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Faut-Il Avoir De La Chance Pour Être Heureux ?

Publié le 05/12/2010

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"Tous les hommes recherchent à être heureux. Cela est sans exception, quel que soit les différents moyens qu'ils emploient "(Pascal)

Nous sommes tous dans une conquête permanente du bonheur. Ce dernier est souvent conçu comme étant une fin ultime de la vie humaine (appelée eudémonisme). Il est la fin la plus haute, que l’on recherche pour elle-même. Le bonheur est un état de plénitude continue. Au sens général, on peut penser que le bonheur est l’assouvissement intégral des besoins et des désirs. Cependant, si on accepte cette définition, ne sommes-nous pas condamnés à ne jamais être heureux ? En effet, la satisfaction complète des désirs semble impossible dans la mesure où un désir  est un manque que l’on se créé soit même par l’imagination. On peut penser à Don Juan qui pourra avoir autant de femmes qu’il le souhaitera, mais qui n’aura jamais la totalité des femmes ! 

Etudions alors à l’étymologie du terme. «  Bonheur « vient de « heur « (du latin augurium, accroissement accordé par les dieux) qui signifie bonne fortune, faveur divine. Cela indique que le bonheur est quelque chose qui vient forcément de l’extérieur : il ne nous appartient pas de le construire par nous-mêmes.  Ainsi, il suggère l’idée de bien et de la chance. Il faut la distinguer du hasard. En effet, celui-ci est un événement imprévisible heureux ou malheureux. La chance, elle, est la probabilité qu’une chose heureuse se produise.

Ainsi, faut-il avoir de la chance pour être heureux ? Cependant, est ce que c’est la seule chose qui conduirait au bonheur ? Y a-t-il une méthode pour l’atteindre ? Existe-t-il des limites au bonheur ? N’est-il pas utopique de croire au bonheur ?

Nous nous intéresserons dans un premier temps à deux mouvements philosophiques, le stoïcisme et l’épicurisme, qui s’opposent à propos du bonheur. Puis, nous focaliserons notre attention sur le bonheur et son lien avec la société. Enfin, nous étudierons si le bonheur est un souverain bien.

 

La recherche du bonheur a un point de départ assez pessimiste : nous voulons le bonheur que nous n'avons pas, et nous voulons fuir ce qui nous blesse. Il n'est donc pas étonnant que le bonheur intégral soit si souvent lié à l'idée de perfection, et donc d'un dieu. Par conséquent le bonheur n'existe que sous la forme d'un but idéal et inaccessible. Dans le cas le plus extrême, par exemple pour ceux qui croient en un dieu, alors le bonheur n’est pas humain puisqu’il appartient à un être parfait, Dieu. Pour eux, le bonheur dépend de la fortune (au double sens du hasard et de la possession des biens matériels). Les stoïques, comme en témoigne Calliclès dans Gorgias, affirment que le bonheur est tributaire de ce que la nature a offert à chaque homme : est heureux celui qui, par nature, possède un équilibre entre les désirs et les facultés. En effet, le bonheur ne se goûte qu’à condition que les désirs n’aillent pas au-delà des possibilités de leur satisfaction. Le désir de l'homme serait d'être heureux, mais la satisfaction de ses souhaits appartient à un autre que l'homme : au sage surhumain pour les Stoïciens qui est maître de lui-même, qui accepte l’ordre divin. Pour les stoïciens, panthéistes, Dieu était la nature. Déjà à l’antiquité grecque, le pessimisme est poussé à son plus au point… Hegesias, nommé ministre de la mort, enseignait que la vie ne valait rien et qu’il fallait mourir pour être heureux… Ainsi, il entraina une vague de suicides. De façon plus générale, les stoïciens refusent l’idée selon laquelle les hommes seraient, depuis leur origine, à la recherche du plaisir. Ils affirment qu’au contraire nos impulsions sont dues à notre nature humaine. Ainsi, un enfant qui s’exerce à marcher et qui ne cesse de chuter, de se faire mal, n’est pas guidé par la satisfaction mais par le besoin d’être comme ceux qui l’entoure. Sénèque affirme par ailleurs qu’il est impossible de confondre bonheur et plaisir, le premier étant un état durable, le second un sentiment éphémère : « le plaisir arrivé à son plus haut point s’évanouit «. Le plaisir n’est donc pas nécessaire au bonheur. Ainsi, plaisir et vertu s’oppose puisque cette dernière conduit à la maitrise de soi et donc aux passions. Celles-ci ne sont que des pulsions irrationnelles poussées par l’inconscient. C’est donc tout l’opposé de la volonté. Cependant, le stoïcien veut contrôler ses impulsions car elles sont naturelles et ce serait contre nature que de vouloir les détruire. Ainsi, le bonheur consiste en l’absence de troubles de l’âme. On appelle ceci l’ataraxie, soit la paix de l’âme et l’indifférence de l’esprit.

