Connaissance de soi chez Rousseau
Publié le 27/02/2008
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La connaissance de soi, pour Rousseau, fait donc appel à deux attitudes extrêmes et opposées : ou bien le moi devient étranger à lui‐même, afin de se percevoir en spectateur, comme un objet extérieur ; ou bien, au contraire, il cherche à se connaître par sentiment, sans se quitter, grâce à une intuition immédiate qui prévient toute division de la conscience. Point de milieu possible, semble‐t‐il, entre l’unité complète et la scission (1) achevée. C’est là le devoir qu’il s’est prescrit : il nous le fait hautement savoir, et nous ne pouvons désormais refuser notre confiance. Comment contester la sincérité de celui qui se met en situation de subir la vérité ?
Seulement il promet plus qu’il ne peut tenir. Le dédoublement parfait, ou la pleine adhésion à soi, ce sont des états limites vers lesquels la conscience s’oriente avec obstination, mais qu’elle n’atteint jamais. Les philosophes, et notamment J
‐P Sartre, conviennent que cette recherche est vouée à l’échec ; ils vont jusqu’à croire qu’elle n’est jamais entreprise que dans l’obscure intention de rencontrer l’échec. Cette quiétude, cette plénitude, cette sécurité nous sont désirables parce que la condition naturelle de la conscience de soi est exactement l’inverse : insécurité, fuite, présence et distance imparfaites. La réflexion, d’une part, nous arrache à la spontanéité aveugle de l’instinct ; mais, d’autre part, comme la réflexion reste éternellement inachevée, nous n’accédons jamais à la clairvoyance où l’image de nous‐mêmes apparaîtrait avec la précision d’un objet.
Dans la réflexion, l’unité primitive de la conscience se fêle : l’être qui se rapporte réflexivement à lui
‐ même perd la possession entière de soi qui est le privilège des actes obscurs du sentiment. Se voir réflexivement, c’est rencontrer un fantôme, à la fois proche et jamais rejoint. C’est donc dissiper une précieuse présence : l’on recule dans le néant pour se représenter sa propre existence. Ainsi devient‐on l’esclave d’un paraître, que l’on a fait surgir sur une scène imaginaire afin de s’apparaître à ses propres yeux. A partir de là, tous les dangers moraux du mensonge nous guettent : vanité, amour propre, etc. Telle est la théorie (2). Aussi comprend‐on que Rousseau ait eu parfois la tentation d’en finir avec la réflexion et de nier la possibilité même de toute vue intérieure. Le voici qui décrète : « Nous ne voyons ni l’âme d’autrui, parce qu’elle se cache, ni la nôtre, parce que nous n’avons point de miroir intellectuel. Nous sommes de tout point aveugles, mais aveugles‐nés ». Nous ne possédons ni la vision, ni le miroir où notre effigie puisse se refléter. Nous sommes condamnés à l’obscur. Est‐ce dire que nous serons privés de toute connaissance de nous‐mêmes ? Nullement, Si, dans l’obscur, l’acte du regard est impossible, il nous reste l’évidence du sentiment.
Jean Starobinski,
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