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Corrigé du texte d’Aristote : Le problème de l’identité & de l'amitié

Publié le 03/11/2011

Extrait du document

aristote

Corrigé du texte d’Aristote :

Le problème de l’identité & de l'amitié

Éthique à Nicomaque, Livre8

 

 

 

Remarques générales :

 

Il faut d’abord noter que les notes catastrophiques du commentaire sont liées à un fait : D’une part vous n’avez pas lu correctement, avec toute l’attention nécessaire, le texte. Il y a eu énormément de contresens, parfois très grossiers. D’autre part il y au eu beaucoup de paraphrase. Donc je vais commencer par faire une analyse de l’intitulé,  pour repréciser les règles, les enjeux, et les attendus de l’exercice.

 

La doctrine de l’auteur n’est pas requise : cela veut dire que vous n’êtes pas obligés de connaître la philosophie d’Aristote. Je dirais même que dans une certaine mesure des connaissances extérieures (la dialectique maîtrise-servitude) sont gênantes, surtout lorsqu’elles arrivent comme un cheveu sur la soupe. Ceci dit cela n’empêche pas d’avoir une culture philosophique qui vous permet de ne pas écrire des bêtises (genre : « Hegel n’aurait pas été d’accord, Sartre lui oui »)

 

Il faut et il suffit que l’explication rende compte […] du problème dont il est question : c’est donc là que se trouve le cœur de l’exercice : le problème philosophique. Je vous rappelle que le problème n’est pas le thème ; Le thème c’est le sujet dont parle le texte (ici la connaissance de soi), alors que le problème, c’est ce qui pose problème, c’est-à-dire ce qui suscite une difficulté, et qui nécessite qu’on se pose des questions ; Si vous ne comprenez pas qu’il y a problème, c’est que vous avez mal lu le texte. Partez du principe que le texte a toujours été choisi (du moins au niveau du baccalauréat) parce qu’il pose un problème philosophique que vous pouvez repérer.

 

Par la compréhension précise du texte : donc la compréhension du texte dans ses idées, et dans sa structure argumentative est nécessaire. Je vous rappelle le principe de base : il faut au moins trois lectures (chacune pouvant se faire à plusieurs reprises.) :

       Une lecture générale, qui prend le texte dans son ensemble, pour en comprendre le thème, et surtout la stratégie globale du texte.

       Une lecture plus attentive, qui découpe le texte en repérant les grandes articulations (le plan), et en repérant les difficultés.

       Une lecture lente et détaillée, qui repère les concepts, et les enjeux du texte.

C’est à ce prix que vous réussirez à maîtriser le texte ; Bien entendu chaque lecture se fait crayon à la main et feuille de brouillon à côté de vous. Vous devez noter chaque étape, pour pouvoir vous y référer régulièrement. Ne soyez pas avare en papier, et n’hésitez pas à les garder pour pouvoir les relire à chaque instant de votre rédaction finale.

 

 

 

Je vous donne une organisation temporelle pour s’organiser en quatre heures :

8h-8h15 : découverte et choix du sujet

8h15-9h15 : première lecture, et analyse du plan (qui structurera votre commentaire)

9h15-10h : analyse précise des concepts et des articulations argumentatives.

10h-10h30 : rédaction de l’introduction et de la conclusion.

10h30 -11h45 : rédaction du commentaire

11h45-12h : relecture obligatoire.

 

Vous voyez qu’il faut consacrer moins de temps à la rédaction que pour la dissertation. Car dans le cas du commentaire, le travail de lecture et d’analyse du texte représente 75% de votre investissement. Autrement dit tout se passe au brouillon. Après la rédaction doit être simple et claire. Ce qui suit va donc être naturellement ce que vous auriez dû réaliser au brouillon.

 

 

 

 

Explication du texte d’Aristote :

[Ce corrigé n’est pas rédigé. Il essaie simplement de dégager les étapes que vous devez suivre pour cerner l’intérêt philosophique du texte, après avoir correctement lu le texte bien entendu Toutes les remarques écrites en italiques et encadrées par des crochets sont des conseils, qu’il ne faut donc pas intégrer à votre propre travail.]

