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Dom Juan Acte II scène 2

Publié le 15/04/2011

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juan

A – La stratégie du séducteur

 

Molière a voulu dans cette scène nous donner un raccourci frappant de la stratégie utilisée par Don Juan pour abuser les femmes. Elle consiste à flatter, charmer et promettre.

 

                I – Flatter

 

Pour Don Juan, parler, c’est agir. Sa stratégie de séduction repose d’abord sur la parole qui persuade. Mieux que personne, il sait que la flatterie exerce un pouvoir de séduction auquel il est difficile de résister. Les femmes, même si elles restent méfiantes, sont toujours sensibles aux éloges qu’on peut faire de leur beauté. Charlotte ne fait pas exception. Chez Don Juan, la flatterie commence par un étonnement prolongé que marquent les multiples exclamations et interrogations qui ponctuent son discours. La répétition insistante de l’interjection « Ah ! », qui exprime admiration et plaisir physique, rythme cet étonnement et agit comme une incantation qui anesthésie la résistance critique de la proie.

Don Juan donne le vertige à Charlotte, en faisant résonner à ses oreilles une cascade d’adjectifs élogieux : « belle », « pénétrants », « agréable », « jolie », « mignon », « beaux », « amoureux », « appétissantes », « charmante ». Il abuse du superlatif : « Peut-on rien voir de plus agréable ? «, «  je n’ai jamais vu une si charmante personne «, Elles sont les plus belles du monde «. La répétition des mêmes mots ou expressions ajoute encore à cet assaut verbal. Les mots « beau », « belle », « beauté », reviennent six fois dans le texte. La formule « je vous aime trop pour cela, et c’est du fond du cœur que je vous parle » réapparaît d’une manière condensée à la fin du texte : «  je vous aime de tout mon cœur «. Don Juan, qui a compris la secrète ambition de Charlotte, flatte aussi habilement sa vanité et son désir d’ascension sociale, elle mérite mieux qu’ « un simple paysan ».

 

                II – Charmer

 

La flatterie a d’autant plus de pouvoir qu’elle émane, dans le cas de Don Juan, d’un homme beau et paré de tous les prestiges de l’aristocrate. Il impressionne par sa prestance physique et la richesse de ses habits, qui nous ont été décrits précédemment. Sa désinvolture et l’élégance de ses manières tranchantes avec la balourdise et la rusticité de pierrot. Mais c’est par l’allure noble de son discours qu’il se distingue le plus. Il use d’un ton courtois pour faire sa déclaration : «  n’ayez point de honte d’entendre dire vos vérités », «  s’il vous plait », «  de grâce », « je vous en prie », «  souffrez que je les baise, je vous prie ». Il sait tourner le compliment avec raffinement précieux : « Point du tout, vous ne m’êtes point obligée de tout ce que je dis, et ce n’est qu’à votre beauté que vous en êtes redevable ». Charlotte n’a sûrement pas l’habitude d’être traitée avec d’autant d’égards.

 

                III - Promettre

 

La flatterie et le charme personnel seraient insuffisants pour séduire promptement, si Dom Juan ne faisait pas implicitement une promesse de mariage. C’est l’estocade qui, en apportant une preuve décisive bonne foi, enlève à la victime les derniers doutes. Rappelons que le mariage a, au XVIIème siècle, un caractère beaucoup plus sacré qu’aujourd’hui, qu’il est indissoluble et qu’une femme abandonnée, comme l’a été Elvire, est vouée à la honte et au déshonneur. En contractant ces mariages qu’il rompt aussitôt, Don Juan prend des risques : ainsi les frères d’Elvire sont partis à sa poursuite et veulent sa mort.

Pour Don Juan, le mariage n’est qu’un moyen de parvenir à ses fins. C’est pourquoi il le fait très vite intervenir dans sa déclaration : « vous n’êtes pas mariée, sans doute ? «  Charlotte se méfiera avant de céder car elle est promise à Pierrot. En attendant, elle est surprise par la hâte du libertin qui propose de l’enlever. Plus loin dans la scène, il sera tout à fait clair : « je n’ai point d’autre dessein que de vous épouser ».

