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Craxi, le premier ministre du boom économique

Publié le 22/02/2012

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3 mars 1987 - Un pays " fourmillant d'entreprises " qui a " retrouvé sa sécurité " après la vague de terrorisme et dont l'image s' " affirme partout dans le monde " : ainsi a été décrite le 3 mars, devant les sénateurs, par Bettino Craxi, l'Italie, qu'une " crise des rapports politiques entre les cinq partis de la coalition " a privée de son premier gouvernement à direction socialiste, après un peu plus de trois ans et demi d'exercice. Quel bilan dresser du gouvernement Craxi ? Tout d'abord, il a duré. Le coup d'essai d'un socialiste au palais Chigi aura, pour la longévité, été un coup de maître : seuls avant lui, les démocrates-chrétiens de Gasperi et Moro avaient tenu aussi longtemps d'affilée. Le mérite de la permanence d'une coalition ne saurait évidemment être mis au crédit de son seul chef. Et, de fait, la Démocratie chrétienne affaiblie par trop d' " affaires " et sanctionnée aux dernières législatives de 1983, a adopté une attitude plutôt conciliante face à un président du conseil très incommode. Mais, à la vérité, s'il a toujours parlé haut et fort, confortant son image de " leader cactus ", Bettino Craxi n'a pas manqué, en réaliste, d'accorder à son puissant allié les satisfactions nécessaires à la poursuite de l'alliance : rupture en 1985 de la plupart des " conseils rouges " formés aux plans municipal et régional avec le PC une décennie plus tôt, et élections la même année du démocrate-chrétien Francisco Cossiga à la tête de l'Etat, en remplacement du socialiste Sandro Pertini. La longévité de Bettino Craxi a été perçue comme un bien en soi dans un pays habitué à des gouvernements ne durant que moins d'un an en moyenne. Bettino Craxi a par ailleurs été le premier ministre du boom économique italien. Certes, le redressement industriel avait débuté dès 1980. Mais c'est durant l'été 1983 que la reprise s'est confirmée. La chance de Bettino Craxi, aura été d'arriver à la tête du gouvernement alors que les indicateurs s'orientaient vers le mieux. Un seul exemple : l'inflation. Qu'elle ait été ramenée à 6,1 % en 1986 contre 15 % en 1983 est considéré à juste titre comme le plus grand succès économique du cabinet sortant. Mais en 1980, elle était de 21 % : le mouvement de baisse était donc déjà amorcé. C'est sur ce terrain pourtant que l'on situe d'ordinaire le seul véritable acte de volontarisme du leader socialiste : le décret du 14 février 1984 dit " de la Saint-Valentin ", par lequel le gouvernement limitait autoritairement de trois points la progression automatique de l'échelle mobile des salaires relativement à l'inflation. Cette intervention dans un domaine considéré depuis quinze ans, dans la péninsule, de la compétence exclusive des syndicats a marqué le fin de la toute-puissance des organisations ouvrières. Il n'est pas jusqu'au PC qui n'en ait été profondément atteint puisqu'il s'est mêlé de promouvoir sur ce sujet, en juin 1985, un référendum qu'il a perdu. Victoire peut-être douteuse pour un socialiste, mais que nul ne peut lui contester, car on ne peut pas dire que la DC, habituée à plus de souplesse envers les communistes, l'ait vigoureusement soutenu. C'est bien ce jour de mars 1984, quand huit cent mille Italiens le conspuaient dans les rues de Rome, que Bettino Craxi a signé sa plus grande entrée politique : les accords ultérieurs passés avec les syndicats démontrent que ses adversaires les plus acharnés ont accepté ses raisons. Une autre réalisation qui ne doit presque rien à Bettino Craxi est l'amélioration de la justice fiscale, " poussée " par le ministre républicain chargé des finances, Bruno Visentini. Des dégrèvements accordés aux salariés traditionnellement écrasés par le fisc et un début de taxation des catégories, d'ordinaire épargnées ( commerçants, artisans...) ont beaucoup frappé l'esprit public. Pour le reste, le gouvernement de Bettino Craxi, toutes tendances confondues, aura surtout eu l'immense mérite de ne pas gêner la reprise. Rarement l'entreprise aura été autant à l'honneur. La reprise de la Bourse, début 1985, aura été le symbole de cette " Italie qui change et qui gagne ", de ce " deuxième miracle économique péninsulaire ". Le néonationalisme Bettino Craxi gomme un peu dans ses bilans les chapitres moins reluisants. En économie, le principal est celui des finances publiques, dont l'abyssal déficit n'a qu'à peine été réduit. Autres échecs cuisants aussi : le chômage, qui demeure supérieur à 10 % une reprise de l'écart de progression entre les deux moitiés du pays, au détriment d'un sud qui, d'ailleurs, " remonte " jusqu'à englober désormais la capitale l'état catastrophique des services publics et des infrastructures. Les historiens, eux, croient pouvoir déjà assigner au gouvernement Craxi une réussite : l'amélioration de l'image de l'Italie. Certes, les succès du " made in Italy " y entrent pour beaucoup. Mais on n'oublie pas non plus dans la péninsule cette nuit du 10 au 11 octobre 1985, sur l'aéroport de Sigonella, en Sicile, où des soldats américains ont vainement tenté, mitraillette au poing, de se faire remettre par les carabiniers les terroristes qui venaient de détourner l'Achille-Lauro. Le refus de céder à une requête aussi urgente d'un allié qui, depuis plus de quarante ans, se comportait en pays conquis dans la péninsule a vivement frappé les imaginations. C'est dans ce contexte de néonationalisme mesuré qu'il faut juger la satisfaction de l'Italie d'avoir été intégrée, le 1e mai 1986 à Tokyo, lors du sommet des grands pays occidentaux industrialisés, dans le directoire financier du groupe des Cinq. Il est un dernier domaine de la vie publique où le bilan de Bettino Craxi demeurera également contrasté, celui de l'assainissement des pratiques politiques, sociales et morales. Ce gouvernement a intensifié la lutte contre la criminalité organisée. En même temps, au nom de certaines erreurs commises par des magistrats, le PS et son chef se sont placés à la pointe de ce combat sans merci contre l'ensemble du système judiciaire italien-l'affaiblissant gravement, alors même que la sécurité publique se dégrade. Dans certaines régions comme la Calabre et la Sardaigne, les pouvoirs constitués ne maîtrisent plus aujourd'hui l'emballement de la criminalité. Le passage des socialistes à la tête de l'Etat aura d'autre part marqué un haut moment de la corruption publique, dans un pays où, pourtant, la Démocratie chrétienne avait placé la barre très haut. Dans certaines régions comme la Ligurie, l'essentiel de l'appareil socialiste est aujourd'hui sous les verrous, en raison de scandales plus ou moins retentissants. Pour le pire également, le Parti socialiste aura, en quarante-trois mois, mis les bouchées doubles. JEAN-PIERRE CLERC Le Monde du 5 mars 1987

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