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Faux Monayeurs, Chapitre 12, Première Partie

Publié le 18/01/2011

Extrait du document

Extraite du chapitre XII de la Première Partie des Faux Monnayeurs, la scène du mariage de Laura et Douviers est retranscrite dans le Journal d’Edouard qui y a assisté étant donné qu’il connaissait très bien Laura et sa famille. Le mariage vu par Edouard prend une tournure fort originale et soumet le lecteur à de nombreuses questions le concernant. Tout d’abord, alors que nous sommes face à un mariage, symbole de joie pour toute une famille, nous nous rendons compte que sous la plume d’Edouard, le mariage est dépeint comme un tableau défraîchi et austère. Cet épisode fait ressortir une union de deux jeunes gens qui reflète si peu le bonheur qu’elle en paraît factice. Edouard transmet à son journal l’ensemble de ses réflexions ; celui-ci est donc l’interface écrite de ses pensées et donne au lecteur l’aspect d’un véritable monologue intérieur riche de méditations. Parmi ces pensées rapportées sous la forme d’histoires multiples et en spirale, le personnage d’Olivier fait une incursion prépondérante dans le passage et prend la place principale. 

 

            La scène du mariage de Laura et de Douviers ne reflète aucun bonheur pour celui qui la voit sous la plume d’Edouard. 

Tout commence par une atmosphère lourde et austère. Les protagonistes principaux et assistants semblent vouloir masquer ce mariage du fait du lieu de cérémonie retiré et minimisé, il s’agit de la « petite chapelle de la rue Madame «. Le nom de la rue apporte une certaine ironie dans cet ensemble peu réjouissant puisqu’il recèle l’idée que Mademoiselle Laura Vedel-Azaïs est entrée dans la rue pour en ressortir Madame Douviers donc une forte notion de mariage dans le nom de cette rue. Le fait que l’on ait affaire à une chapelle apporte une pierre à l’édifice puisque le monde religieux ne tolère aucune vie hors mariage donc une chapelle extrêmement bien placée pour qui se trouve en état de péché hors mariage et souhaite y remédier avec tout le repentir nécessaire. 

L’ambiance austère ne se trouve pas seulement dans le retrait quasi honteux de la cérémonie mais au travers de beaucoup de personnages assistant à la scène. 

Lorsque nous approchons de plus près ces personnes nous avons immédiatement l’impression de contempler un tableau aux couleurs défraîchies par le temps. Ce tableau est animé par une profonde tristesse générale. Cette tristesse est manifeste lorsque l’on se tourne vers les trois tantes de Douviers qui se trouvent « en grand deuil «. Malgré une présence en qualité de musicien donc d’animateur, La Pérouse comme le pasteur ou le grand-père de Laura sont « vieux «. Cette vieillesse doublée du deuil des trois tantes de Douviers métaphorisent la scène du mariage en scène d’enterrement. 

L’effacement total du couple qui s’unit de la scène renforce cette impression d’inhumation à venir. Ce gommage des mariés annonce également la future place de Laura au sein du roman où elle s’efface pour dépendre des autres, ce qui lui permet de se construire un abri protecteur même lorsqu’elle est fautive.

L’ensemble de la cérémonie se trouve chapeautée par le discours que prononce le pasteur qui pour bien faire comprendre qu’il est long et d’un intérêt relatif, se trouve qualifié d’  « allocution «.  Ainsi ce n’est plus à un homme religieux qui prodigue des conseils avisés et bienveillants aux jeunes mariés mais un homme politique au discours ennuyeux et « interminable «. L’effet qui est produit à ce moment là vient se raccorder à l’aspect de deuil qui environne ce mariage dans la mesure où le discours du pasteur devient une véritable cérémonie du souvenir dans laquelle il évoque « l’histoire de toute la famille « Vedel-Azaïs qu’il a connue sur plusieurs générations. C’est à nouveau avec une pointe d’ironie qu’Edouard s’arrête sur le moment où le pasteur dut s’exprimer sur la famille Douviers dont il parlait avec « édification « et pourtant «dont  il apparaissait qu’il ne connaissait pas grand-chose. « Les efforts déployés par le pasteur évoquent pour le lecteur l’hypocrisie régnant sur la bonne société de l’époque où l’on prononçait des paroles de bien parce que les apparences de bonne moralité étaient importantes. Il est à tel point éloquent que l’ « on entendait se moucher nombre de membre de l’assistance «. Ceci pourrait être des (fausses ?) larmes ou bien des fou-rires dissimulés.  

