Devoir de Philosophie

Culture G et Exp.1A devoir 4 BTS CI

Publié le 20/06/2012

Extrait du document

culture

 

1.1

Extrait de l’essai Histoire des peurs alimentaires, paru en 2002 et œuvre de Madeleine Ferrières, le premier document est de type informatif. M. Ferrières, partant d’une anecdote parue dans un journal de 1839, évoque la piètre qualité bactériologique des produits alimentaires d’origine animale consommés au XIXe siècle, en particulier à Paris et dans sa banlieue, et la méconnaissance quasi générale des risques alimentaires encourus. L’auteur dresse un tableau des divers dysfonctionnements existant à cette époque dans la commercialisation des produits carnés et des dérivés d’origine animale. À travers les tribulations de Babet, vache tuberculeuse en bout de course dont l’histoire est parue dans un quotidien en 1839, on constate que les bovins sont conduits aux abattoirs, dans les grandes villes du moins, en état très avancé de maladie. Le lait de Babet a ainsi pu contaminer de nombreux adultes et enfants, puisque seul l’arrêt de la lactation fait réagir le propriétaire de la bête. Une fois ces bovins épuisés tués, du moins dans le cadre d’abattoirs surveillés, la viande fait l’objet d’un certain contrôle qui consiste à donner les morceaux trop envahis de tubercules aux carnivores des zoos et à autoriser la commercialisation des pièces de viande encore présentables ; la remarque vaut pour les porcs ladres, c’est-à-dire atteints de kystes dus aux larves de ténia. Donc les contrôles officiels existent, mais sont caractérisés par une exigence minimale. À cela s’ajoute le fait que, même si les morceaux saisis au cours des abattages officiels sont peu nombreux, les éleveurs ne veulent pas perdre une miette de profit ; ils court-circuitent donc ces lieux et vendent leurs bêtes malades directement aux bouchers des alentours qui écoulent la totalité de la carcasse infectée au prix fort. Les marchés parallèles sont beaucoup plus nombreux que les circuits officiels et les inspecteurs n’ont plus de travail, le bétail leur échappant. Madeleine Ferrières, d’autre part, étudie les réactions des divers groupes concernés face à ces risques alimentaires bien réels. Comme on l’a vu, éleveurs et bouchers ne pensent qu’au profit et se moquent de la santé du peuple. Les scientifiques, quant à eux, s’ils connaissent déjà bien les affections animales comme en témoigne la terminologie employée pour les désigner, considèrent qu’aucune maladie ne peut être transmise de l’animal à l’homme par le biais de la nourriture, à de rares exceptions près, tels Laennec ou Bizet qui passent pour fous aux yeux de leurs pairs.  La presse véhicule la même ignorance et n’envisage aucune relation entre l’animal et l’homme, bien qu’elle admette volontiers que l’un et l’autre puissent entretenir de profonds liens affectifs.  La population, quant à elle, suit le mouvement et ne s’inquiète pas du risque alimentaire, bien que, selon Bizet, le peuple sache très bien que les vaches abattues le sont à cause de leur très mauvais état et qu’il garde un vague souvenir d’accidents alimentaires antérieurs. D’ailleurs, des contrôles beaucoup plus stricts existaient sous l’Ancien Régime, donc avant 1789.  Aucune solution n’est envisagée au problème de l’alimentation puisqu’il est méconnu, sauf par quelques hommes avertis comme Bizet qui, malgré un esprit rationaliste, devant l’aveuglement de tous, arrive à prôner les lois de la cacherout, à titre préventif.

1.2.