 

Problématique :

 

Il s’agit de la connaissance de soi. Effectivement toute la tradition grecque mit en avant  le « gnosé séauton », « connais-toi toi-même » en grec, comme porte ouverte sur la sagesse. Comme si l’être n’était pas transparent à lui-même, et qu’il avait besoin d’une recherche introspective, afin de comprendre quelle voie il devait emprunter pour être sage. [lorsque vous faîtes référence à un tel pilier de la philosophie, le « connais-toi toi-même » socratique, même si c’est dans l’introduction, vous devez l’expliquer, et notamment montrer la pertinence de la liaison entre l’introspection et la recherche de la sagesse. Cela d’ailleurs peut vous permettre d’ouvrir la voie vers une interprétation plus riche du texte, car Aristote -certes indirectement- a été en quelque  sorte le petit-fils philosophique de Socrate, grâce à l’enseignement de Platon.]

Il ne s’agit pas, bien que cela aurait pu être possible, d’introduire la problématique de l’inconscient, car la philosophie grecque ne pense pas la dualité de l’être, et donc le concept freudien ne peut pas apparaître dans un texte d’Aristote.

Mais sur le plan comportemental, il y a une part de subjectivité qui fait que nous ne jugeons pas correctement. Il ne s’agit pas de l’essence de l’être, mais de la dimension morale de l’être : que valent mes actes ? Suis-je digne de respect ? [Le titre de livre d’où était extrait ce texte aurait pu vous mettre sur la piste d’une éthique]

Nous ne nous voyons pas, car d’une part nous ne pouvons pas nous contempler (dualité moderne du sujet-objet), mais d’autre part parce que nous sommes indulgents envers nous-mêmes. Nous ressentons même de la passion pour nous. Aristote développe le thème de l’amour de soi, voire de l’amour-propre, de la vanité, de l’orgueil, de la fierté, qui sont autant de déclinaisons de la philosophie morale, du moins de la philosophie qui traite des rapports que nous entretenons avec les autres, c'est-à-dire la politique.

Il n’est absolument pas évident que les seuls thèmes de ce texte soit l’introspection et la recherche de notre moi intérieur. [Il faut vraiment avoir une lecture attentive du texte, et ne pas se laisser déborder par un thème qui paraît évident, et qui est si gros qu’il cache le reste. Rigoureusement tous les élèves de la classe ont commis le contresens majeur de ne déceler que le problème de l’introspection. Heureusement votre bon professeur, magnanime, ne vous a pas sanctionné à ce niveau…] Jamais Aristote ne développe la question « Qui suis-je » prenant le verbe être dans son acception abstraite. Il utilise plutôt un usage pratique, concret, presque trivial, du moins ancré dans nos préoccupations quotidiennes : Il s’agit « des mêmes erreurs que nous commettons [tout comme les autres, nos voisins, nos proches, nos frères.] » Nous rejoignons la problématique socratique du « gnosé séauton » à valeur éthique.

[Vous devez donc ne pas vous soucier de la forme de la démonstration. Votre question ne doit pas être « Comment Aristote réussit à nous convaincre ? », mais quelle question fondamentale pose-t-il, et quelle est la portée d’une telle problématique ? Toutes les remarques qui se demandent quel est l’effet rhétorique qu’utilise Aristote, ne sont utiles que si elles permettent de mettre en valeur les idées philosophiques d’Aristote. C’est là, peut-être, la différence entre le commentaire de français et celui de philosophie.]

 

Quelle est la thèse ?  

 

Beaucoup plus lisible, il s’agit bien entendu de l’intervention de l’ami, qui fait office de miroir. Cependant nous pouvons mettre en lumière plusieurs difficultés :

a)      Tout d’abord face au miroir, nous adoptons une certaine posture, celle de se regarder dans le miroir. Il est certain que ce n’est pas naturel, spontané, car notre attitude est celle de quelqu’un qui se regarde.

 

b)      L’ami est-il objectif ? N’a-t-il pas une forme de passion pour son alter ego, qui fait qu’il va chercher à nous faire plaisir en minimisant nos défauts ? Certes il peut être sincère, honnête. Mais pour vraiment  se connaître, un ennemi, dans sa sincérité cruelle ou son indifférence à mon orgueil, ne peut-il pas être un juge plus implacable, et plus pertinent de mes actes ? Notre ami met en avant nos qualités, cependant fait-il le travail nécessaire pour que je puisse prendre conscience de mes défauts, de l’origine de mes erreurs ? C’est possible, mais ce n’est pas systématique.

 

 

c)       Le 3ème  problème est que notre ami est un autre soi-même, c'est-à-dire qu’au-delà de l’altérité, cet ami nous ressemble. Puisque nous ne nous connaissons pas ( c’est la problématique de ce texte), nous ne recherchons pas naturellement des personnes que nous trouvons proches de nous. Aristote met plutôt en avant une théorie des affinités : nous nous sentons bien qu’auprès de quelqu’un qui a les mêmes valeurs, les mêmes goûts, le même caractère que nous. Cela change la perspective, car est-ce que cela veut dire que nous regardons notre ami agir, et qu’ainsi nous contemplons (de l’extérieur, comme nous contemplons un objet) une forme de double miroir en trois dimensions ? Cela donne à la théorie d’Aristote une dimension bancale, car l’objectivité recherchée n’est alors en aucun cas assurée. Lorsque nous notons qu’il s’agit de se juger, c’est trop insuffisant.