 

B – Les acteurs du combat amoureux

 

Pour Don Juan l’amour est un combat qui prend d’autant plus d’intérêt que son adversaire lui résiste. Ce jeu bien sûr est cruel et révèle ma perversion du personnage.

 

                I – La résistance de Charlotte

 

Charlotte est éblouie par Don Juan. Elle qui dans la scène précédente avait une position supérieure et manifestait à l’égard de Pierrot dédain et froideur, se trouve maintenant sans la situation fragile de manifestait à l’égard de Pierrot dédain et froideur, se trouve maintenant dans la situation fragile de l’amoureuse. Consciente, de surcroît, de la barrière sociale qui la sépare de Don juan, elle adopte un ton de soumission : « Je vous suis bien obligée », « Monsieur, c’est trop d’honneur que vous me faites ». Elle ne cède pas sans résistance, car elle n’est pas sotte et ne manque pas de qualités morales. Les éloges de Don Juan la gagnent et alertent sa pudeur : « monsieur, vous me rendez toute honteuse ». Ella a de l’amour-propre et le sens de sa dignité : « Monsieur, cela vous plaît à dire, et je ne sais pas si c’est pour vous railler de moi.» Elle connaît ses limites et le signale au libertin qui la met mal à l’aise par ses subtilités verbales : «  Monsieur, tout ça est trop bien dit pour moi, et je n’ai pas d’esprit pour vous répondre.» Elle connaît ses limites et le signale au libertin qui la met mal à l’aise par ses subtilités verbales : «  Monsieur, tout ça est trop bien dit pour moi, et je n’ai pas d’esprit pour vous répondre.» elle est honnête, et bien qu’elle soit peu enthousiasmée par Pierrot, elle révèle qu’elle lui est  promise.

Mais cette prudence et ce bon sens paysans ne sont pas assez forts pour résister au plaisir de la vanité. Charlotte écoute avec complaisance les éloges appuyés de don Juan. Elle ne refuse pas le baiser qu’il lui donne sur la main. Loin de s’indigner, elle réagit même avec coquetterie : « si j’avais su ça tantôt, je n’aurais pas manqué de les laver avec du son.» On sent qu’elle fait un effort d’expression pour se mettre au niveau de Don Juan, en évitant les tournures et les jurons de son patois. Poussée enfin par une secrète ambition, elle écoute avec intérêt ses alléchantes propositions. Il se présente en effet à elle comme le prince charmant qui vient l’enlever à sa misère et lui promettre le bonheur amoureux. Charlotte ne peut résister au romanesque de cette situation où le rêve devient réalité. En fait, sans le savoir, elle est la proie d’un fauve.

 

                II – La perversion du héros

 

Don Juan est un pervers qui, pour satisfaire son égoïsme et son appétit de jouissance, ne recule devant rien. S’il est séduit par Mathurine, puis par Charlotte, c’est parce que qu’il ne peut résister à ses impulsions sexuelles. Il est immédiatement attiré par la beauté de la jeune paysanne, qu’il traite comme un cheval ou un chien : « Peut-on rien voir de plus agréable ? Tournez-vous un peu, s’il vous plaît (…) Haussez un peu la tête, de grâce. (…) Ouvrez vos yeux entièrement (…) Que je vois un peu vos dents, je vous prie ». Don Juan, avant de consommer, vérifier la qualité de la marchandise. Charlotte n’est pour lui qu’un objet sexuel, qu’il dévore déjà du regard. Il approche en chasseur, mais aussi en gourmet qui se lèche les babines. Il va même jusqu’à s’avilir, en embrassant la main sale de la paysanne. Ce moment qui précède la capture est celui qu’affectionne le libertin. Le désir y est exacerbé par l’attente et l’excitation de la chasse.

Le plaisir de Don juan est cependant plus raffiné que la simple satisfaction instinctive. Il aime que Charlotte lui résiste et l’idée qu’il va briser son union avec Pierrot ajoute du piment à son entreprise. Ce plaisir de souiller un bonheur neuf est d’autant plus odieux et déloyal que Pierrot à qui il va enlever Charlotte est l’homme qui, un instant auparavant, lui a sauvé la vie, en le tirant des flots. Non content de cette ingratitude, il ment avec un sang-froid cruel, sachant qu’en promettant le mariage à l’ingénue jeune fille et en l’abandonnant, il l’expose au déshonneur public et au ressentiment de Pierrot.