Le second document est un extrait de l’essai Sociologies de l’alimentation écrit par Jean-Pierre Poulain et publié en 2002. C’est un passage de type informatif. Adoptant une perspective historique qui s’étend de 1945 à nos jours, J.P. Poulain évoque les changements fondamentaux survenus, au niveau de l’Occident, dans tout ce qui touche à l’alimentation, transformations qui ont donné lieu à des crises plus ou moins fondées, mais génératrices de psychoses en tout genre. L’auteur dégage une première période. Avant 1945, le principal fléau alimentaire est la famine : on manque de tout. Après des siècles de nutrition insuffisante, la France décide de passer à une agriculture intensive chargée de produire toujours plus, afin de nourrir correctement, en termes quantitatifs, l’ensemble de sa population. Cette politique s’inscrit dans le contexte d’un exode rural massif ; l’immense majorité du peuple s’installe en ville et vit coupée de son environnement naturel. Cette démarche productiviste, soutenue par les découvertes de l’agronomie, réussit si bien qu’une certaine euphorie s’installe. Vient ensuite le temps de la peur.  En 1996, la crise de la vache folle et les OGM font l’effet d’une bombe dans une France qui se croyait définitivement à l’abri de tout problème alimentaire. Les consommateurs découvrent que l’agriculture intensive cache des procédés démiurgiques dangereux qui n’ont plus qu’un rapport très lointain avec la nature. C’est le début de la psychose : on n’a pas la moindre idée de ce qu’on avale et la nourriture est souvent taxée de « folle », ce qui qualifie autant les techniques invraisemblables utilisées par les paysans que la difficulté à cerner exactement le risque encouru.

Les procédés auxquels ont recours les agriculteurs n’ont qu’un objectif : augmenter leurs profits, ainsi que les marges des industriels qui transforment les produits bruts.  Les médias, la presse et la télévision  surfent sur cette vague de scandales inespérés et inondent la population de scoops plus ou moins vrais, en ne négligeant pas d’évoquer aussi les quelques risques bactériologiques qui subsistent dans une alimentation très contrôlée à ce niveau : cas de listériose et intoxications alimentaires. À cette exploitation du moindre incident par les médias s’ajoutent les réactions peu rassurantes des industriels et des politiques. Les premiers qui n’ont jamais autant privilégié la qualité bactériologique, sont stupéfaits devant ces consommateurs écorchés, et les seconds, échaudés par quelques scandales récents, déploient des quantités d’experts incapables de conclusions tranchées sur des fléaux inédits. On n’hésite pas à enlever des marchés de gros stocks de nourriture, ce qui met en danger les producteurs. Dans un troisième temps, la psychose se généralise. Dans ce contexte où tout inquiète, l’angoisse de l’ingestion s’étend à l’ensemble de ce qui peut être consommé et l’obésité croissante, qualifiée de « pandémie », est elle aussi perçue comme un risque alimentaire imputable aux USA. Certains déclarent la guerre à la mondialisation, dont le plus célèbre, José Bové, mène la lutte avec des armes du terroir : le roquefort.

 

1.3.

Le document 3 est un article extrait de l’hebdomadaire Télérama dont le titre est « C’est cuit pour le cru ». Samuel Gontier présente un documentaire au titre évocateur « Ces fromages qu’on assassine », diffusé en décembre 2007. Le type de cet article est informatif, mais on note une sympathie certaine du critique en faveur de la cause défendue dans cette émission. Le film dénonce les manœuvres malhonnêtes de certains gros industriels qui, en France à notre époque, cherchent à discréditer nos fromages au lait cru. Certains industriels de l’agro-alimentaire, en particulier Lactalis, mènent une guerre visant à l’éradication des fromages AOC français fabriqués à partir de lait cru. La photographie illustre ces derniers par des meules de Roquefort qui sont affinées en cave, tandis que le journaliste cite des marques de fromages industriels très présents dans les grandes surfaces, parmi lesquels le « cheese » des Mc Do, emblèmes de la « mal bouffe » et de l’américanisation de notre alimentation. Le but de cette guerre est bien sûr de s’assurer le monopole du secteur fromager en « assassinant » toute concurrence.

