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En quoi peut-on dire que le « tout économique » n'a jamais fondé, ni régulé une société ?

Publié le 05/12/2010

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C’est un fait, l’économie classique a énormément inspiré les politiques d’hier et d’aujourd’hui. À en croire les théories de ses grands auteurs, le libre jeu des intérêts individuels suffit à fonder et à réguler une société. En effet, avec son concept de la « main invisible «, Adam SMITH, l’un des pères fondateurs du libéralisme, préconise une intervention de l’État aussi limitée que possible, et évoque ainsi une société régie par le « tout économique «, c’est-à-dire une société qui s’autorégule naturellement par les marchés.                                                                             Cependant, de telles théories peuvent devenir bien utopiques confrontées à une réalité aussi complexe qu’est la société. A-t-on vraiment dans l’économie de marché les réponses à toutes les questions sociétales ?  C’est ce qui nous amène, dans un développement argumenté, à nous interroger sur les limites du « tout économique «.                                                                                                                                               Nous mettrons donc l’accent, sur les contradictions entre  les revendications des révolutionnaires de 1789 et  la réponse apportée par les libéraux ; pour poursuivre en nous appuyant sur les réalités historiques de l’échec du « tout économique « depuis le milieu du XIXe siècle, jusqu’aujourd’hui.

 

I la mise en place d’une démocratie libérale au XIXème : une réponse mal adaptée aux aspirations des révolutionnaires de 1789.

 

A) Les attentes de la Révolution Française : une société                    démocratique.      

La Révolution Française de 1789 tourne réellement une page dans l’Histoire de France, elle est beaucoup plus qu’une révolution politique : le fondement du pouvoir lui-même s’est vu réformé. On a, à cette époque, une conception toute nouvelle de la société. En effet, alors que l’ordre social reposait sur le Clergé, la Noblesse et le Tiers-Etat, on observe désormais le caractère contractuel de la société basée essentiellement sur l’individu. Le pouvoir passe concrètement du roi au peuple : les individus sont alors des sujets de droit. 

Cependant, dans un climat de méfiance vis-à-vis des regroupements professionnels, la loi Le Chapelier est votée le 14 Juin 1791. Cette loi, restée fameuse dans l’histoire du monde ouvrier interdit la grève ainsi que toutes les associations patronales et syndicales, en d’autres termes les syndicats. Le monde ouvrier se retrouve alors dans l’incapacité de s’organiser pour la défense de ses droits : la société est touchée de plein fouet par l’indigence ainsi que ce phénomène nouveau qu’est le paupérisme. L’ébranlement des sphères de la société et l’émergence de l’individualisme qui ont accompagné la Révolution Française ont ainsi conduit à la disparition d’un lien social. En effet, au début du XIXe siècle, on ne sait pas ce qui fonde le lien social! Comment une telle société, structurellement divisée peut-elle maintenir la cohésion sociale? 

À la suite de la Révolution Française, les revendications sont alors très lourdes : la démocratie en est au cœur (rappelons que le droit de vote n’est pas encore instauré), et les grandes valeurs républicaines qui sont Liberté, Égalité et Fraternité sont espérées plus que jamais dans cette société où lien social, et morale semblent inexistants. Les libéraux amèneront rapidement une réponse à  ces désirs de société démocratique : leur théorie du « tout économique « vise alors à résoudre un problème politique : Comment réguler une société quand celle-ci ne possède plus de fondement social ?

 

B) La réponse mal adaptée des libéraux : la démocratie libérale.

L’apparition du modèle de démocratie libérale est, de fait, la suite de la montée de l’individualisme. « La conséquence de cette représentation de la société comme marché réside dans le fait qu’elle se traduit par un refus global du politique. Ce n’est plus le politique, le droit et le conflit qui doivent gouverner la société, c’est le marché. « Cette citation de Pierre ROSANVALLON tiré de son œuvre Le Libéralisme Économique reflète tout à fait la démocratie libérale instaurée à la suite de la Révolution Française. En effet, selon les concepts libéraux, la société fonctionnerait toute seule car la rencontre des intérêts sur le marché créerait de l’harmonie sociale. On peut ainsi parler de création d’un lien social dans les échanges. Cependant si la transaction réunie socialement les individus, qu’en est-il de ce lien social en dehors des échanges ? Dans ce cas précis, peut-on réellement parler de cohésion sociale ? Dans un sens, oui car il est vrai que lorsque les individus échangent, ils se socialisent, mais en dehors de cette idée de transaction, il n’en existe nulle.

