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Double fonction de Fécilité dans Un Coeur Simple

Publié le 17/09/2012

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ANALES DE FILOLOGÍA FRANCESA, N . 4 , 1992. PÁGS. 17-21 La double fonction du portrait de Félicité dans «Un Coeur Simple« J osefina BUENO ALONSO Au moment de faire une étude a propos du conte d e Flaubert « Un Coeur Simple«, il est inévitable de centrer l'attention sur le personnage de Félicité, axe central du conte, autour duque1 s e déroule l'action. Flaubert, comme il l'avoue dans une lettre a Mlle Leroyer de Chantepie, avait ce personnage en tete, et ce conte, avant d 'etre écrit, était déja l'histoire de son héroine: «L'idée premiere q ue j'avais e ue etait d'en faire une vierge, vivant au milieu de la province, vieillissant dans le chagrin, et arrivant ainsi aux derniers états du mysticisme et de la passion revée (...) Seulement, pour rendre l'histoire plus compréhensible et plus amusante, au bon sens du mot, j'ai inventé une héroine plus humaine, une femme comme on en voit davantage.)) l . Ainsi se melent dans cette premiere idée des mots tels que v ierge. aniusante, héroine humaine, femme etc. des termes un peu confus qui peuvent contribuer sans doute a cette dualité régnante a propos du personnage de Félicité. 11 faut admettre avant tout, l'importance du «héros« dans la mentalité du lecteur. Le personnage central possede une existence propre, des caracteres psychologiques qui nous feront songer a lui apres avoir achevé le récit. A c e propos, il est important de citer le r6le d e la subjectivité dans l'image que se fait le lecteur a propos du personnage principal. Tout est subjectif, car l'image que nous garderons de «ce« ou «ces>, personnages dépendra de la projection que l'on a portée sur lui, d e notre acquis culturel etc. Cette image peut etre fort éloignée du projet initial de l'auteur, mais en somme, les éléments les plus significatifs n e sont pas ceux que I'auteur nomme, mais au contraire, n'importe que1 détail, situation, vetement qui, peu ?eu. et au pi moyen de petites touches, nous permettra de rentrer dans l'intimité du personnage. Nous nous situons a un niveau herméneutique et non sérniologique; les éléments q ui caractérisent le personnage parcourent tout le récit, se situant a un niveau «suprasegmental« selon la terminologie de Saussure ou «aucun signifié n'est gratuit, il est sans doute signifiant d'un autre systeme, non linguistique mais s ocio-culturel.~ '. 1 Lettre A Mlle. Leroyer de Chantepie, lundi 30 mars 1857. IV. 168-169. Recueili par MAROTIN. Fr. «Les trois contes. Un carrefour dans I'oeuvre de Flaubert«. in FroritiPres du c onte, Paris, Ed. C.N.R.S., 1982, p. 115. 2 VALETTE, B. Esthétique du romun mnder-ne. Le rornan en France, XIX-XX siecle, Paris, Ed. Nathan, 1985, p. 86. JOSEFINA BUENO ALONSO 18 Bien que nous ayons vu le personnage défini en tant que tel, dans un récit le personnage ne se définit pas seulement par rapport i lui, il est de meme important d'observer la fonction du personnage par rapport aux autres personnages du récit. Ainsi nous découvrons Félicité par elle-meme, mais l'image, le souvenir que nous garderons dans notre mémoire est la résultante de la comparaison entre Félicité et les autres personnages. Par caractérisation intrins&que3, je signale ce qui nous révkle les principaux traits physiques, c'est-i-dire c e qui conformerait plus ou moins le portrait physique. Tout ce qui entoure Félicité peut &re objet de deux analyses, la nature du personnage, le contexte ou elle se trouve insérée peuvent etre jugés sous deux aspects. 1 est évident que maintes fois les 1 événements ne signifient pas toujours ce qu'ils représentent, mais tout le contraire. De cette manikre, quelle idée de construire une héroine i partir d'une servante pauvre, sans culture, qui n'est pratiquemment bonne i rien si ce n'est 2 nettoyer. Apparemment, il n'y a rien d'intéressant dans la figure de ce personnage monotone. De cette facon, le personnage de Félicité va se construire beaucoup plus en rapport aux autres q u'i travers elle-meme. L'opposition binaire FélicitéIMme. Aubain va représenter l'écuateur du conte ainsi que la racine de cette double fonction existente dans le portrait de Félicité. En ce qui concerne la caractérisation intrinskque du personnage, celle qui nous fournit le portrait proprement dit du personnage, possede quelques jeux d'oppositions meme si cette caractérisation n'est pas tres abondante. Quant i l'aspect physique, qui n'est pratiquement pas mentionné, il faut constater que face au prototype féminin de la deuxikme moitié du XIX sikcle, caractérisé par sa beauté, élégance, culture, nous voici face i une femme qui n'est qu'une servante, mais une des meilleures. En ce qui concerne l 'ige, Flaubert ne peut pas etre plus confus: «Des la cinquantaine, elle ne marqua plus aucun i ge.