Epicure est également eudémoniste, c'est-à-dire, il est fervent d’une doctrine posant comme principe que le bonheur est le but de la vie humaine et qu’il en est la finalité naturelle. Le vrai bonheur consiste dans la paix de l’âme que rien ne vient troubler tout comme pour les stoïciens et l’ataraxie. Or, cette doctrine est souvent interprétée à tort comme une philosophie d’excès. En réalité, il s’agit d’une philosophie d’équilibre fondée sur l’idée que toute action entraine à la fois des effets plaisants, positifs, et des effets amenant à la souffrance. Le sage épicurien donne une harmonie entre un monde matériel, formé d’atomes, et l’esprit. Ainsi, pour Epicure, c’est le plaisir qui constitue le souverain bien : il est « le commencement et la fin d’une vie bienheureuse «. Le bonheur est donc un état de plaisir complet et durable. Or, parmi les plaisirs, il distingue :

  Le plaisir en mouvement (par exemple, le plaisir de boire lorsqu’on a soif) qui est éphémère et auquel peut succéder une peine (je souffre d’être privé de tels plaisirs) 

  Le plaisir en repos, constitué par l’absence de douleur et de trouble, qui seul est stable.

Il s’agit donc pour l’épicurien d’agir sobrement en recherchant les actions amenant l’absence de douleur. On voit aussitôt que le bonheur ne peut résider que dans ce plaisir stable, la recherche continuelle des plaisirs en mouvement entrainant souffrance et malheur. Ainsi, en ne visant que la satisfaction stable, l’épicurien aboutit à un complet détachement des plaisirs ordinaires. En fin de compte, le principe le plus important de la doctrine d'Épicure est de vivre selon la prudence quand on cherche la satisfaction. La libération des troubles (ataraxie) est la marque suprême du bonheur. « Puisque le plaisir est le premier des biens naturels, écrit Epicure, il s’ensuit que nous n’acceptons pas le premier plaisir venu, mais qu’en certains cas nous méprisons de nombreux plaisirs quand ils ont pour conséquence une peine plus grande « (lettre à Ménécée). La position des épicuriens rejoint ainsi au bout du compte celle des stoïciens pour qui le bonheur consiste dans l’ataraxie, c'est-à-dire une parfaite tranquillité de l’âme dégagée de toute passion, qui s’atteint par l’acceptation pleine et entière de ce qui ne dépend pas de nous et implique un détachement absolu devant la douleur. La clé du bonheur, c’est de vivre en accord avec la nature, avec le destin. « N’est-il pas certain que, selon la doctrine des aristotéliciens qui rangent la douleur parmi les maux, le sage, quand il subit le supplice du chevalet, est incapable de bonheur ? Pour les Stoïciens, en revanche, qui ne considèrent pas la douleur comme un mal, le raisonnement oblige à conclure que la vie du sage se maintient heureuse dans toutes les tortures « (Des biens et des maux, Cicéron). Le bonheur a-t-il un lien avec la société ?