Cette vue globale de la cérémonie n’est donc pas ce que l’on pourrait qualifier des plus heureuses mais un dernier détail est décisif pour décrire ce mariage comme austère. Le tableau qui est dépeint montre la tristesse qui règne sur les personnages, mais la peinture du tableau présente une luminosité et une architecture intérieures à la chapelle totalement dépourvues de fraîcheur et de légèreté. Les murs sont « nus «, les colonnes « rigides «, l’architecture déploie une « disgrâce rébarbative, l’intransigeance et la parcimonie. « Tous ces termes agissent comme un répulsif à une cérémonie de mariage qui s’accompagne en principe de gaité, de fleurs, rubans… 

La lumière qui baigne l’assemblée accompagne inexorablement la rigidité ambiante, elle est abstraite et blafarde ce qui donne une tournure tout à fait péjorative, de plus elle renforce l’impression de vouloir cacher le mariage. En effet la lumière blafarde est souvent à des heures où peu de monde circule, l’aube qui emporte avec elle les secrets nocturnes. Le terme lui-même de blafard synonyme de décoloré offre un retour à ce tableauvieux et défraîchi qui baigne la scène. L’  « abstraite « lumière est un choix tout à fait judicieux puisqu’il ne laisse pas le choix au lecteur concernant l’avis qu’il peut se faire du mariage ; c’est abstrait donc chimérique, le mariage n’est qu’une vaste hypocrisie. La joie n’est pas exprimée car elle serait trop factice si l’on tentait d’en manifester.

Tout cet assemblage dépourvu de fantaisie marque le rappel de l’enterrement que nous avons vu précédemment, il revient comme un motif incessant rappelant simplement que Laura n’a pas vécu selon ses souhaits réel ; donc l’enterrement comme leitmotiv pourrait tout simplement être le cœur de Laura qui s’éteint pour s’enfermer dans une vie qu’elle n’a pas forcément souhaité. 

 

            Le mariage est relaté dans le Journal d’Edouard. Ce type d’écrit est une interface idéale pour véhiculer et dissocier le réel du faux. Chez Edouard, le journal nous livre ses réflexions intimes à propos du roman familial qui s’écrit devant lui. 

La scène se déroule au gré de ses tours de foule ou de ses réflexions personnelles, marquant des arrêts sur ce qui lui semble important, commentant ces temps de pause comme un monologue intérieur.

          Dès les premières phrases Edouard offre des détails personnels à lui-même par exemple concernant le choix du lieu de la cérémonie, la petite chapelle de la rue Madame ne lui est pas  inconnue, cependant il n’y est pas retourné « depuis longtemps «. Cette absence de précision temporelle marque une prise de recul évidente pour Edouard qui a mûri et qui peut se permettre d’émettre certains jugements sans pour autant faire l’objet de critiques à propos de ses prises de positions qui seraient qualifiées sans fondement dans le cas d’un homme trop jeune et sur bien des points inexpérimenté.

Ainsi commence le défilé familial, simple du côté de Laura, car il est ami avec elle et n’a rien à apporter sinon le tableau que le lecteur se fait lui-même par la suite. 

La famille de Douviers est comme nous l’avons vu ironisée, les trois tantes dont la chasteté n’est pas remise en question au point qu’elles ressemblent à des nonnes fait sourire, leur « deuil « est vu par Edouard comme l’enterrement de leur vie, car elles sont et demeureront célibataires. Le mariage des jeunes gens reflète leur vieillesse approchante et leur hymen à venir, leur chasteté expliquée par le fait qu’elles ont voué leur vie à l’éducation de Douviers à la mort de ses parents.

Nouveau coup d’œil circulaire et Edouard porte son choix sur La Pérouse. Il esquisse d’un regard sûr le visage de celui-ci, puis se met à fouiller l’âme. Là il médite sur la « ferveur « qui l’animait à l’époque où il donnait à Edouard des cours de piano. De cette remarque nous avons des informations nouvelles à propos du tenancier du journal. Le lien de proximité qui le lie à La Pérouse  lui permet d’une part de remarquer aisément sa vieillesse puisqu’Edouard lui-même n’est plus très jeune et d’autre part de cerner dans sa pensée en cours d’analyse la « tristesse « qui transparaît dans le sourire de l’homme. En poussant plus loin la réflexion il n’est pas difficile de deviner que le vieil homme se sait vieillissant, plus en état d’enseigner donc mort quelque part dans son âme.