« (p. 592) Ensuite, au sujet des vetements, «le mouchoir d'indienne* est choquant appartenant i une femme qui n'a jamais voyagé, et dont les connaissances géographiques sont tout i fait nulles. Le contraste entre «des bas gris, un jupon rouge* oppose l'existence monotone de la servante et la ferveur de ses amours. LA DOUBLE FONCTION DANS LA CARACTÉRISATION EXTRINSEQUE A partir de cela, bien que la description joue un r6le important, il s'agit 1 i d'un portrait moral plus que physique. Ou plutot, Félicité est décrite plus au moyen d'une caractérisation extrinskque qu'au moyen d'une caractérisation intrinskque. Le personnage est connu selon ce qu'il dit, fait ou la manikre dont il agit; cela est plus important que ses traits physiques. A ce propos, Flaubert écrivait i l'un de ses amis: «Une femme dessinée ressemble i une femme, v oili tout. L'idée est alors fermée, complkte, et toutes les phrases sont inutiles, tandis qu'une femme décrite fait rever i milles f emrnew41 est évident que Flaubert s'incline 1 davantage sur la description du caractkre, du comportement que sur une description exclusivement physique. Flaubert privilkge l'art littéraire, car celui-ci a le pouvoir de l'évocation et de la suggestion. La description la plus abondante est la description morale, je 3 4 Idem, p. 88. PERFEZOU, L. Madame B ovary, Flaubert, Paris, Ed. Bordas, 1988, p. 8 9 LA DOUBLE FONCTION DU PORTRAIT DE FÉLICITÉDANS UN COEUR SIMPLE 19 dirais mieux, Flaubert nous trace quelques touches au sujet du comportement et du caractkre de Félicité qui laissent au lecteur une porte ouverte A la fin du conte. La description n'est point achevée, voila une tache destinée au lecteur. Raúl Castagnino, dans son livre El análisis literario.Introducción a una estilística general, dans le paragraphe concemant le caractkre et la conduite, nous dit: «Según los clásicos, la perfección artística de un carácter, aparte de la continuidad, armonía, y equilibrio de sus manifestaciones se da en la movilidad, en la acción VITA IN MOTU sentenciaban los retóricos latinos y la movilidad de los caracteres -su conducta, por lo tanto- proviene del choque de pasiones en el alma de los personajes y del acuerdo o desacuerdo de sus resultantes con la circunstancia exterior. El carácter se revela por una conducta exterior sujeta a las costumbres impuestas por el medio familiar, social, la moda, la educación, la edad, etc.« 5 . De cette facon, Félicité nous dévoile son caractere tout au long du conte. Tout le conte se conforme comme le «devenir« de sa personnalité. Sa description n'est pas une description statique, mais au contraire, il s'agit d'une description qui se dégage de l'étude du caractkre tout au long d'une vie. «Au lieu d'étaler la psychologie des personnages en des dissertations explicatives, il la faisait simplement apparaitre par leurs actes. Les dedans se dévoilent par 6 les dehors, sans aucune argumentation p sychologique.~ . Automatisme, permanente, monotonie, voila les traits caractéristiques de Félicité. Si dans d'autres romans nous connaissons un personnage tout au long de sa vie, nous assistons ? évolution aussi bien son i physique que morale, dans ce portrait de Félicité, il n'y a aucune évolution, il n'existe qu'un statisme dans la conduite de Félicité. Le jour de sa mort, elle est aussi ignorante que le jour ou Théodore l'abandonna. Bien que les aspects cités antérieurernent interviennent d'une forme considérable, cela appartiendrait au c6té subjectif et personnel. Si par contre, notre analyse se centre sur l'aspect forme1 de sa configuration, nous constatons que Flaubert, avec son grand art de narrateur alteme une double fonction en ce qui conceme I'élaboration du portrait de Félicité. Voici donc la raison pour laquelle j'ai choisi le titre de cet article, car tout personnage, comme tout homme, joue un r6le et accomplit une fonction dans la société. Cette fonction est jugée selon les idées, la morale, que le lecteur posskde, mais finalement il reste toujours