 

Le bonheur joue un rôle capital dans la religion. Prenons l’exemple du christianisme où le bonheur est conçu non seulement comme fragile mais aussi comme illusoire. Il n’est rien d’autre qu’une consolation, autrement dit un moindre mal. Elle s’avère dangereuse pour les catholiques du fait qu’elle les menace de s’attacher à la vie terrestre. S’ils sont malheureux sur terre, alors ils goûteront au bonheur parfait et à la béatitude dans le Royaume de Dieu. Ainsi, ceux qu’on dit malheureux sur terre, les pauvres, sont en réalité heureux car le Royaume de Dieu leur est réservé. Par conséquent, on parle de bonheur terrestre comparativement au bonheur véritable du Royaume de Dieu. On est heureux sur terre lorsque l’on est moins accablé par la misère qu’un autre ! Mais, ce n’est pas le bonheur véritable, ce n’est qu’une consolation, mais consolation dangereuse pour la religion puisqu’on pourrait prendre goût à la vie, et donc à l’injustice puisque dans le Royaume de Dieu tout est éternel, immuable, sein… Or cette vision n’est pas adaptée à la vérité de notre univers. Cette vision est pessimiste car on espère que l’au-delà apportera un bonheur éternel. Ainsi, l’eudémonisme antique est remplacé par l’espoir. « Le chrétien est une conscience malheureuse, comme dit l'analyse fameuse de Hegel, puisqu'il est conscience déchirée de son opposition au monde. Le déchirement qui s'opère entre son moi temporel, empirique, et son moi transcendantal... fait son malheur: il est isolé dans un monde qu'il tient pour hostile. « Or, Marx dénonce pour sa part la religion comme « opium du peuple «. Par cette formule célèbre, il veut dire que la religion a une fonction sociale. En effet, elle console les hommes de leur misère, leur faisant espérer un au-delà meilleur. Mais, cette espérance ne guérit pas la misère, elle la masque, comme une drogue qui endort un malade. C’est pourquoi il faudrait détruire moins la religion que ce qui la rend inévitable pour tendre au bonheur.

Ainsi, le bonheur est aussi une question de politique. Cependant, les hommes politiques n’ont pas la charge du bonheur de chaque citoyen, ils y contribuent. Ce sont eux qui déterminent souvent le bien public et qui apprennent quelles sont les conditions du bonheur puisque le gouvernement doit s’occuper de son peuple et donc appliquer des lois en vue d’améliorer la vie de chacun. En effet, si dans la vie d’aujourd’hui, il y a du chômage trop important, des licenciements économiques trop abusifs, des inégalités poussées à leur extrême, alors la vie des citoyens serait un chaos, et tous seraient « malheureux «, n’auraient pas de but pour avancer. Le gouvernement se doit donc de protéger les droit de chacun (travail, vie, culture, santé, école, défense…), d’instaurer l’égalité… Platon pensait que la meilleure politique à avoir est celle qui n’a pas en vue le bien être des individus mais celui de la cité entière car c’est en étant unis que chacun avance. Par conséquent, un bon gouvernement doit être celui qui déploie toute son énergie dans l’intérêt de sa cité. Ainsi, il n’y a plus de privilège et toute la société doit être heureuse dans une paix et harmonie sociale. De façon plus large, le bonheur est synonyme, pour la cité, d’une vie libre qui se suffit à elle même et dans laquelle on ne manque de rien. Le bonheur sous entend ainsi la perfection. Or, selon Aristote, "c'est en vue de ce qui leur semble un bien que les hommes font ce qu'ils font ". Ce bien n’est pas le bien au sens moral ni matériel, il est synonyme du mot fin, but. Donc la société va ensemble vers un même but suprême, le bonheur. Il est le seul bien absolu car il est cherché pour lui-même, lui seul. En effet, par exemple, on veut être en bonne santé pour être heureux et non le contraire !

 

