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Elections régionales: changer, renouveler

Publié le 22/02/2012

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22 mars 1992 - Défaite du pouvoir, défiance vis-à-vis de l'opposition " républicaine ": les scrutins du 22 mars sont sans ambiguïté. La percée écologiste, contre la gauche officielle, et les progrès de l'extrême droite, contre la droite officielle, sont le signe " fort " d'une demande du pays que les partis dépositaires de la culture de gouvernement ne satisfont pas, et que le taux élevé de participation rend plus impérieuse encore. Comment rassembler un pays doté d'une structure politique à ce point éclatée ? Comment concilier ce morcellement et la logique majoritaire propre à la Ve République ? Cette question centrale, il convient désormais de la poser davantage à l'opposition qui se veut " républicaine " qu'au président de la République. Elle est en effet mieux placée que lui pour concilier l'aspiration des Français au renouvellement et à l'alternance qui s'est manifestée. A l'inverse, M. Mitterrand va devoir choisir entre deux risques : celui de l'écrasement des siens, s'il maintient le mode de scrutin majoritaire, et celui de la dislocation proportionnelle, avec prime à l'extrême droite, s'il en change. Rarement la volonté de sanctionner un pouvoir à l'occasion d'un scrutin local aura été si manifeste : la gauche, et singulièrement le PS, enregistre son plus mauvais résultat depuis un quart de siècle. Cette défaite historique, au regard des statistiques électorales, tourne parfois au désastre, comme en Ile-de-France, région qui concentre une part non négligeable des " forces vives " de la nation personne, en outre, hormis M. Lang, n'en réchappe, qu'ils se soient, comme M. Delebarre ou M. Jospin, défoncés, ou qu'ils aient été absents, comme M. Joxe et quand le PS résiste, comme dans les Bouches-du-Rhône, il le doit à un homme qui fait ouvertement campagne contre les partis, M. Tapie. Dans ces conditions, libre à M. Mitterrand de finasser, ou de faire comme s'il n'avait rien entendu libre à Mme Cresson de continuer de gouverner, comme si de rien n'était : la prochaine sanction n'en sera que plus dure ! Il est vrai que le président ne pourra adapter sa réaction qu'au vu de la journée du 27 mars, consacrée à la construction des majorités dans les assemblées régionales, et qu'après avoir soigneusement examiné les résultats du second tour des cantonales, qui peut être soit un accélérateur de la chute du PS, soit au contraire une occasion pour ce même PS de retrouver une certaine capacité de rassemblement. Il est tout aussi vrai que la stagnation de la droite libérale rend celle-ci modeste, que l'extrême droite va peser de tout son poids lors de l'élection des présidents : cela donne à M. Mitterrand le temps d'ajuster sa réponse. Le sacrifice du socialisme gouvernemental Il n'en reste pas moins que celle-ci sera particulièrement difficile à trouver. En dehors du changement de premier ministre qui, malgré les propos de Mme Cresson et de M. Bianco, devrait s'imposer (sauf à prêter au chef de l'Etat des intentions assassines à l'endroit de ses amis politiques), et du cas-limite que constituerait une réponse réduite au retour de la proportionnelle, laquelle a pour effet de disloquer les grands partis, et surtout le PS, le président peut soit changer de politique, soit changer d'assise politique. La première hypothèse paraît exclue, compte tenu de la marge de manoeuvre d'un pouvoir qui se flatte, à juste titre, d'être, sur un plan européen, à l'égal du... Luxembourg, exemplaire. La seconde suppose que le chef de l'Etat accorde au titulaire de la charge de premier ministre ce qu'il a refusé, en 1988, à M. Rocard, à savoir les moyens d'une véritable ouverture ce qui signifie un contrat de gouvernement en bonne et due forme, en lieu et place d'une demande acceptée par quelques-uns d'une allégeance purement personnelle, en direction non seulement de la sensibilité écologiste, mais aussi de ceux qui placent l'objectif européen au-dessus de leurs intérêts partisans ce qui signifie aussi - tâche ô combien douloureuse - le sacrifice de ceux qui ont désormais le tort, aux yeux du pays, et quels que soient leurs mérites personnels, d'incarner le socialisme gouvernemental. Mais voilà : la réélection de M. Mitterrand est bien loin. Et l'histoire, comme dit le sens commun, ne repasse pas les plats. Surtout lorsqu'entre-temps, le discrédit moral s'est ajouté à l'usure du pouvoir. Dans ces conditions, il est à craindre que M. Mitterrand se contente, ou soit contraint de jouer exclusivement sur la faiblesse de la droite libérale. Celle-ci est réelle : s'il n'était question, pour le pays, que d'appeler de ses voeux l'alternance, l'opposition aurait bénéficié du désaveu infligé au gouvernement. Il n'en a rien été, tant il est vrai que la droite ne répond pas au besoin de renouvellement que ce scrutin n'est pas le premier à manifester. M. Chirac semble l'avoir compris : il s'est sagement donné un an, la distance qui nous sépare des législatives, pour convaincre qu'il est le mieux à même de rassembler. Enjeu stratégique A ce stade, le maire de Paris est incontestablement le mieux placé pour y prétendre. Mais il ne lui suffira pas d'être prudent. Il lui faudra, lui aussi, tenter de trouver une réponse appropriée à la demande des Français. Cette demande est certes confuse et contradictoire, mêlant votes protestataires, votes sanctions, votes de conviction et même, de la part des électeurs écologistes, demandes de participation. A droite et à gauche, d'habiles manoeuvriers en déduiront que leur marge tactique est d'autant plus grande. Ce serait persister dans l'erreur à courte vue dont l'actuel chambardement est la résultante : surfer sur la vague, en prenant le risque de sombrer et d'encourager la réaction populiste, au lieu de répondre concrètement à ce qui s'exprime d'attentes, d'angoisses et de frustrations. Ce serait surtout ne pas saisir l'enjeu stratégique de cette situation nouvelle : comment éviter les risques d'éclatement, d'émiettement, et donc de fragilité, qu'elle fait courir au pays ? C'est à l'évidence la France suburbaine qui est le plus touchée, celle des banlieues, celle-là même qui avait accompagné l'ascension du PS, et qui le prive aujourd'hui d'une partie importante de son assise sociologique. Or, pour l'heure, les uns et les autres ont choisi de rester hémiplégiques : les responsables socialistes soulignent que l'opposition ne bénéficie pas du rejet des gouvernants les leaders de la droite mettent l'accent sur l'ampleur du désaveu que subit le pouvoir. Bref, chacun se contente de montrer la paille qui est dans l'oeil du voisin. C'est pourtant la culture de gouvernement qui est en cause, et la pratique des partis du même nom : trois Français sur quatre se reconnaissaient jusqu'à présent soit dans le PS, soit dans la coalition RPR-UDF ils ne sont plus que un sur deux. Les uns comme les autres doivent donc s'efforcer d'en tirer la leçon plutôt que de chercher à s'abriter derrière les malheurs de l'adversaire. JEAN-MARIE COLOMBANI Le Monde du 24 mars 1992

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