Le raffinement dans l’érotisme de la séduction est porté à son comble avec l’usage du blasphème. Charlotte accuse Don Juan de la railler. Celui-ci, alors qu’il ment effrontément, se défend en invoquant Dieu : « Moi, me railler de vous ? Dieu m’en garde ! » Il pousse l’insolence jusqu’à se faire allégrement passer pour un envoyé divin : «  le ciel, sui le connaît bien, m’a conduit ici tout exprès pour empêcher ce mariage ». Méchanceté, hypocrisie, impiété, ingratitude, tels sont quelques-uns des ingrédients qui composent chez Dom Juan le plaisir de faire le mal.

 

C – Une scène de farce

 

Malgré la cruauté de Dom Juan, cette scène appartient au registre de la farce tellement les éléments qui la composent sont outrés.

 

                I – Les jeux de scène

 

La farce met en scène des âmes frustes dans des situations simples, en recourant à un comique qui repose autant sur les paroles que sur les gestes. Certes Don Juan n’est pas un être grossier, mais il se prête ici complaisamment à une situation bouffonne, en se compromettant avec des paysans, aux réflexes attendus. Don Juan s’amuse, et l’on imagine facilement les jeux de scène qui accompagnent son numéro de séduction. Il examine Charlotte sous toutes les coutures, en l’obligeant à pivoter. Elle doit même, sans se rendre compte de son ridicule, montrer ses dents comme un cheval. L’outrance du discours doit être accentuée par de grands gestes qui caricaturent la passion amoureuse : main sur le cœur, yeux enamourés, pâmoisons sensuelles au moment des « Ah », agenouillement pour baiser la main, serments à la face de Dieu qui sont en fait des blasphèmes. Cette exaltation et cette gesticulation amoureuses sont d’autant plus comique que Sganarelle ne doit pas manquer d’exprimer par ses regards et ses attitudes sa lassitude devant un scénario qu’il connaît pas cœur et sa pitié pour un pauvre fille, déshonorée sous ses yeux, et pour laquelle, pas lâcheté, il ne fait rien.

 

                II – Le contraste des mondes

 

Un des éléments du comique de cette scène vient aussi du contraste entre la rusticité du monde paysan et l’élégance du grand seigneur qui ne craint pas en l’occurrence de déroger aux principes de sa classe. Malgré ses efforts pour améliorer la qualité de son discours, Charlotte ne peut s’empêcher d’employer des mots et des expressions qui appartiennent à son parler populaire : «  si ça c’est », «  Fi Monsieur ! », « Pierrot, le fils de la voisine Simonette ». Le réalisme campagnard de ses répliques contraste plaisamment avec l’emphase du grand seigneur qui s’encanaille.

 

                III – La comédie du sentiment

 

Don juan est une crapule de haute volée, mais nous ne pouvons nous empêcher d’admirer sa maestria et de rire avec lui de la comédie qu’il joue, au détriment de l’ingénue paysanne, victime après tout de sa coquetterie et de sa vanité. Charlotte est subjuguée et ne voit pas à quel point on se moque d’elle. Pourtant, Don Juan n’est pas discret et les excès de son attitude et de son langage sont énormes. Il connaît Charlotte depuis cinq minutes, et déjà il veut l’épouser. Il se récrie d’indignation, avec un aplomb désarment, dès que la jeune fille à juste titre le soupçonne de la railler : « Moi, me railler de vous ? ». Il se salit la bouche en embrassant une main noire de crasse. Il se fait, sûrement en ricanant, l’envoyé du Ciel, pour délivrer la belle de sa condition «  misérable ». Don Juan est tellement excessif, qu’il en paraît sincère. Manipulateur brillant des illusions, il plie la réalité à ses désirs, mais on rit de sa hardiesse, qui met à mal les conventions sociales et dévore sans pitié les êtres faibles.

 

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