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Désespoir et condition humaine

Publié le 14/02/2011

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Film, œuvre d’art, musique ou littérature, la voie artistique a en tout temps exploité les émotions de ses intéressés. Elle les interprètent, les éprouvent, les conditionnent, puis vit de celles qui sont éprouvées par ses lecteurs, qui leur font gagner de l’argent.

Le désespoir est une partie intrinsèque de la condition humaine. Il existe à l’intérieur de chacun d’entre nous. Cette opinion chargée d’émotions, est intimement liée à un besoin primaire de l’être humain. En effet, le bien ne pouvant pas exister sans le mal, tout comme le Ying fait partie intégrante du Yang, le bonheur n’a aucune signification sans le concept de son opposé, le désespoir. Aussi, les artistes du monde entier l’on bien comprit. La mixité ainsi que l’originalité du langage expressif de chacun d’entre eux, aboutissent à des résultats émotifs, emplis d’admiration chez leurs lecteurs. Qu’ils soient peintres, musiciens ou romanciers, tous fonctionnent selon la terminologie artistique, qui est de faire éprouver des émotions, des sensations au travers d’un esthétisme qui leur est propre. Ils transforment puis travaillent leur contenu, afin de rendre leurs œuvres attachantes, puis artistiquement belles selon leurs critères personnels et ce qu’ils cherchent à démontrer, à faire éprouver. De ce fait, les artistes de par leurs différents talents, peuvent dès lors avoir la prétention de se considérer comme des manipulateurs de sentiments et d’émotions.

La littérature, étant une forme d’art, peut aussi s’identifier de la même manière. Certains écrivains par exemple, s’adonnent à créer le mal-être de leurs lecteurs, en jouant sur le style de leur écriture ainsi sur les événements de leurs romans, dans le but de leurs faire percevoir des émotions telles que le désespoir, qui selon la personne peuvent s’avérer être puissantes.

A partir de cela, il pourrait être bon de se demander : en quoi, ces romans désespérés apportent-ils tant d’esthétisme ? Plus particulièrement, nous pourrions notamment nous questionner sur le fait qu’ils pourraient même être les plus beaux.

 

Le désespoir est universel et omniprésent. Chaque être humain a déjà connu la tristesse car ce sentiment est simple à éprouver. Il est en effet plus facile de se laisser aller au désespoir plutôt que de se battre continuellement pour le contrer, pour ne pas penser à ses malheurs et garder une optique optimiste de la vie. Etre heureux nécessite une force morale que certains peinent à atteindre. Par exemple, l’amour, le vrai, l’authentique est une forme de bonheur que quelques personnes ne connaitront jamais. L’être se sent dès lors dépourvu, malchanceux et finit par arrêter de combattre une déception récurrente. Il perd espoir et cela lui semble insurmontable. Cette forme de désespoir est l’aboutissement d’un découragement constant et d’un désir de ne plus être soi. L’illustration parfaite de ce propos est le très célèbre roman de Gustave Flaubert, ou « Madame Bovary ». Cette femme moderne ne vivant pas avec son temps subit des frustrations permanentes. Elle se créer une vie idéalisée au travers de ses lectures d’aventure, une vie fantasmée toujours rattrapée par la triste réalité. Elle croit subir toutes les cruautés de la vie, soit un amour décadent, superflu, voire même inexistant. Elle espère une prochaine métamorphose, devenir quelqu’un d’autre, elle est totalement désespérée. « Emma songeait à son bouquet de mariage, qui était emballé dans un carton, et se demandait, en rêvant, ce qu’on en ferait, si par hasard elle venait à mourir. » (p. 95)