Les moyens utilisés par ces industriels consistent à exploiter les peurs alimentaires actuelles ; ils mettent en avant les prétendus dangers du lait cru et prennent donc pour prétexte la santé du consommateur pour asseoir leur empire. Ils sont largement épaulés dans cette tâche par les médias qui font une couverture sur la moindre impureté bactériologique, mais taisent les manœuvres des industriels pour mettre fin aux AOC. Le documentaire souligne la violence des campagnes menées par Lactalis qui n’hésite pas à recourir aux menaces sur l’emploi pour établir sa suprématie et faire taire la presse. Samuel Gontier note toutefois que les fromages au lait cru n’ont pas encore rendu les armes et trouvent des alliés dans la télévision publique, pourtant très impliquée dans l’entretien des psychoses sur les intoxications alimentaires.

 

1.4.

Le document 4 est un document iconographique, plus précisément un photomontage réalisé par Lionel Montico en 2007 et titré « Alerte à la bouffe folle : j’avance masquée ». Comme l’indique le groupe nominal « bouffe folle » apparu dans les années 90, l’époque concernée est récente. Le photographe fait allusion aux fléaux contemporains liés à la nourriture industrielle, mais s’amuse surtout du luxe de précautions prises par le consommateur et de l’aspect irrationnel des mesures imaginées par chacun. Le premier plan, assez net, met en valeur un sandwich tout juste sorti de son étui de cellophane ; c’est donc un produit industriel dont on ne connaît pas la composition exacte ; il est susceptible d’être « fou », comme le suggère le titre. Au second plan, dans une zone floue qui renforce l’anonymat, on voit une personne munie d’armes diverses face à cette nourriture suspecte. Elle porte un masque étrange évoquant une possible menace chimique, visiblement destiné à la protéger de toute inhalation toxique ; d’autre part, elle se tient très éloignée de la table où est posée la nourriture et, bras tendus, elle brandit une fourchette, peu adaptée à un sandwich de ce type. Ce dernier est ressenti comme potentiellement dangereux et elle l’attaque avec un luxe de précautions. Elle illustre la psychose actuelle des consommateurs qui redoutent ce qu’ils avalent. Ce luxe de précautions est risible dans la mesure où elle s’apprête à manger malgré tout l’objet de sa propre destruction. L’ingestion, seule voie de contamination possible, aura de toute façon lieu, et les mesures prises ne pourront que lui compliquer la tâche. Mais, au XXIe siècle, manger est un droit et, malgré son angoisse, elle ne s’abstiendra pas.

1.5

A. Premier grand thème : les risques réels que fait courir l’alimentation

Premier mini-thème commun : recensement objectif des fléaux évoqués du XIXe à nos jours.            Au XIXe, risques d’ordre bactériologique et parasitaire. Les maladies propres au bétail sont déjà connues des spécialistes et le vocabulaire pour les désigner est riche. Contamination par ingestion de viande atteinte et de produits d’origine animale : lait. Au XXe, ce type de risque est devenu rare, les fléaux sont inédits et très mal délimités : tout est « fou ». Mode de transmission peu connu, si transmission il y a, ce dont on n’est pas sûr. À cela s’ajoute une épidémie inédite, l’obésité ; principal accusé : les USA. C’est la « mal bouffe » : le sandwich industriel.

Second mini-thème commun : les causes objectives de ces fléaux. Au XIXe, les éleveurs ne soignent pas le bétail : vaches abattues quasi mourantes. De plus, souci du profit, d’où marchés parallèles. Dans les abattoirs publics, début de contrôle, mais très insuffisant, car méconnaissance générale de la transmissibilité de l’animal à l’homme. De nos jours, nouveaux fléaux provoqués par des pratiques contre nature nées après 1945, lors de l’industrialisation de l’agriculture provoquée par un souci de nourrir la population : farines carnées pour les ruminants, OGM. À cela s’ajoute la mondialisation qui fait adopter des pratiques alimentaires peu probantes.

B. Les fantasmes humains face à la nourriture (domaine de l’imaginaire)

Premier mini-thème : une évolution qui va de la tranquillité d’esprit à l’angoisse. Au XIXe, aucune réticence à s’empoisonner, malgré quelques vagues préjugés populaires contre les vaches. Le peuple redoute plus la faim que l’intoxication ; en effet, jusqu’aux alentours de 1950, on a souffert surtout de siècles de malnutrition. De 1945 à 96, répit total : ni famine, ni peur. L’angoisse naît avec la vache folle et les OGM ; elle est forte car on ignore ce qu’on risque vraiment, d’où l'« anxiété de l’incorporation » illustrée par le document 4.