De plus, l’idée d’Egalité semble assez flottante… En effet, au XIXe siècle, la démocratie est vue comme dangereuse par les libéraux : le peuple étant supposé inéduqué, cela risquerait de déboucher sur l’autoritarisme. La réponse apportée par la démocratie libérale va alors durcir le libéralisme politique pour défendre les intérêts des classes les plus importantes. François Guizot, par exemple, politique libéral du XIXe siècle et principal ministre sous la Monarchie de Juillet, s’oppose au suffrage universel et préconise un suffrage censitaire après 1830 où auront le droit de vote les 200 000 hommes les plus riches de France. Une nouvelle fois, cela tourne à l’encontre du désir d’un droit de vote étendu postrévolutionnaire !

De même, l’idée de liberté est, dans ce modèle libéral, très étroitement lié à l’idée de propriété. En effet, dans cette société nouvelle, sont privilégiés sans nul doute les propriétaires : Benjamin Constant, politique libéral contemporain de Guizot, considère la liberté des modernes comme fondée sur la sphère privée. Or cet avantage de la propriété profite à peu d’individus dans une société ou l’indigence est devenu fait social. Karl Marx, philosophe et théoricien allemand du XIXe, avait d’ailleurs souligné ce caractère trop formel des libertés dans les démocraties capitalistes en constatant que les libertés proclamées ne pouvaient être exercées réellement que par les riches, classe dominante. La royauté aurait-elle été remplacée par la propriété? L’État minimal qui a pour but la garantie des droits oublie la classe pauvre de la société, absolument non négligeable !  La seule aide légitime apportée par les libéraux  nécessitait l’existence d’une créance clairement identifiée : une veuve de guerre pouvait, par exemple être indemnisée car l’Etat possédait une dette envers elle. 

On remarque donc finalement que cette idée de démocratie libérale fonctionnerait parfaitement, d’un point de vue utopique, à condition que tous les individus soient riches et propriétaires, autrement dit en « gommant « les problèmes sociaux. C’est dans ce contexte, au milieu du XIXe siècle que la question sociale devient politique : on verra dans le social une façon de résoudre les contradictions qui surgissent dans l’idée libérale. 

 

II Du milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours : la  confirmation de  l’échec du « tout économique «

A) La question sociale au cœur de nouvelles révoltes françaises

Alors que les idées libérales animent la France depuis un demi-siècle, on observe une pauvreté de plus en plus massive et surtout, le phénomène du paupérisme qui touche d’autant plus la population. 1848 marque alors un nouveau tournant : plusieurs facteurs se conjuguent au point de provoquer des révoltes, en Février et en Juin. En effet, jointe à la grande précarité qui touche les classes ouvrières, une crise agricole plonge les petits paysans comme les ouvriers dans une difficulté d’alimentation entraînant le développement de la mendicité. Une première révolte sanglante, qui a fait plus de 50 morts,  éclate alors dans un contexte où près de 2/3 des ouvriers sont au chômage. Le peuple est en demande massive de travail face au Gouvernement libéral qui refuse d’élargir les conditions d’accès au droit de vote. Confronté à de telles pressions qui ne cessent pas, le Gouvernement provisoire ouvre des ateliers nationaux qui créent alors de l’emploi. Cependant, dès les élections, ces ateliers sont fermés considérant le droit au travail comme une menace pour la liberté. C’est ce qui poussa les ouvriers à revendiquer leurs droits une seconde fois en Juin.                                                     C’est justement entre Février et Juin 1848, le moment théorique où la question sociale éclate. Les contradictions du modèle libéral sont désormais visibles dans la confrontation entre forme démocratique et division de la société. Le social va devenir une intervention nécessaire pour rendre gouvernable une société ayant choisi la forme démocratique.                                                                                 Dès l’instauration de la IIIe République en 1875, et en conséquence de la Révolution Pasteurienne qui rendit majeur le maintien de la santé publique, l’Etat se voit investi de missions de service public : il se doit de garantir, à la fois les droits des individus mais également la santé publique. Les premières lois sociales sont votées : l’existence de syndicats devient légitime en 1884 entre autres.

