DU DEUXIÈME PARAGRAPHE ANALYSE DU COMPORTEMENT DES PRINCES

 

Une situation hypothétique

Dès le début du deuxième paragraphe, Damilaville suppose une situation caractérisée par la domination de la raison (\" si la raison gouvernait les hommes \", l. 11) et en envisage les conséquences sur le plan de la guerre et de la paix. La série de verbes au conditionnel qui suivent l'énoncé de l'hypothèse énumère, de manière négative, des actes destructifs qui sont précisément ceux auxquels se livrent les \" chefs des nations \" (l. 11). Le choix de formulations négatives (\" ils ne marqueraient point cet acharnement... \", l. 12-13) permet à l'auteur d'évoquer de manière très efficace, très \" parlante \" parce que faciles à se représenter et très évocatrices, des attitudes guerrières. La dénonciation est plus efficace que si les formulations avaient été affirmatives. Les images évoquées sont en effet très représentatives de l'état de violence qui transforme les êtres humains en êtres inhumains : comparaison avec les \" bêtes féroces \" (l. 13), avidité de se battre (\" ils ne saisiraient point... \", l. 14), allusion à la folie sanguinaire (\" fureurs de la guerre \", l. 12). Parallèlement, parce que le point de départ de l'article est le mot \" Paix \", Damilaville fait constamment allusion aux bienfaits de l'état opposé par l'utilisation d'un champ lexical de la tranquillité: \" tranquillité \" (l. 13), \" bonheur \" (l. 14), \" satisfaits \" (l. 15). On voit, là encore, se mettre en place un jeu d'oppositions entre la violence (\" fureurs \", l. 12; \" acharnement \", l. 13 ; \" envie \", l. 15) et la réflexion née de la raison (\" attentifs \", l. 13 ; \" les souverains sentiraient... \", l. 16).

 

La réalité

Le conditionnel traduit une situation d'irréel du présent (action non réalisée), renforcée par l'opposition de la ligne 17 (\" Mais \"). L'utilisation du \" Mais \" souligne un retour à une réalité différente, celle de princes non gouvernés par la raison. On trouve donc dans cette deuxième partie de paragraphe, de manière affirmative et à l'indicatif, ce qui était exprimé au conditionnel et de manière négative dans la première. Damilaville s'intéresse d'abord aux nations, puis aux princes.

Le comportement des nations : il est violemment dénoncé à travers l'expression d'une attitude irréfléchie, irresponsable et négative. L'emploi du présent généralise l'observation, ce qui est accentué par l'emploi de l'adverbe \" perpétuellement \" (l. 18). Le verbe pronominal \" se priver \" (l. 20) met en relief un comportement de refus de confiance et de quasi autodestruction.

Les princes : Damilaville met en relief une attitude intéressée, dictée par une soumission aux passions et aux ambitions. Les termes \" passions aveugles \" (l. 21, repris à la ligne 23), \" étendre les bornes \" (l. 22), nettement dépréciatifs, insistent sur l'absence de raison (voir l'importance du mot à la ligne 11) et sur le manque d'intérêt pour le bonheur des sujets (\" peu occupés du bien de leurs sujets \", l. 22). La guerre est présentée ici comme le moyen utilisé par les princes pour satisfaire des caprices territoriaux personnels (\" étendre les bornes de leurs États \", l. 22). Il faut ajouter à cette attitude déraisonnable et peu digne de \" princes \" la responsabilité de l'entourage (\" ministres ambitieux \", \" guerriers \", l. 24).

La dernière partie de l'extrait est consacrée à une observation critique de l'Histoire dans son déroulement : multiplicité des guerres et refus de la paix. Damilaville trouve des accents lyriques et éloquents pour stigmatiser des comportements répétitifs qui ne conduisent, pour des rêves de gloire, qu'au malheur des peuples. Il met ainsi en relief l'idée que pour les princes la paix n'est apparemment pas un état naturel tandis que la guerre se révèle comme l'expression d'une passion conduisant à la réalisation des plus grandes ambitions personnelles. Le côté imagé du langage et des formulations (\" champs dévastés \", \" villes réduites en cendres \", \" carnage inutile \", \" édifice chimérique \", \" guerriers turbulents \", \" victime \", \" sang \") sont de nature à frapper l'imagination, à susciter l'indignation. Les formules frappantes et réductrices font apparaître responsables et victimes en une sorte de face à face dramatisé qui souligne l'irresponsabilité ambitieuse et puérile des uns et l'horreur du malheur des autres.

CONCLUSION

L'efficacité dénonciatrice et polémique du texte vient de la constante opposition entre les résultats dévastateurs de la guerre et les effets bénéfiques et constructifs de la paix. Les deux tableaux alternés ou mêlés font apparaître chacun des deux états selon un rapprochement tantôt valorisant tantôt dénonciateur. La critique virulente des princes dans le déclenchement des guerres s'inscrit dans le projet général du siècle philosophe, qui est de combattre toutes les formes d'arbitraire et de mettre en relief les vertus d'un bon prince. On comprend alors l'importance des allusions à la raison, l'insistance sur la responsabilité de ceux qui dirigent et l'image de la guerre présentée comme une déviation de la nature humaine. Ce sont beaucoup plus les princes que les hommes qui sont ici visés.

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