Gustave Flaubert n’a que trop bien comprit le paradoxalisme de l’être humain. Il dénonce la bêtise humaine en se moquant de lui, en le traitant avec ironie et sarcasme. Il présente son dégout envers la stupidité des hommes au travers de son œuvre littéraire romantique. Il caricature avec subtilité le caractère de ses personnages. Pour lui, le vivant humain ne sait pas ce qu’il se veut, il ne sait pas apprécier l’instant présent à sa juste valeur. Il estime que l’espèce des hommes est la seule capable de se faire du mal à elle seule en étant totalement contradictoire avec elle-même. Flaubert maitrise parfaitement le style de son roman « Madame Bovary », qui est l’exemple type du roman désespéré. Ce type de désespoir démontre la pensée de son auteur. En effet, Emma pourrait parfaitement, si elle en avait la capacité, se sortir toute seule de sa situation désespérée. Cependant, pour elle, tout lui semble insurmontable. Albert Camus explique que « parler de ses peines, c’est déjà se consoler ». En effet, le désespoir d’Emma la ronge intérieurement, et devient toujours plus problématique. Elle garde tout pour elle, elle ne raconte rien à personne car elle se considère seule.

 Cette envie de tout laisser tomber, d’arrêter de se battre pour obtenir éventuellement une libération vers le bonheur rend le désespoir encore plus intense. Il n’est en effet pas simple de tout laisser derrière soi, d’entreprendre une nouvelle vie lorsque notre esprit n’est déjà pas très stable. « L’idée qu’elle venait d’échapper à la mort faillit la faire s’évanouir de terreur » (p. 319).

 Cette œuvre grandiose connaît un succès phénoménal encore actuellement. Le lecteur aime ce genre de lecture, en partie par le fait qu’il est justement facile de s’identifier à ce genre de fait divers. Il s’agit de sujets qui touchent une majorité de personnes et qui arrivent à s’identifier à ce genre de thème. De ce fait, les romans désespérés sont facilement assimilables pour le lecteur, il s’y retrouve aisément car ils touchent tout le monde.

Une œuvre telle que « Madame Bovary » cependant, peut aussi donner une impression de délivrance au lecteur. Ce dernier se sent heureux, il se sent bien car sa propre vie donne l’illusion d’être parfaite à coté de celle d’Emma. Certaines personnes aiment lire des romans désespérés parce qu’ils se sentent de ce fait supérieurs et finissent par éprouver du dégout face à l’impossibilité d’Emma.

 

Le désespoir est un état qui unit le monde dans ses moments difficiles. Depuis la création de l’humanité, le désespoir a suivit son évolution, mais il est resté intact.

Ce sentiment de révolte est ce qui lie le monde, qui le rend solidaire lors d’instants décisifs de l’humanité. Lors de la première guerre mondiale par exemple, les soldats, entièrement désespérés et n’attendant plus rien de la vie, se sont unis pour contrer le désespoir, pour ne pas se laisser mourir. Ces hommes désireux de retrouver une situation stable, celle qu’ils connaissaient autrefois, sont prêts à tout pour la reconquérir. C’est ainsi que le désespoir fait renaître une part parfois bien cachée de l’être humain. En temps normal, ces personnes ne se seraient probablement même pas saluées. En temps de combat pour la survie, elles se soutiennent mutuellement dans le même but, qui est ici celui de tuer l’ennemi afin de rester vivant. Lorsque l’homme est révolté, désespéré, il n’a plus les mêmes jugements de valeur. Il se rend compte que ses voisins sont finalement pareil que lui, qu’il est dans la même situation désemparée et il ne se sent plus différent. Il en va de même, dans la nouvelle « Les Muets » écrite par Albert Camus, qui pense justement que les hommes doivent s’unir pour lutter contre un destin révoltant. Les ouvriers de cette nouvelle, étant sur le point de perdre leur usine de tonneaux et donc leur travail, sont désespérés de voir leur tonnellerie se désintégrer à petit feu. Sans elle, il ne leur reste rien. Ils se sentent tous concernés, touchés et aucun ouvrier n’est épargné. Ils sont dans la même situation, ils s’assimilent les uns aux autres. « D’habitude, on le plaisantait sur sa pudeur (…) mais personne ne parut s’en apercevoir ce jour-là. » (p. 76, L’exil et Le royaume). Tous sont dans le même sac, les différences devenant superflues. Cet unisson unique relate des sensations magnifiques lorsque l’on se situe en tant que lecteur. Cette révolte découlant d’une forme de désespoir-défi, d’un désir de se battre et de rester soi-même envers et contre tout, donne au lecteur de l’estime pour les personnages du roman.

