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Dialogues argumentatifs dans le roman

Publié le 30/05/2012

Extrait du document

 

2 Etude du dialogue Shade /Lopez dans L’espoir  (Malraux)

 

 

            Situation de l’extrait. Le narrateur a suspendu son évocation de la situation en Espagne pour présenter deux nouveaux personnages : le journaliste américain Shade et le sculpteur Lopez. Il profite de cette conversation, entrecoupée par l'irruption permanente du monde extérieur, pour cerner le caractère des protagonistes mais aussi pour méditer sur l'art et la création.

 

 

 

            1.  Nous pouvons nous intéresser en premier lieu au dialogue entre ces deux amis : Pas de grande dissertation mais un entretien amical où l'un des protagonistes parle plus que l'autre.  Le niveau de langue et le lexique utilisés sont  déterminants de chacun des deux personnages.

            - Lopez, on le voit, s'adresse avec sympathie à Shade en l'appelant : "mon vieux" à deux reprises. Il a besoin de convaincre son interlocuteur, pour cela il utilise volontiers l'emphase et les interjections. Il s'enflamme au cours de ses répliques, emploie des impératifs, une syntaxe de l'exhortation, du dialogue dans le dialogue, s'implique même fortement avec le recours au "nous" ; ses phrases sont heurtées. Il prend le ton du militant en s'appuyant sur le lexique spécialisé de l'artiste. Il devient même péremptoire avec des tournures sentencieuses : "nous ne créerons pas... un style". La remarque du narrateur en forme de didascalie ("déchaîné") montre son exaltation, tout comme, plus loin, le fait qu'il revienne spontanément à son propos après avoir été interrompu par un personnage annexe ("Parfaitement... Et il y aura.). - Shade interrompt de manière désinvolte Lopez : "Nous... Les cathédrales me font suer", mais il l'invite aussitôt à poursuivre : "continue", comme par jeu. Il est railleur et amical : "ce qu'il y a de bien... les idiots", mais il laisse parier Lopez. Nous voyons plus loin, dans le passage au style indirect libre, qu'en fait, il est ému par l'enthousiasme, la passion de Lopez, même s'il ne le lui montre pas et qu'il cache ses sentiments derrière des remarques au style relâché : "me foutre la paix avec les cathédrales".

 

            2. Malraux profite de ce dialogue pour amorcer une réflexion sur l'art et la création.

 

Plusieurs indices montrent sa présence et les valeurs qu'il défend

            La voix de l'auteur se fait entendre quand il donne des indications sur ses personnages "déchaîné, pensif et tirant... papillon, demeurait immobile", comme autant de signes adressés au lecteur et quand il mêle, on le verra plus loin, son commentaire au récit de façon très forte avec imbrication de l'un dans l'autre voire interférence.

            Mais elle est aussi très présente chez Lopez qui est ici porte-parole de Malraux. Nous pouvons, de la sorte, mieux comprendre l'ironie des "on" de la première tirade de Lopez, et les apartés sur Franco et les fascistes.

            Enfin, quand Lopez parle de l'art et de la création en utilisant des "il y a" et des futurs, il dépasse le simple propos pour atteindre à la généralité et l'universalité, comme si la voix de Malraux résonnait derrière les propos enflammés de son personnage. Rappelons les théories de Malraux sur l'art, "anti-destin" : les artistes parlent aux hommes, l'œuvre est libératrice au-delà de la mort et de la barbarie ; quoi de plus habile, alors, que d'avoir placé cette conversation sur arrière-fond de guerre, avec l'irruption permanente de celle-ci entre les protagonistes, sous forme de bruit ou de personnages secondaires ?

 

Plus tard dans le roman, d'autres conversations sur l'art et la création reviendront comme autant d'échos à ces premiers échanges de vues. Malraux va alors peu à peu construire sa réflexion. Il s'avère donc que ces dialogues argumentatifs sont des morceaux clés du livre, hautement révélateurs du rôle de chacun des personnages et de celui du narrateur/auteur.

 

            L'étude fait ainsi ressortir la complexité des voix dans le dialogue romanesque, et la nécessité pour en cerner les enjeux argumentatifs de bien lire la «double-énonciation» qui le constitue et de le mettre en relation avec l’ensemble du texte.

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