Bien que la question sociale ait été légèrement prise en compte dans les politiques de la fin du XIXe siècle, elle ne reste que relativement traitée, et il subsiste néanmoins de grandes inégalités qui doivent être amoindries.

 

B) De l’idée d’État Providence jusqu’à nos jours : le social continuellement  évoqué

Un siècle depuis la prise de conscience d’une nécessité d’un fondement social n’a pas suffit à réduire les grandes disparités des classes de la société. Après la Seconde Guerre Mondiale, tandis que les libéraux s’opposent encore à un État social, on entrevoit réellement que les démocraties politiques ne peuvent exister que si elles sont assises sur la démocratie sociale. C’est ce qu’apporte l’instauration de la IVe République : une refondation en profondeur du social.         Certes la crise économique des années 1920 avait déjà corrigé le libéralisme par l’intervention de l’État, mais c’est en 1945 que se produit la réelle rupture avec la mise-en-place de l’État-Providence. ROSANVALLON s’est beaucoup intéressé à la genèse de ce nouveau rôle de l’État qu’il qualifie « d’assureur «. En effet, il revient clairement à l’État d’organiser un accompagnement social dans l’idée d’une plus grande intégration des individus. La Sécurité sociale est crée par Laroque, le salariat devient intégré à la société : grâce à la redistribution, on a su ponctuer le capitalisme.                                                                                                                                         Toutefois, cette « magnifique « idée d’État-Providence n’a pas su s’instaurer durablement. En réalité, le lien entre assurance et solidarité se brise dans les année 1970-1980 : ayant acquis une meilleure connaissance de la sociologie des risques, une grande partie de la population refuse de payer l’assurance, considérant les gens comme irresponsables. ROSANVALLON parle alors de « globalisation des risques «. L’État-Providence tend alors à perdre sa capacité à assurer la cohésion sociale : un nouvel échec.                                       De nos jours, le contexte est tout autre et il semblerait impossible d’imaginer une société régulée par le « tout économique «, le social s’est vu intégré naturellement aux fonctions de l’État. Néanmoins, les clivages sociaux demeurent abondants, et au cœur des débats de l’actualité : plus de 7% de la population française vit actuellement sous le seuil de pauvreté. Le libéralisme domine désormais depuis les années 1980 en France et dans le monde. Or c’est bel et bien ce libéralisme qui entraine une concentration de la société sur l’économie au détriment des individus. L’économie de marché est, selon Karl Polanyi, économiste hongrois contemporain, un système qui ne peut pas durer : le désencastrement de l’économie conduit à considérer le travail, la terre et la monnaie comme des marchandises, et c’est ce qui pourrait être à l’origine du totalitarisme. L’Idée d’un marché autorégulateur n’est, selon lui, ni universelle, ni naturelle.

 

Ainsi, l’évolution des démocraties occidentales a amené à déceler les contradictions internes du « tout économique « quant au fondement de la société. Dès sa mise-en-place au XIXe siècle, la démocratie libérale est d’emblée conçue comme une réponse mal adaptée aux aspirations de la Révolution Française, une réalité qui ne cessera d’être confirmée dans l’histoire. Quand le but de l’État est d’assurer tout autant la croissance de son PIB que la protection de ses citoyens, le « tout économique « apparaît clairement comme un échec. Selon Robert CASTEL, sociologue français du XXe siècle, les exigences du marché conduisent à un chaos social : il définit la politique sociale d’un État comme étant « la résultante d’un arbitrage difficile entre les exigences de la politique interne : le maintien de la cohésion sociale, et les exigences de la politique externe : être compétitif et puissant « dans Les métamorphoses de la question sociale. Il semble alors difficile de lier les exigences de la société avec celles du marché. Dans quelle mesure l’État doit-il prendre en compte le social ? Cette implication peut-elle conduire à la remise en cause du capitalisme ?

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