Mais Edouard ne fait pas une analyse complète de La Pérouse, il l’entreprendra un chapitre plus tard dans le roman. 

Puis c’est au tour du pasteur, Edouard analyse son « allocution « et en fait un compte rendu fidèle pour que l’on puisse comprendre la tristesse ennuyeuse qui règne sur la cérémonie avec ce discours nostalgique. 

Le temps d’arrêt suivant est destiné à l’architecture et à la lumière qui nous l’avons compris mettaient le coup de grâce sur l’austérité ambiante. Cependant cette description est aussi un prétexte pour Edouard à dévoiler une autre partie de lui. Lorsqu’il regarde la chapelle tout en constatant la disgracieuse et rigide architecture, il se rend compte que « pour n’y avoir pas été sensible plus tôt, il fallait qu’il y fût habitué depuis l’enfance «. 

De là, l’interface que représente le Journal d’Edouard devient celle du récit d’enfance et d’adolescence. Ce sont ses propres souvenirs qu’il délivre sans détours. Il y décrit un peu la base d’un parcours d’initiation au cours duquel il a rencontré Laura à l’école du dimanche. La « ferveur « décrite par Edouard au cours de leur formation religieuse prend une tournure profane car elle touche aux sentiments de façon forte. Perdus entre le sacré et le profane Edouard révèle volontiers l’attachement qui les unissait sans en comprendre les fondements réels. Pour décrire ce qui les animait tous deux les termes « ferveur «, « zèle «, « ardeur « montrent bien le manque de discernement car ils se prêtent aussi bien au registre du sacré qu’à celui du profane amoureux.

Le journal d’Edouard riche de méditations et de réflexions personnelles, montre que la maturité lui permet de prendre du recul par rapport à sa jeunesse. Il est à ce stade comme Jean-Paul Sartre évoquant le jeune Poulou qu’il était dans Les Mots, il parle avec son expérience d’homme qui a pu prendre du recul par rapport à ce qu’il était apportant un jugement objectif dépourvu de sentiments égocentriques. Les différentes réflexions qu’elles le concernent lui ou les autres qui l’entourent formes un système d’histoires en spirales, apportant plusieurs histoires au cœur d’une seule. Un choix de réflexion d’Edouard occupe pourtant l’ensemble du passage ; les analyses du sujets sont poussées et recherchées mais laissent toujours des points d’interrogation à Edouard qui ne peut prendre du recul par rapport à celui-ci. Il s’agit d’Olivier. 

 

            Assis dans l’assistance aux côté de sa mère, Olivier est à première vue insignifiant, il s’agit juste d’un enfant parmi tant d’autres. Pourtant le Journal d’Edouard parle de lui tout au long du roman des Faux-Monnayeurs. 

Olivier est un mystère pour Edouard, le jeune personnage le passionne absolument et son désir est de le percer à jour pour le comprendre totalement c’est pourquoi lorsqu’il l’aperçoit son intérêt reste vif. Le comble du bonheur est qu’Olivier partage cette secrète attraction envers son oncle et sa profession emphase avec la littérature. 

Au moment où Edouard s’assied à côté de lui une connexion s’établit entre les deux personnages. L’élément qui permet de créer ce lien réside dans la main d’Olivier glissée dans celle d’Edouard. A ce moment ils ne font plus qu’un l’un est transfiguré au travers de l’autre. Olivier a les « yeux fermés « ce qui laisse à penser qu’il se laisse guider au fil de la réflexion d’Edouard et voit tout ce qui est vu de son oncle et inversement, ce qu’Edouard confirme plus loin dans la phrase « La singulière faculté de dépersonnalisation qui me permet d’éprouver comme mienne l’émotion d’autrui, me forçait presque d’épouser les sensations d’Olivier […] «

Il décrit alors la scène en essayant de penser au regard qu’Olivier porterait dessus qu’il s’agisse des personnages, de l’architecture ou de la lumière qui nous l’avons vu auparavant s’instaure dans des critères sévères et rigides.

