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Didascalie dans fin de partie

Publié le 01/02/2011

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Introduction S'il est un détail auquel Samuel Beckett ne tenait pas à laisser de côté, c'est bel et bien les didascalies. Leur rôle prend toute son importance dans son interprétation théâtrale : de facto, alors que Gilbert Bourdet tenait, en 1989, à mettre en avant le rouge et le rose dans le cadre de sa mise en scène de Fin de Partie, Beckett lui fit comprendre que cela n'était pas acceptable à ses yeux. D'où l'importance des didascalies, et des indications qui en émanent. Aussi, quel rôle jouent les didascalies dans l'écriture théâtrale de Samuel Beckett telle qu'elle apparait dansFin de partie ? D'une part, ces didascalies contribuent à faire de l'œuvre telle qu'elle est rédigée une mise en scène dramatique totale. D'autres part, elles constituent une rupture sans équivoque avec l'écriture du théâtre traditionnel.  I] Une écriture dramatique totale Ne sont-ce pas les didascalies qui fixent le décor ? De fait, elles permettent de statuer de la place des poubelles, des fenêtres, et cætera, les unes par rapport aux autres. De même, elles permettent de préciser quel est le taux de luminosité. Ces mêmes didascalies ne se contentent d'ailleurs pas de commenter les positions des objets, elles donnent une idée précise aussi des habits portés par les personnages, et amènent le lecteur à identifier la pensée du personnage à un moment donné de la pièce. Par exemple, à la page 108, les didascalies précisent sur Clov: « Panama, veston de Tweed, imperméable, parapluie, valise ». Ces didascalies n'ont-elles donc pas une fonction dramaturgique ?  Qui plus est, elles ont pour vocation d'être minutieuses : en effet, elles précisent entre autre quel ton est adopté par le personnage. On peut se conférer à Nagg qui prend parfois une voix de « raconteur », parfois celle « du tailleur », et ce lorsqu'il raconte son histoire drôle (p. 35). Et elles mettent en exergue la posture de ce dernier. Par voie de conséquence, on découvre Hamm qui « ôte ses lunettes, s'essuie les yeux, le visage, essuie les lunettes, les remet, plie soigneusement le mouchoir et le met délicatement dans la poche » (p.14). En clair, ces didascalies précisant les gestes constituent globalement de petits mimodrames – des mimes à valeur dramatique – qui ouvrent, développent, et ferment la pièce. D'ailleurs, au début de la pièce, on voit sous nos yeux Nagg et Nell qui « avancent péniblement l'un vers l'autre, n'arrivent pas à se toucher, s'écartent » (p. 27). Puis ce sont les allées et venues de Clov qui rythment la pièce et la découpent en petites séquences. En clair, Beckett, par ces expressions scéniques, ces didascalies descriptives, nous donne à voir tout se qui se passe sur scène, en évitant soigneusement de négliger quelque détail que ce soit. Il en vient même à indiquer les temps, ce qui en soit constitue l'apogée de la rupture de sa pièce avec la tradition dramatique. De ce fait, les didascalies ont pour rôle initial de faire défiler sous les yeux du lecteur la pièce telle qu'elle est en réalité. Elles permettent de décrire, préciser les gestes, les moments, les déplacements, la relation des objets les uns envers les autres, et cætera. Seulement, ces didascalies insérées par Beckett n'en disent-elles pas justement trop, notamment avec la précision des silences ? II] Une écriture rythmée par les silences et le temps  Beckett a dans sa pièce écrit l'expression « un temps » au moins quatre cent fois, et cette expression suggère le silence. Mais ce n'est pas la seule car on peut aussi relever des pantomimes muettes ou « suspen-sion » implicite de la parole à l'intérieur même des répliques. Ces arrêts momentanés du temps ne mettent-ils pas justement en péril ce qui constituait un langage dramatique reposant tout spécialement sur les échanges des personnages ? En effet, on voit que le dialogue est sans cesse en sursis. Et n'est-ce pas Hamm qui, par la multiplication incessante de ses questions, relance la conversation. Son interlocuteur principal, Clov, a un sens de la coopération douteux, et n'aide pas spécialement Hamm. On aboutit à un cas limite de texte théâtral. De plus, ce serait presque un truisme (évidence) que de dire que ces silences fragmentent la parole des personnages. Conférons nous de fait au récit de Hamm qui est interrompu au minimum quarante fois. On constate une nouvelle fois une fragmentation des mots, à l'image du mot « a-bsolu » (p.15), qui, à cause du bâillement de Hamm, se voit être coupé en deux. D'ailleurs, ces fragmentations n'ont-elles pas une fonction burlesque ? Il en va de même, à la page 74, de la prière qui tourne aux insultes telle : « le salaud, il n'existe pas ». Le dialogue entre les personnages se voit être ralenti, il est dès lors voué à l'échec, et à la redondance. Les faits et les dialogues dans l'œuvre de Beckett s'embourbent et n'aboutissent pas. Enfin, la fin de la pièce sonne en écho avec le commencement dans la mesure où grâce à une indication scénique, Hamm et Clov retrouvent leur position initiale, et par un « silence » qui fait figure de point d'orgue.  Enfin, l'«action» inhérente à Fin de Partie semble être ralentie à la fois par les didascalies et par l'expression « un temps ». On en vient même à se demander si l'action n'est pas justement de nous montrer le temps qui passe, qui ne passe pas, ou qui a plutôt du mal à passer. Les didascalies, du moins, semblent nous en faire prendre conscience. Même les paroles des personnages soutiennent cette thèse lorsque l'un d'entre eux dit : « quelque chose suit son cours, ça ne va pas vite ». En réalité, ils attendent la « fin ». Ainsi, les mouvements incessants de Clov, ses aller et retour continuels qui font suite aux demandes de Hamm font figure de gesticulations, remplacent une « action » dramatique traditionnelle et témoignent des tentatives redondantes des personnages pour s'occuper en attendant que cela finisse. L'Homme n'a-t-il d'ailleurs pas tendance à s'occuper pour ne pas demeurer dans le silence ? De fait, Pascal, dans les Pensées, déclare au fragment 126: « j'ai dit souvent que tout le malheur des Hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre ». Beckett, en effet, l'illustre bien dans son œuvre.  Conclusion En conclusion, les didascalies, surabondantes, font partie intégrante de l'œuvre, non seulement en tant qu'œuvre de théâtre, puisque leur rôle est de préciser qu'elle doit être la mise en scène, mais aussi en tant qu'œuvre littéraire, dans la mesure où elles sont porteuses de sens : les didascalies créent un univers précis, propre à Samuel Beckett, et sont créatrices de sens. A l'image de ses pairs, Beckett tient aux didascalies car elles sont le signe d'une écriture novatrice mettant l'emphase sur ce qui se passe sur scène. Beckett n'ira-t-il d'ailleurs pas jusqu'à rédiger des œuvres dramatiques exclusivement composées de didascalies ? 

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