Second mini-thème : les raisons de cette évolution psychologique. Rôle important des médias sur l’esprit populaire. Au XIXe, un journal signale l’amitié entre une adolescente et une vache, mais rien sur le risque alors méconnu. Au contraire, à partir de 1996, les médias font leurs choux gras de toute rumeur, d’où relance permanente de la psychose. Certains même tendent à inventer ces risques sous la pression d’industriels qui ont intérêt à ce que toute la population mange « stérilisé ». Impact des scientifiques. Au XIXe, discours erroné mais ferme, donc rassurant (doc. 1). De nos jours, les divers experts doutent et leurs réponses peu tranchées alimentent l’angoisse (doc. 2).

Troisième mini-thème : les solutions adoptées pour calmer les esprits. Au XIXe, seul Bizet envisage une solution, mais peu rationnelle en l’absence d’écoute par le reste de la société. À notre époque, solutions nombreuses, tout aussi irrationnelles. Systèmes défensifs des consommateurs : le ridicule du personnage photographié. Tactiques offensives des altermondialistes : Bové et son roquefort ou soutien ouvert de la télévision envers les fromages au lait cru. Solutions inefficaces et dispendieuses des politiques apeurés. Seuls certains industriels cherchent à gérer la crise, mais ils se heurtent à tous les autres, en particulier à d’autres industriels qui l’alimentent pour étendre leur pouvoir.

1.6

 

Document 1

Document 2

Document 3

Document 4

Idée directrice

mauvaise qualité bactériologique

changements de mode alimentaires

manœuvres malhonnêtes des industriels

angoisses du consommateur

Idée ou mini-thème 1 : Risques alimentaires réels au XXe siècle

mauvaise connaissance animal

agriculture industrialise, Souci de profit chez les agriculteurs

le "cheese" rentre au pays des fromages au lait cru

on mange des préparations industrielles au travail

Idée ou mini-thème 2 : Facteurs humains-Le profit

Au XIXe, les bouchers revendent au prix fort la carcasse malade. On a faim.

 

Lactalis pense au profit plutôt qu'a la qualité des denrées.

 

Idée ou mini-thème 3 : Solution peu probantes

Le seul vétérinaire capable d'aider est réduit à prôner l'adoption des cacherouts

Solutions inadaptées des politiques qui pensent uniquement a leur future carrière

Appui inespéré de la télévision pour défendre les fromages AOC

Armes ridicules de la consommatrice contre son sandwich

 

1.7.

Partie 1. La réalité des fléaux dus à l’alimentation § 1. Évolution des maladies alimentaires réelles du XIXe à nos jours § 2. Causes conjoncturelles de ces maladies alimentaires § 3. Causes humaines qui traversent les époques.

Partie 2. La perception par l’imaginaire humain des fléaux alimentaires § 1. De la tranquillité d’esprit à l’angoisse permanente § 2. Le rôle des médias sur l’imaginaire des populations § 3. Le rôle des scientifiques sur cet imaginaire § 4. Une batterie de solutions irrationnelles et cacophoniques.

 

2.