 

En réalité ce que prône Aristote, c’est une forme d’homogénéité sociale. L’ami est un autre soi-même [il faut dans votre commentaire expliquer d telles expressions. Je l’ai lue souvent, mais je l’ai très peu vue expliquée.]. L’ami est celui qui est comme moi, semblable à moi. Le différent ne peut pas être comme moi, puisqu’il est l’autre différent. L’ami, qui ne peut pas être un rival, un jaloux ou un tyran, doit développer une forme d’égalité. Toute idée de dialectique du maître & de l’esclave doit être écartée. Le rapport que j’entretiens avec mon ami est platonique et pacifié.

 

d)     La dernière difficulté est le problème du regard tel qu’il est posé par Sartre. [ à ce propos lorsque vous mettez en place une citation, il faut l’expliquer et l’exploiter, surtout s’il s’agit d’une citation phare comme celle de Sartre.] Le philosophe français expliquait que la communication était plutôt rare entre les individus. C’est le regard de l’autre qui me parle. Mais je le vis sur le mode du conflit, car le regard de l’autre me réduit à l’état d’objet. Ma liberté de sujet est contredite par le regard de l’autre qui me juge. De plus il précise que la conscience est solitaire. Si l’autre me jugeait ouvertement, je pourrais refuser cet acte comme un mauvais portrait fait de moi-même. Mais le silence du regard de l’autre agit comme un catalyseur, déclenchant un processus de reconnaissance de ce que je suis moi-même. Certes la citation issue de L’Être et le Néant pouvait être pertinente, car l’autre est un médiateur, mais il fallait ne pas oublier que la conscience solitaire utilise ce regard pour se construire toujours sur le mode du conflit : Je n’accepte pas ce que l’autre peut dire de moi, mais j’essaie de coller au mieux à l’image que je pense donner de moi aux autres.

Il y a là une véritable difficulté dans le travail d’Aristote, une forme de faiblesse, si nous nous en tenons à l’interprétation du dialogue sincère entre moi et mon ami. Les réflexions sartriennes -inspirées bien entendu par les analyses hégéliennes sur les rapports de dominations entre deux individus, n’envisagent pas l’hypothèse de l’ami, car le phénoménologue du 20ème siècle ne supposait pas qu’une telle relation existe sans artifice ou mauvaise foi. Cependant, pour revenir au texte d’Aristote que nous prendrions dans son sens le plus littéral, c'est-à-dire en restant à un niveau de lecture strict sans l’interpréter, l’ami serait alors un miroir, et nous pourrions nous y contempler, tel ces miroirs qui nous renvoient notre image dans la plus parfaite neutralité. Nous pouvons être critiques, car une telle attitude pose des problèmes : est-ce le comportement de l’ami que nous observons, ou juste sa réaction face à notre comportement. Freud lui-même indiquait que le psychanalyste devait cacher son visage, lors du récit de son patient, pour que ce dernier ne soit pas influencé par ses mimiques. Nous pouvons comprendre qu’un ami peut être agacé par notre comportement, ennuyé par le récit de nos malheurs, sans pour autant que cela veuille dire qu’il condamne notre attitude. Notre ami pris comme un miroir, c’est une interprétation difficile à manier, mais c’est celle qui semble la plus cohérente avec le sens du texte.

En tout cas, cela ne peut pas être rapproché de l’analyse phénoménologique de Sartre. Chez le français, les relations humaines sont essentiellement basées sur le conflit, la réalité de la solitude ; l’autre reste celui qui me juge, me réduit à l’état d’objet. Chez Aristote il faut dépasser cet état conflictuel, à travers la relation amitieuse. Nous ne pouvons pas rapprocher strictement les deux analyses, mais l’analyse sartrienne n’annule pas les remarques aristotéliciennes. Elles ne se construisent pas même niveau.