Le fil connecteur se rompt après l’évocation de la ferveur existant entre Laura et Edouard. En effet si pour des éléments relevant de la description Edouard et Olivier pouvaient se trouver liés  sans aucune once d’hésitation, pour le domaine amoureux, Olivier est beaucoup trop jeune pour prendre le recul nécessaire par rapport à de tels événements. 

Olivier joue donc un rôle important dans le lien que son oncle tente désespérément de partager avec lui mais il a aussi un rôle plus inattendu mais tout aussi important que le premier.

Si comme nous l’avons étudié auparavant le mariage se trouve enfermé dans une atmosphère austère et rigide, Olivier par sa jeunesse et sa fraîcheur apporte pour Edouard la fantaisie manquante à la cérémonie. 

Tout d’abord novice dans la familiarité, il va prendre dans cette chapelle le relais de son oncle dans le parcours d’initiation le menant à l’osmose avec lui. Ainsi ils suivent des chemins assez similaires ! Ce statut de novice, le fait qu’il ait les yeux fermés et qu’Edouard le métaphorise à un pâtre lui confère un statut de nouveau né dans une scène proche de l’enterrement. 

La naissance se trouve figurée dans l’image de « sa main qui palpitait comme un oiseau « dans celle d’Edouard. Cette main et les palpitations comparables à des battements de cœurs laissent place à deux théories concernant Olivier dans le passage. Ces palpitations sont l’esprit d’Olivier qui s’échappe vers celui d’Edouard, c’est aussi la vie qui court dans ses veines de nouveau né, de novice candide qui ne demande qu’à suivre sa route. 

La fraîcheur d’Olivier se matérialise après que le lien avec Edouard soit rompu car en dépit de leurs esprits qui semblent mêlés, la jeunesse d’Olivier apparaît franchement dans « un sourire d’une espièglerie toute enfantine «. 

Mais le lien qu’il a eu avec Edouard l’a déjà mûri puisque son sourire est tempéré par  «  l’extraordinaire gravité de son front «.

 A ce moment là Edouard voit revenir vers lui de plein fouet une méditation qu’il a eu un peu plus tôt sur l’éducation religieuse de son neveu durant le sermon interminable et ennuyeux du pasteur: « élevé en catholique, le culte protestant devait être nouveau pour lui et il venait sans doute pour la première fois dans ce temple «. La surprise qu’il éprouve alors n’est que plus forte quand le jeune garçon lui rétorque sans qu’aucune parole n’ait été prononcée avant « Moi, je m’en fous : je suis catholique «.

         Nous somme donc face à un lien peu ordinaire entre l’oncle et le neveu. Fascinant, il leur permet de communiquer par la pensée. Chacun s’approprie les réflexions de l’autre, c’est d’ailleurs le fil de méditations qu’Edouard a durant sa « dépersonnalisation «, qui offre l’opportunité de parler pour la première fois de la mariée même si ce n’est pas dans la situation présente. 

Cette connexion des deux personnages fait naître la méditation ultime du Journal à propos du jeune Olivier : « Tout en lui m’attire et me demeure mystérieux «. On retrouve alors le système d’histoires en spirale, Edouard voit Olivier en surface et se trouve attiré vers lui car ils ont de nombreux points communs comme la littérature par exemple. Ce qu’il attend c’est de connaître les pensées intimes d’Olivier ce qu’il tente de faire durant le mariage de Laura mais ce qu’il en a obtenu ne lui suffit pas pour le connaître autant qu’il le souhaiterait.

 

          C’est donc une scène remplie d’ambiguïtés et de contradictions à laquelle nous assistons durant le mariage de Laura et de Douviers. Tout ce qui décrit la cérémonie la ramène plus à un enterrement qu’à un mariage tant l’ambiance est pesante et factice. Cette artificialité ne suggèrerait-elle pas tout simplement comme l’indique le nom du roman que les protagonistes sont de faux-monnayeurs ? Ils ne vivent tous que sous des apparences mondaines, l’arrière-plan prouve leur hypocrisie permanente. Pendant ce temps là, ka cérémonie qui piège Laura, libère Olivier de son innocence grâce à l’intervention d’Edouard qui lui permet de voir avec l’esprit d’un homme arrivé à maturité et de l’aider dans son futur parcours initiatique dans lequel Olivier s’inscrira dans les pas de son oncle choisissant la littérature comme arme principale.

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