Les fléaux transmis par l’alimentation existent, mais sont sujets à une évolution depuis près de deux siècles. Tout d’abord, la nature des risques est susceptible de se modifier. Au XIXe, selon M. Ferrières, ceux-ci sont surtout d’ordre bactériologique et parasitaire : bovins tuberculeux et cochons infestés de ténias. La transmission se fait par ingestion de viande contaminée ou de produits d’origine animale, tel le lait qui met en danger les enfants. Au XXe, même si, comme le soulignent Gontier et Poulain, les médias signalent le moindre cas d’impureté bactériologique – listériose et salmonellose –, ce type de risque est beaucoup plus rare et, ainsi que le montre ce dernier, les fléaux contemporains sont inédits ; on ne sait pas les cerner nettement et toute affection nouvelle se voit taxée de « folle » : vache folle à partir de 1996, vite suivie du soja fou. On reste dans le flou quant aux éventuelles victimes et au mode exact de transmission, si transmission il y a, ce qui reste incertain. À cela s’ajoute une récente épidémie, l’obésité, provoquée semble-t-il par la consommation de produits gras et sucrés mis à la mode par les USA ; là encore, on hésite au niveau de la terminologie à adopter et, en France, on parle de « mal bouffe », appelée « frankenfood » par les Anglo-Saxons. Le sandwich industriel mis en valeur par Montico entre dans cette catégorie, tout comme le « cheese » introduit par Mac Do dans le pays du Roquefort, comme le note Gontier. Les causes, naturellement, varient elles aussi, du moins celles qui sont d’ordre conjoncturel. Au XIXe, selon M. Ferrières, les soins vétérinaires consacrés au bétail n’existent pas : les paysans ne se préoccupent de leurs vaches que lorsqu’elles sont taries et efflanquées, donc en bout de course. Quant aux abattoirs publics, ils pratiquent un certain contrôle, toutefois très peu rigoureux puisque seuls les morceaux non présentables sont soustraits à la consommation humaine pour être donnés aux animaux des zoos. Ce manque d’exigence dans le secteur public s’explique lui-même par une méconnaissance généralisée de la transmissibilité à l’homme des maladies du bétail. De nos jours, selon J.-P. Poulain, les fléaux sont provoqués par des pratiques contre nature nées après la Seconde Guerre mondiale, lorsque les politiques ont souhaité mettre en place une agriculture intensive, susceptible de nourrir toute la population. Les ruminants sont alimentés à partir de farines carnées qui les rendent malades, les céréales subissent des modifications génétiques dont on ignore les effets. À cela s’ajoutent la mondialisation récente qui nous fait adopter des pratiques alimentaires d’outre-Atlantique, produisant les mêmes désordres que sur les Américains, et un rythme de vie qui conduit les travailleurs à déjeuner d’un en-cas sous cellophane, ce qu’illustre Montico. D’autres facteurs très stables puisqu’ils relèvent de la nature humaine, contribuent à augmenter les risques alimentaires. Madeleine Ferrières montre que les paysans du XIXe, soucieux de tirer un profit maximal de leurs vaches épuisées, court-circuitent les abattoirs officiels susceptibles de mettre quelques morceaux à l’index ; ils préfèrent conduire leurs bêtes chez les bouchers des faubourgs qui, tout aussi âpres au gain, commercialisent la totalité de la carcasse infectée au prix fort. Le souci de rentabilité n’a pas disparu au XXe, comme le montre Poulain en mentionnant le peu de scrupules des agriculteurs actuels soutenus par l’industrie. Le risque alimentaire n’a donc jamais épargné la France, mais il a changé de formes et partiellement de causes. L’attitude de la population connaît-elle la même évolution ?