Comme nous l’avons vu précédemment, Aristote voit dans le bonheur la fin suprême. En effet, dans l’Ethique à Nicomaque, Aristote observe que les différents biens (les richesses, la santé, les honneurs, les plaisirs …) ne sont pas désirés pour eux-mêmes mais en tant que moyens de nous procurer le bonheur, tandis que c’est pour lui même que nous recherchons ce dernier. Le bonheur est donc « ce qui se suffit à soi même […] ce qui par soi seul rend la vie souhaitable et complète «. Il est la fin suprême, la fin de notre activité, et donc la fin de la vie. Mais quelle est l’activité proprement humaine ? Aristote répond « L’activité de l’âme, en accord complet ou partiel avec la raison «. Or, cette fonction est propre à la nature de l’homme vertueux. Par conséquent, le bien propre de l’Homme est l’activité de l’âme en conformité avec la raison et la vertu. Ainsi, comme l’a dit Aristote « la vie des gens vertueux ne réclame nullement le plaisir comme on ne sait quel accessoire ; le plaisir, elle le trouve en elle-même «. Le bonheur consiste donc non pas exactement dans la vertu mais dans la pratique permanente de la vertu, dans l’exercice de la vie raisonnable à quoi la vertu nous dispose. Cependant, Aristote n’affirme pas que la vertu suffise seule au bonheur et que l’on puisse être heureux dans l’avenir. Pour que la vertu puisse s’exercer, il faut que les conditions de vie s’y prêtent. De là l’importance de ces biens extérieurs que sont la santé, les richesses, nécessaires à un bonheur objectif. Platon est lui aussi de cet avis : «  N’est-il vrai que, nous autres hommes, désirons tous être heureux «. Ainsi, le bonheur est conçu comme ce qui oriente et détermine les actions humaines. 

Cependant, Kant rompt avec les eudémonismes en faisant observer que la recherche du bonheur ne saurait constituer la ligne directrice de notre vie, ni la fin de la morale, car le bonheur, constituant un idéal de l’imagination et non pas de la raison, est un concept indéterminé. Kant définit le bonheur comme « la satisfaction de toutes nos inclinations tant en extension, c’est-à-dire en multiplicité, qu’en intensité, c’est-à-dire en degré, et en durée «. Un tel bonheur, selon lui, est un idéal de l’imagination en ce que la satisfaction complète ne peut être réalisée. Le bonheur étant ainsi indéfinissable, on ne peut énoncer les règles permettant de l’atteindre. Le bonheur en tant que fin ne peut dicter, contrairement à la loi morale, d’impératif catégorique. Ceci est un concept de la philosophie de Kant qui a été dit pour la première fois dans Fondation de la métaphysique des mœurs (1785). C’est un commandement moral absolu et deux maximes célèbres l’illustrent :

  « Agis selon la maxime qui peut en même temps se transformer en loi universelle «

  « Agis selon des maximes qui puissent en même temps se prendre elles-mêmes pour objet comme lois universelles de la nature. «

Ainsi, la morale est de l’ordre de la loi et le bonheur est seulement un objet d’espérance car Kant précise qu’il ne faut pas confondre le souverain bien et le bonheur. Ce dernier dépend de la satisfaction de nos penchants et est déterminé par nous même. Il n’y a aucune universalité. A contrario, le souverain bien relève de la conduite morale qui est déterminée par la loi purement rationnelle et qui est en accord avec les maximes vues précédemment. Ainsi, nous pouvons accéder au bonheur à condition de ne pas le rechercher pour lui-même et d’obéir bien plutôt à la loi universelle de la raison.

 

Après avoir étudié en détails l’épicurisme et le stoïcisme, nous avons pu nous rendre compte que ces deux mouvements n’étaient pas aussi opposés que ce que l’on pouvait imaginer. En effet, le bonheur consiste pour tous deux dans l’ataraxie, c'est-à-dire une parfaite tranquillité de l’âme dégagée de toute passion, qui s’atteint par l’acceptation pleine et entière de ce qui ne dépend pas de nous et implique un détachement absolu de la douleur. Puis, nous nous sommes intéressés au bonheur qui a de fort lien dans la société à cause de la religion et la politique qui rythment la vie des citoyens. Pour terminer, nous avons pu voir qu’Aristote pense que le bonheur se suffit à soi même et est une fin dans la vie de chacun alors que Kant croit le contraire en disant que le bonheur est un idéal imaginaire.

Pour conclure, la quête du bonheur n’est autre que le bonheur d’une quête. Cependant, la satisfaction des besoins et des désirs permet d’atteindre une certaine forme de bonheur. Or, pour être heureux, l’intervention de la chance peut y contribuer, mais n’est pas essentielle. On peut penser aussi à  la maxime « l’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue «…

Cependant, peut-on devenir esclave de nous-mêmes dans la quête du bonheur ?

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