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Dans Quelles Mesures Peut On Parler De Recréation Du Texte Par Le Metteur En Scène ?

Publié le 25/02/2011

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Comme l'écrit Anne Ubersfeld, la caractéristique la plus importante du texte théâtral est « son caractère incomplet «, avant d'être représenté, il n'est pas abouti, achevé. Louis Jouvet, metteur en scène du début du XIXe partage lui aussi cet avis « un texte encore imprécis dans son émission ou dans sa compréhension «. Même si les pièces sans didascalies reste rare dans le début du Misanthrope de Molière aucune indication scénique n'est fournie : lieu, posture et origines des personnages et rapports qu'ils entretiennent entres eux. Ceci laisse donc libre champs au metteur en scène et l'oblige à prendre parti. Le texte de théâtre n'est qu'un élément parmi d'autres qui composent le spectacle théâtral, on pense notamment aux costumes, aux jeux des acteurs, aux décors. Le choix que fait le metteur en scène de tous ces éléments peut donc influencer fortement le sens du texte et donner lieu à des interprétations très différentes de la part du spectateur. Gaston Baty, metteur en scène, montre bien dans une pièce classique de Molière le malade imaginaire qu'avec un même texte et des indications scéniques contradictoires, la scène peut appartenir à des registres totalement opposés. Il écrit « comédie, farce, drame, les 3 scènes peuvent être jouées avec le même texte sans changer une virgule «. Le métier de metteur en scène en tant que tel est récent, il date du début du XIXème. Or le répertoire dramatique français est ancien et les auteurs comme Molière montaient le plus souvent eux mêmes leurs pièces. Aujourd'hui les metteurs en scène doivent donc tenir compte des nécessités temporelles du théâtre, en adaptant ces oeuvres passées aux goûts de la société contemporaine, avec la volonté de rapprocher le spectacle du public. Ils en modifient donc inévitablement le sens, s'autorisant ainsi une part de recréation. C'est le cas dans la production des «Noces de Figaro« par le Staatoper de Berlin en 1999, Le Comte est vêtu d'un costume de cuir noir, image du libertinage, de la sensualité libertine; la comtesse porte un manteau de fourrure et lit des magazines de mode féminins. Le mobilier pourrait être directement sorti d'un luxueux hôtel d'aujourd'hui. Mais certains textes, par la richesse et l'importance de leurs didascalies, n'autorisent pratiquement aucune liberté d'imagination au metteur en scène. C'est notamment le cas dans les textes de Ionesco. Dans la dernière réplique de Rhinocéros interprétée par Berengère pratiquement un tiers du texte est occupé par les didascalies, au nombre de huit dans la même réplique. De plus certaines sont relativement longues et très précises « Lorsqu"il accroche les tableaux, on s'aperçoit que ceux-ci représentent un vieillard, une grosse femme, un autre homme. La laideur de ces portraits contraste avec les têtes des rhinocéros qui sont devenues très belles. Bérenger s'écarte pour contempler les tableaux. «, ne laissant rien au hasard et minimisant d'autant plus le pouvoir du metteur en scène. D'autres pièces sont difficiles à adapter à la représentation pour des raisons matérielles, des changements de lieu incessants, un nombre de personnages trop importants. Le metteur en scène est maître du texte qui lui est confié. Il peut décider de faire perdurer la pensée de l'auteur ou au contraire d'avoir une approche tout à fait différente du texte, c'est ce que nous explique Jean Vilar dans son texte: « Il est enchainé à un texte vis à vis duquel il discerne toutes les libertés mes ses aspirations sont tributaires de celles d'un autre «. En effet les metteurs en scène fixent eux mêmes leur limites dans l'interprétation de l'oeuvre. Leur liberté s'arrête à l'instant où ils éprouvent des scrupules, des arrières pensées envers le dramaturge. Cependant le plupart des metteurs en scène français montrent un profond respect envers le texte théâtral et envers leur auteur dans la création de leur spectacle. Vilar écrit: « il doit prendre en charge, du premier au dernier mot, le texte qu'on lui propose et créer selon sa propre imagination, ou se démettre «. Bien souvent dans leurs pièces les auteurs insistent sur un aspect, un détail qui rend l'oeuvre singulière. Le metteur en scène doit de ce fait le respecter pour ne pas la dénaturer. On peut prendre l'exemple de L'illusion comique dans laquelle Corneille tente de piéger le lecteur par un procédé de mise en abyme : faisant jouer une pièce de théâtre à Clindor dans laquelle ce dernier est condamné à mort, cela sous les yeux de son père qui, comme le public, croit voir la continuité de la vie de son fils conté par Alcandre le magicien. Corneille réussit son illusion totale en ne dévoilant qu'à la fin de la pièce que Clindor exerce le métier de Comédien et que cette pièce ne relate donc pas la réelle vie de Clindor . On comprend donc qu'ici si le metteur en scène dévoile la ruse, la pièce de « L'illusion comique perd tout son sens et n'a plus aucun intérêt. Avec les évolutions technologiques utilisées dans la mise en scène tels que les éclairage, les décors plus réaliste et avec des idées toujours plus novatrices les unes que les autres, les metteurs en scènes ont réussi et réussiront encore et toujours à réinventer des chefs d'½uvres dramatiques tel l'Avare ou encore Le malade imaginaire. On peut donc affirmer qu'il existe bien une part de recréation dans toute représentation puisque contrairement au cinéma, chaque scène est unique. Les personnages sont vivants, ne reproduiront jamais leurs gestes à l'identique et le metteur en scène amènera une part de subjectivité dans sa vision de l'interprétation. Cependant cette part de recréation ne doit pas porter préjudice à l'½uvre en la dénaturant, on ne doit pas oublier qu'il s'agit d'un partage avec la «création d'autrui« (Jean Vilar). On peut s'interroger quand aux interprétations futures ? La recréation pourra-t-elle éternellement innover ? Nous le saurons sous doutes bien assez tôt ...

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