Racine, au dire de son fils, avait soumis sa tragédie d'Alexandre au jugement de Corneille : celui-ci dit à l'auteur qu'il avait un grand talent pour la poésie, mais qu'il n'en avait pas pour le théâtre. Sainte-Beuve, dans son zèle romantique, formule un jugement semblable : « Si Racine fut dramatique de son temps, c'est que son temps n'était qu'à cette mesure du dramatique. Est-ce vouloir le renverser que de déclarer qu'on préfère chez lui la poésie pure au drame et qu'on est tenté de le rapporter à la famille des grands génies lyriques, des chantres élégiaques et pieux dont la mission ici-bas est de célébrer l'amour, en prenant amour dans le même sens que Dante et Platon ? » (Revue de Paris, 6 déc. 1825). Enfin, un metteur en scène contemporain, G. Batty, écrit : « Les tragédies de Racine sont d'admirables poèmes dialogués, dans le sens où on l'entend en dehors du théâtre. Mais que pourrait ajouter la représentation? Tout est dans le texte. » (1928). Ces trois jugements concordants vous paraissent-ils exacts? Quel parti pouvez-vous en tirer pour l'interprétation du génie et de l'art de Racine ?
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Voici donc trois jugements autonomes, mais concordants, qui sont d'accord pour déclarer que le théâtre de Racine n'est pas du théâtre. Racine est-il fait pour la représentation ou pour la lecture? C'est donc le problème même du théâtre qui se pose : rapports de la représentation et de l'action, valeur du texte, décor, illusion dramatique. Or si l'on cherche à définir les conditions auxquelles doit satisfaire le théâtre, c'est traditionnellement à Racine qu'on fait appel et c'est le poète lui-même qui nous y autorise dans ses Préfaces où, loin d'invoquer Aristote, il parle des conditions de la réussite et du succès devant le public, en se plaçant au point de vue de la technique dramatique : « J'ai trouvé cette action très propre pour le théâtre... « 0n l'a même accusé de créer des rôles pour ses actrices. Et cependant, d'aucuns ont montré une obstination singulière à contester à Racine sa connaissance du drame et à décider que son théâtre était une erreur.
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- « Le classicisme est une victoire sur le romantisme intérieur », a dit un critique contemporain. En prenant vos exemples dans le théâtre de Racine, montrez : 1° Comment sa tragédie peint fortement les passions et reste cependant « raisonnable », c'est-à-dire respecte la vérité psychologique et la vérité morale ; 2° Comment, dans le style, le sens de la mesure s'unit à l'énergie et à la splendeur de l'expression.
- Paul Valéry écrit dans le Préambule pour le Catalogue
- Victor Hugo écrit dans la Préface de Cromwell : « On doit croire que si Racine n'eût pas été paralysé, comme il l'était, par les préjugés de son siècle, s'il eût été moins souvent touché par la torpille classique, il n'eût point manqué de jeter Locuste dans si on drame, entre Narcisse et Néron, et surtout n'eût pas relégué dans la coulisse cette admirable scène du banquet, où l'élève de Sénèque empoisonne Britannicus dans la coupe de la réconciliation ». Ne peut-on dégager de ce passage les principales différences qui séparent le drame romantique de la tragédie classique ? Et que doit-on penser de ce jugement de Victor Hugo ?
- « Le Savetier et le Financier, disait Voltaire, les Animaux malades de la Peste, le Meunier, son fils et l'âne, etc., tout excellents qu'ils sont dans leur genre, ne seront jamais mis par moi au même rang que la scène d'Horace et de Curiace, ou que les pièces inimitables de Racine, ou que le parfait Art Poétique de Boileau, ou que le Misanthrope ou que le Tartufe de Molière. » « Voltaire peut-être a raison, et pourtant la postérité ne se pose point la question de la sorte; elle ne recherche point ce qui est plus ou moins difficile ou élevé comme art, comme composition; elle oublie les genres, elle ne voit plus que le trésor moral de sagesse, de vérité humaine, d'observation éternelle qui lui est transmis sous une forme si parlante et si vive. » (Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, t. VII.) Vous expliquerez ce double jugement.
- Corneille a écrit de la tragédie : « Sa dignité demande quelque grand intérêt d'Etat ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition ou la vengeance, et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d'une maîtresse. » Expliquer et discuter cette opinion. ?