 

Nous dépassons toutes ces difficultés en reprécisant le thème de la connaissance de soi, à travers la mystérieuse dernière phrase du texte [que personne d’ailleurs n’a expliqué. Voilà un exemple de difficultés éludées. Au mieux, les meilleurs d’entre vous ont recopié la phrase!] : « L’homme qui se suffit à soi-même aurait besoin d’amitié pour apprendre à se connaître soi-même. » Il est difficile de trouver du sens si nous comprenons « se suffire à soi-même » comme la simple réponse à nos besoins. Cela prend son sens uniquement si nous expliquons que celui qui se suffit est celui qui s’aime, qui est suffisant, vaniteux, sûr de lui, plein d’orgueil. Apprendre à se connaître est apprendre l’humilité, comprendre ses faiblesses et ses limites ; l’homme qui se suffit à lui-même est un être pauvre. L’amitié est une richesse qui permet de prendre la réelle mesure de ce que nous sommes. C’est le souci de soi (thème récurrent dans toute la philosophie grecque) qui commande la volonté de se connaître. C’est faire de soi un être sage et bienheureux. L’ami est un guide vers une éthique qui ouvre les portes du bonheur dans l’humilité.

Cela rend du coup plus clair, rétrospectivement, l’allusion au plaisir de se connaître. Nous avions du mal à comprendre pourquoi un philosophe, dont le rôle est avant tout d’élaborer des concepts, se laissait aller à une remarque sur les sentiments. Cela donnait une perspective peu rigoureuse au texte. Mais désormais nous pouvons comprendre que le plaisir est une sensation qui témoigne d’une inclination : c'est-à-dire que nous nous enrichissons en prenant conscience de nos défauts et de nos erreurs ; c’est un pas fait vers la sophia et corrélativement vers le bonheur (puisqu’il est évident, du moins pour les grecs, mais sans doute aussi pour le bon sens populaire, que le sage est heureux. Nous pouvons encore mieux comprendre cela si nous expliquons que pour la pensée grecque, le plaisir est une forme de sensibilité : il y effectivement d’une part la sensibilité externe (les cinq sens), qui est une ouverture sur le monde, mais il y a également la sensibilité interne (le plaisir et la douleur) qui témoigne de notre rapport au monde. Le plaisir est une sensation, mais c’est aussi une forme de connaissance. Cela m’indique que ce que je fais est bon pour moi. Le plaisir est donc un concept à considérer pour comprendre que la connaissance de soi permet l’épanouissement de la personne[1].

 

 

Introduction :

Lors de son procès, Socrate[2] expliquait que la base de la sagesse était la recherche de la connaissance de soi ; la phrase « Connais-toi toi-même » a une valeur éthique, et permet de cultiver le souci de soi, c'est-à-dire la recherche d’une certaine forme de bonheur ; Aristote qui est un grec n’échappe pas à ce type d’interrogation ; Son texte, extrait de L’Éthique à Nicomaque, explique la valeur morale de la connaissance de soi. Je me juge mal, car je suis trop subjectif, je m’aime trop. Et ce défaut d’objectivité m’empêche d’enrichir, d’acquérir une sagesse qui me permettra d’accéder au bonheur ;

La réponse à ce problème pratique (et nullement théorique) est la rencontre d’un ami qui s’offre comme un miroir. La phénoménologie moderne, avec Hegel et Sartre, expliquait que les relations humaines étaient basées pour l’essentiel sur le conflit et la volonté de reconnaissance. La solution offerte par Aristote peut-elle être plus riche, ou est-elle radicalement obsolète, peut-être même utopique ? Nous essaierons de répondre en analysant précisément les richesses du texte.

 

 

Conclusion :

Ce texte est résolument un texte de morale. Le thème de la connaissance de soi n’est pas centrale, mais juste le tremplin pour comprendre que se connaître, c’est réussir à dépasser des défauts dont nous ne sommes peut-être pas conscients ; Pour cela il faut le dialogue aimable d’un ami, qui joue le rôle d’un miroir. La manière dont fonctionne cet échange n’est pas très claire, car nous savons, depuis Sartre, que la conscience est essentiellement (par essence) solitaire ; mais la relation amitieuse et pacifiée permet d’éviter un conflit qui rendrait opaque notre recherche. L’ami me permet de m’enrichir, et celui qui se suffit à lui-même, dans le sens où il n’a pas besoin des autres, est un être pauvre, qui ne peut pas être heureux.

Ce texte a une tonalité proche des philosophies bouddhistes actuelles : c’est le rapport à l’autre qui mène au bonheur ; Il y a un lien direct entre la morale et la politique.

 


[1] Épicure, philosophe grec contemporain d’Aristote et élève spirituel de la philosophie socratique, fit même du plaisir l’unique déterminant pour connaître et distinguer le bien du mal.

[2] Voir L’apologie de Socrate, de Platon

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