quelque chose. Tout d'abord, l'article de K. Falicka nous fait constater qu'il se détache de toutes les phrases concemant le portrait de Félicité deux isotopies sémantiques, rnais en dehors de cela, il existe deux oppositions qui se dégagent de l'étude de ce personnage: I'opposition TRISTE/COMIQUE, et I'opposition IGNORANT/SAVANT. En ce qui conceme I'opposition TRISTE/COMIQUE, il faut dire que toute l'existence de Félicité est marquée par la tnstesse. Ce récit est le récit «d'une pauvre fille de campagnefi. Flaubert nous décrit un personnage sombre, monotone, qui ne sourit jamais et dont la vie ressemble A un long chemin dépourvu de tous les plaisirs. Contrairement a cette vie beaucoup trop austkre, sa mort représentera le passage vers une existence rneilleure, elle sera f ialement récompensée. Ceci va etre pour ainsi dire, le déclenchement de l'opposition existente au sein 5 CASTAGNINO, Raúl H . El análisis literario. Introducción metodológica a una estilística general, Buenos Aires, Nova, 1976, p. 139. 6 MAUPASSANT, Guy de. Pour Gustave Flaubert, Paris. Ed. Complexe. 1986, p. 5 0. 7 FALICKA, K . «Le portrait littéraire chez Flaubertn, in Leportrair littéraire, Presses Universitaires de Lyon. 1988, p. 183. 20 JOSEFINA BUENO ALONSO d e ce personnage. Bien que cette tristesse soit récompensée, face a cette image triste, Flaubert par un moyen technique, l'ironie, réussit a créer une ambiguité dans l'étude de ce personnage. La «simplicité« d e Félicité est d'autre part, si vraisemblable, qu'elle parait vraie, mais d'autre part, il y a une telle exagération, qu'elle fr6le l'ironie et le sarcasme. Félicité, dans de nombreuses attitudes peut paraitre comique tant son attitude est naive. Mais d'un autre caté, il y a une telle identification dans cette opposition: son ignorance peut faire rire ou au contraire, elle peut évoquer de la peine. Lorsqu'elle va trouver M. Bourais pour qu'il lui indique sur la carte ou se trouvait son neveu, on ne peut pas etre plus explicite: «Elle se pencha sur la carte; ce résseau de lignes coloriées fatiguait sa vue, sans lui rien apprendre; et M. Bourais l'invitant a dire c e qui l'embarassait, elle la pria de lui montrer la maison ou demeurait Victor, Bourais leva les bras, il étemua, rit énormément; une candeur pareille excitait sa joie; et Félicité n'en comprenait pas le motif, +lle qui s'atendait peut-etre a voir jusqu'au portrait de son neveu, tant son intelligence était b o m é e ! ~p. 606). ( Quant a l'opposition IGNORANTISAVANT, en dehors de l'ambiguité que créent les semes ignorant-comique, qui aboutissent a l'identification, cette opposition appartient au champ de l'interprétation subjective. Le personnage de Félicité peut paraitre quelconque, ou par contre, un etre unique et supérieur. A mon avis, Flaubert, comme je disais auparavant, a créé un personnage au moyen de la description et non au moyen de la peinture. Félicité ne configure point un personnage fermé, mais bien au contraire, elle est un personnage ouvert sur qui nous pouvons appliquer de nombreuses théories. D onc, d e cette m aniere, volontairement ou involontairement, Flaubert adopte un mouvement a bascule entre l'ignorance et la sagesse qui peut toutefois nous déconcerter. Si nous tenons compte de la critique que soutient Flaubert et d'autres écrivains contre la bourgeoisie, nous verrons que Félicité n'appartient point a cette classe sociale, elle est du peuple. Nous savons bien que la bourgeoisie du XIX sikcle se caractérise par son sens de l'économie, de la théraurisation, son refus de ['aventure, le conformisme de ses habitudes, son idéal de vie ordonnée et tranquille. Flaubert et d'autres, ont reproché 2 l'idéologie bourgeoise son incapacité a comprendre et produire l'art, son conformisme et sa frivolité morale: (Proces des «Fleurs du Mal« e t de «Mme. Bovary« pour des raisons d'immoralité). Tous ces stéréotypes qui caractérisent la bourgeoisie, ne représentent que les indigences de l'imaginaire d'une classe sociale qui ne peut que copier et non inventer et créer des modes de vie, des modes de pensée. Cette critique que Flaubert ressent contre la bourgeoisie est tout a fait traduite dans Un Coeur Simple. S i Félicité est observée d'un point de vue ironique, Mme. Aubain est le prototype de cette femme bourgeoise, ignorante, cynique, égoiste qui ne possede q u'une échelle de valeurs, l'argent et ses dérivés. Voila la double fonction du personnage, a un premier