 Face au contenu de l’assiette, les fantasmes des consommateurs semblent se développer à l'inverse de la réalité des dangers encourus. On observe d’abord une évolution qui va à contre-courant des risques objectifs. En effet, au XIXe, siècle de tous les périls selon M. Ferrières, le peuple s’empoisonne allègrement sans la moindre réticence ; même si Bizet, vétérinaire éclairé, souligne le fait que les vaches n’ont pas très bonne presse, la population ne connaît pas la peur alimentaire. Elle redoute la famine beaucoup plus que l’intoxication, ce que Poulain explique par le fait que, jusqu’au milieu du XXe, les gens ont surtout connu des siècles de nutrition insuffisante. La vraie faim calme les appréhensions. Il y a d’ailleurs, toujours selon cet auteur, une période de tranquillité totale entre 1945 et 1996 : la formidable productivité des paysans français a éloigné le spectre des famines et la population, très urbanisée, n’a plus la moindre idée du fonctionnement de l’agriculture et de l’élevage : elle fait confiance. L’angoisse naît brutalement avec l’histoire de la vache folle et celle des OGM, d’autant plus forte qu’on ne sait pas ce qu’on risque. On réalise qu’on ignore tout de ce qu’on avale et on souffre d’une anxiété de l’incorporation, illustrée par le personnage de Montico, en recul, bras tendus devant un sandwich industriel visiblement perçu comme un potentiel agresseur qu’il faut contre-attaquer. On constate alors l’impact de certains facteurs dans la perception que les consommateurs ont de la nourriture. Les médias jouent un rôle de premier plan dans ce concert. M. Ferrières constate qu’au XIXe, le Journal de commerce consacre un article entier à une histoire d’abattage en soulignant les liens affectifs qui unissent une orpheline à sa vache Babet, sans aborder le problème de la contagion possible ; en fait, les journalistes ignorent alors le risque encouru. Au contraire, selon Poulain, à partir de 1996 tous les médias profitent de la brèche ouverte par la vache folle et rivalisent de titres sensationnels, toujours plus anxiogènes. Gontier confirme cet opportunisme de la presse qui offre la une à la moindre bactérie repérée dans le lait cru. Pire encore, il met en lumière le fait que certains organes de presse et certaines chaînes télévisées, totalement inféodés aux industriels, font le jeu de ces derniers en valorisant les risques bactériologiques liés au lait cru ; il y a ainsi une collusion entre Ouest-France et Lactalis, gros producteur de produits laitiers aseptisés, pour mettre un terme définitif à la commercialisation des fromages AOC. Par ailleurs, l’influence des scientifiques doit être prise en compte. Comme le note M. Ferrières, au XIXe, à l’exception de Laennec et de Bizet, les spécialistes se trompent en niant toute possibilité de contamination, et ils le font avec une assurance certaine qui rassure les foules. Aujourd’hui au contraire, d’après Poulain, ils pratiquent le doute et se refusent à des réponses catégoriques sur des affections encore mal connues, ce qui ne fait qu’alimenter les craintes de consommateurs en quête d’affirmations simplistes.

Face à cela s’installent diverses solutions plus aptes à calmer les esprits qu’à résoudre les problèmes réels. À l’époque étudiée par M. Ferrières, seuls les rares individus conscients des risques cherchent des remèdes, mais, face à la dénégation générale, ils sont réduits, tel Bizet, à des prescriptions peu rationnelles, comme celle de faire adopter par une France alors très catholique les habitudes alimentaires des Juifs. À l’époque actuelle, le niveau d’angoisse conduit à des solutions plus nombreuses, mais souvent tout aussi fantaisistes selon Poulain. Chacun, en fait, a la sienne devant une menace rampante. Au niveau des simples consommateurs, on trouve des systèmes de protection individuelle qui peuvent se révéler étranges, voire ridicules : c’est celui choisi par la personne photographiée par Montico et qu’on découvre armée jusqu’aux dents. Un masque sur la face, une fourchette en main avec laquelle elle s’apprête à contre-attaquer son sandwich, elle va dépenser une formidable énergie à piquer la proie et à la porter à sa bouche recouverte : beaucoup de peine pour rien, puisqu’elle ingurgitera l’objet de son angoisse ; mais son harnachement semble la rassurer : «  j’avance masquée  », dit la légende. D’autres préfèrent l’offensive à la défense comme l’analyse Poulain ; tel est le cas de José Bové, héros tragi-comique qui part en guerre contre la mondialisation armé de son roquefort ; d’ailleurs, selon Gontier, les fromages français au lait cru trouvent des alliés jusque dans les rangs de ceux qui obéissent aux industriels : la télévision publique peut ainsi trouver des accents altermondialistes pour défendre le lait cru. Les politiques, quant à eux, protègent la poursuite de leur carrière en faisant mine de se préoccuper du public ; à la moindre rumeur, ils font retirer de la vente tous les aliments potentiellement contaminés, quitte à ruiner les producteurs, et réunissent des spécialistes inopérants. Il existe donc aussi une évolution dans l’imaginaire des consommateurs, mais qui ne suit pas la réalité du risque : la peur alimentaire s’exacerbe dans des périodes où les contrôles sont présents et où l’information ne manque pas.

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