Se battre pour affronter le désespoir, pour avoir une vie meilleure incite une sorte une grande force interne, une volonté prête à tout pour passer au dessus de cette mauvaise passe.

 

Albert Camus résume bien ces deux formes de désespoir, opposant « Madame Bovary » à la nouvelle « Les Muets », en disant que « l’habitude du désespoir est plus terrible que le désespoir lui-même ». Pour ce dernier, la nature humaine est forcément désespérante, car absurde. En effet, il estime que la vie ne se vaut pas d’être vécue parce que l’on est tous voués à mourir. Sa conception de l’humain, serait une métaphore du Mythe de Sisyphe soit un éternel recommencement. Cependant, à la différence de la mythologie, il exprime qu’il faut imaginer Sisyphe heureux, car bien que la vie soit absurde, elle doit être vécue avec bonheur. Camus démontre assez bien ce besoin qu’à l’être humain à vouloir atteindre le bonheur, souvent inaccessible, dans son recueil de nouvelles L’exil et Le royaume.

Dans ce recueil, nous retrouvons partout ce sentiment d’impuissance qu’est le désespoir. Cette impuissance pouvant soit être réelle, par exemple dans « la pierre qui pousse », lorsque les indigènes n’arrivent réellement pas à contrer les forces du fleuve : « Côte à côte, ils pesaient de tous leurs muscles sur des perches qui s’enfonçaient lentement dans le fleuve, vers l’arrière du radeau, pendant que les nègres, du même mouvement ralenti, s’inclinaient au-dessus des eaux jusqu’à la limite de l’équilibre. » (p. 145). Ou alors une impuissance fictive, provenant uniquement du malaise d’une personne en particuliers, comme dans la « femme adultère » autour duquel il pourrait être facile de faire un parallélisme avec Emma : « Elle se retourna vers Marcel, et vit d’abord le soldat qui avançait à sa rencontre. Elle attendait son sourire ou son salut. » (p. 18), « la longue angoisse de vivre ou de mourir. » (p. 33)

Etant, comme Camus le dit, tous voués à une mort certaine, le désespoir est un sentiment qui se rapproche passablement de la mort. Cette obsession qu’à l’être humain de vouloir connaître une vérité et des émotions afin de s’en éloigner le plus possible et de se sentir différent, est véridique pour les romans désespérés.

Le roman désespéré est finalement un roman paradoxal, puisqu’il peut provoquer chez son lecteur, le sentiment inverse qu’il est éprouvé tout au long du livre. L’esthétisme du roman désespéré est cet effet que réussissent à recréer les auteurs, soit à donner de l’importance au lecteur, en le mettant en valeur en lui démontrant que finalement, sa vie est loin d’être cauchemardesque.

 

La notion d’esthétisme et de beauté est relativement subjective. Elle est indépendante selon les individus, car personne n’éprouve les mêmes critères quant à la beauté.

Socrate définissait autrefois la notion du concept, un nouveau monde plus réel que celui dans lequel nous vivons continuellement, qui est celui de la raison. Cet univers se construit autour d’idées que l’on se fait d’un objet, soit d’une notion que le vocabulaire français a attribué à un nom. Le concept de la beauté en fait partie. La beauté est intouchable, indescriptible car abstraite; la beauté n’existe que dans la pensée. Tout ce qui provient de l’être intérieur est donc relatif, et dépend de l’interprétation qu’en fait le sujet. La beauté est donc une notion qui diffère selon chacun. Dire que les romans désespérés sont les plus beaux, est une phrase provenant d’une seule personne, pour qui c’était le cas. Attribuer donc, les romans désespérés quant étant les plus beaux, pourrait être quelque peu osé de la part de l’auteur de cet énoncé, sachant que chacun aura son opinion. C’est loin d’être la pensée de tout le monde.

 

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