abord Félicité est le prototype d'une femme qui n 'a pas été favorisée par la nature. Elle n'appartient pas au modele établi au XIX siecle mais sous une étude plus profonde, elle est certainement un etre supérieur car l'aventure la plus dure de sa vie, la mort, est pour elle le plus beau voyage. Ainsi nous constatons que l'argent ne fait pas le bonheur; Félicité reqoit s a récompense apres une vie malheureuse, la mort représente sa libération, elle a une mort soulagée. Mme. Aubain par contre, meurt comme un etre L A DOUBLE FONCTION DU PORTRAIT DE FÉLICITÉ DANS UN COEUR SIMPLE 21 quelconque, bien au dessous de sa soi-disant cclasse socialen. Elle fut trompée en vie par M. Bourais et apres sa mort, presque volée par ses héritiers. «Peu d'amis la regretterent, ses facons étant d'une hauteur qui é1oignait.n (p. 6 18) X. Le c6té ignorant de Félicité se laisse voir tout au long du conte, et au moyen de ses nombreuses réflexions. Elle possede de nombreuses qualités qui la transforment en une ame un peu «sotte«, sans méchanceté. 11 est vrai qu'elle n'est pas tres maiigne, mais peut-etre que, sous ce voile d e betise, Flaubert a voulu nous montrer une ame pure, qui n'a jamais été corrompue par la société, quelqu'un de vrai qui aime les Etres pour ce qu'ils sont et non pour ce qu'ils représentent. Sa bonté, son idée de la religion, son ignorance géographique, peuvent nous la montrer comme quelqu'un qui n'est bon a rien, mais aussi nous pouvons remarquer que tous les sentiments qu'elle ressent sont a son état pur. Elle est la bonté en personne, sans jamais penser a elle, elle ne vit que pour les autres. Quant 2 la religion, elle ne connait aucun dogme, mais, ena-t-elle besoin pour ressentir cette foi si puissante et cette adoration envers le perroquet? ne serait-ce un voeu de l'auteur de la rendre encore plus unique? Si nous anaiysons tout ce qui a été vu auparavant, nous observons que Flaubert a toujours voulu faire une critique de la société bourgeoise du XIX siecle, caractérisée par la valeur démesurée de I'argent, sa morale fermée, et son incapacité de créer et de penser. Donc, tenant compte des deux lectures faites a propos du personnage de Félicité, Flaubert nous propose l'antithese de sa critique, non seulement elle n'appartient pas a la bourgeoisie, mais en plus, en ce qui conceme ses sentiments et son caractere, tres importants tous deux chez Flaubert, ils n'ont rien a voir avec ceux qui régnaient a I'époque. Si tout le XIX siecle se caractérise par la matérialisation, Félicité n'y pense jamais, car comme Flaubert avait avoué a propos d e I'argent, «il ne fait pas le bonheur*. Si la religion catholique de ce siecle se caractérise par sa croyance aux dogmes, sa morale tres smcte, Félicité commence d'abord par n'y comprendre rien, mais ensuite, l'identification et l'adoration ne se feront pas a travers un syrnbole courant, connu de tous, mais au contraire, a travers un perroquet qui, a premiere vue n'a rien de semblable a la religion (bien qu'il soit un symbole rituel, mais non dans notre civilisation) 9. En tenant compte de cette double fonction que I'auteur a voulu faire jouer a son personnage, ceci ne serait que la réponse a l'insatisfaction que Flaubert sentait envers la religion catholique. Qu'il était croyant, on peut en etre sur, lui-meme avoue dans son dictionnaire 2 propos d e Dieu: «Voltaire lui-meme l 'a dit: "Si Dieu n'existait pas, il faudrait l 'inventer."~' Donc, cette O identification répondrait au désir religieux de Flaubert et s'adapterait parfaitement a son inconformisme envers les normes et les dogmes de L société du XIX sikcle. Finalement, a I'opposition de semes IGNORANTISAVANT, conviendrait pour une premiere lecture, et sous notre point de vue de la société dans laquelle nous nous sommes formés. Mais d'un autre point de vue, Félicité, je pense, ne serait pas si ignorante, elle ignore ce dont elle n 'a pas besoin, les choses superflues qui seraient la cause de la corruption de l'homme. En ce qui conceme les sentiments, ils rkgnent tous 2 l'état pur dans 1'2me d e Félicité. 8 FLAUBERT, G. Oeuvres (volume II), Paris, Ed. Gallimard, 1952, Bibliotheque d e la Pléiade, p. 618. 9 Définition du perroquet recueillie dans le Diccionario de Símbolos, Jean ChevalierIAlain Gheerbrant, Ed. Herder, Barcelona, 1986, p. 799. 10 FLAUBERT, G. Dictionnaire des Idées Recues, Paris, Ed. Montaigne, 1978, p. 54.

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