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Feynman, Vous voulez rire, Monsieur Feynman !

Publié le 27/04/2013

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Feynman, Vous voulez rire, Monsieur Feynman ! (extrait) Célèbre pour sa contribution au développement de l'électrodynamique quantique qui lui a valu le prix Nobel de physique en 1965, Richard Feynman a également publié plusieurs ouvrages de vulgarisation scientifique destinés au grand public, notamment l'incontournable Vous voulez rire, Monsieur Feynman ! Ce recueil de petites histoires autobiographiques, qui sont des transcriptions d'entretiens enregistrés au magnétophone, nous permet de découvrir et d'apprécier diverses facettes de cet illustre scientifique, dont le sens de l'humour n'est pas en reste, comme en témoigne l'anecdote sélectionnée ici. Vous voulez rire, Monsieur Feynman ! de Feynman Comment faire du jaune JE DIS TOUJOURS que je suis inculte, que je ne suis pas un intellectuel. C'est une attitude qui date du temps où j'étais à l'école. J'avais très peur alors de passer pour une mauviette ; je ne voulais pas avoir l'air trop raffiné. Selon moi, un homme, un vrai, ne pouvait pas aimer la poésie, et tout ça. Je ne m'étais jamais posé la question de savoir comment on écrit de la poésie, comment on la fabrique. Je méprisais totalement tous ceux qui s'intéressaient à la littérature française, à la musique, à la poésie, et à toutes ces disciplines ornementales. J'admirais cent fois plus les métallos, les soudeurs, les types dans les ateliers. Le type qui travaille dans un atelier, qui sait usiner des pièces, fabriquer des choses, ça c'est un mec. Je valorisais tout ce qui est pratique et je n'avais que mépris pour tout ce qui est intellectuel ou cultivé. À Princeton, je n'étais toujours pas débarrassé de ces préjugés, comme l'anecdote suivante va le montrer. Je prenais souvent mes repas dans un petit restaurant assez agréable, nommé Chez Papa. Un jour, est venu s'installer à côté de moi un peintre, en costume de peintre, qui visiblement repeignait une pièce à l'étage au-dessus. Nous avons engagé la conversation et au bout d'un moment, il s'est mis à m'expliquer tout ce qu'il faut savoir quand on travaille dans la peinture : ne s'improvise pas peintre qui veut ! « Par exemple, m'a-t-il dit, si on vous donnait cette pièce à repeindre, quelle couleur choisiriez-vous ? (Je ne savais pas quoi répondre.) Eh bien, vous voyez, là, il y a une bande sombre, à l'endroit où les coudes des clients frottent sur le mur. Il ne faut donc pas peindre ce mur-là en blanc ; c'est bien trop salissant. Mais d'un autre côté, le blanc, ça fait propre et ça c'est capital pour un restaurant. « Visiblement, il avait l'air de connaître son boulot et je buvais ses paroles. « C'est pareil pour les couleurs ; ça s'apprend, a-t-il continué. Il faut savoir comment on fait pour obtenir telle et telle couleur en mélangeant deux peintures. Comment pensez-vous qu'on obtient du jaune ? (Je ne savais pas comment faire du jaune en mélangeant des peintures. S'il s'était agi de lumière, j'aurais su : il faut mélanger du rouge et du vert ; mais avec de la peinture en pot ?) Eh bien, m'a-t-il déclaré, c'est simple : il suffit de mélanger du rouge et du blanc. -- Vous êtes sûr que c'est pas du rose qu'on obtient ? -- Non, non, du jaune. « J'étais bien obligé de le croire vu qu'il était du métier et que j'avais toujours eu beaucoup d'admiration pour les professionnels. Mais, quand même, je me demandais comment il s'y prenait. Tout à coup, j'ai eu une idée. Il devait se produire dans certains cas une réaction chimique : « Vous utilisez sûrement des pigments spéciaux, et il y a une transformation chimique. -- Non, non ; ça marche avec n'importe quelle peinture. Vous n'avez qu'à aller acheter une boîte de rouge et une boîte de blanc chez le droguiste du coin et je vous montrerai que ça donne bien du jaune. « (Je me disais : « C'est bizarre. Je m'y connais suffisamment en peinture pour savoir que ça ne peut pas donner du jaune. Mais il doit savoir de quoi il parle. Il se passe sûrement quelque chose de très intéressant que j'ignore. Il faut que je voie ça. «) « D'accord, je vais aller acheter de la peinture. « Là-dessus, il est retourné à sa peinture et le patron du restaurant m'a dit : « À quoi ça vous sert de discuter avec ce type-là ? C'est un peintre professionnel ; ça fait vingt ans qu'il est dans le métier. S'il dit que ça donne du jaune, c'est pas la peine de discuter. « J'étais très embarrassé et je ne savais pas quoi répondre. « C'est que moi j'ai passé toute ma vie à étudier la lumière, lui ai-je expliqué, et je sais que dans ce cas-là avec du rouge et du blanc on n'obtient pas du jaune, mais du rose. « J'ai donc été acheter des pots de peinture que j'ai rapportés au restaurant. Le peintre est descendu et le patron s'est joint à nous. J'ai placé les pots de peinture sur une vieille chaise et le peintre a commencé à les mélanger. C'était rose. Il a rajouté un peu de rouge ; c'était toujours rose. Un peu de blanc ; c'était encore rose. Au bout d'un moment, il a dit : O« ù est mon tube de jaune ? Maintenant il faut que j'ajoute un peu de jaune pour acidifier un peu la couleur. -- C'est pas de jeu ; si vous ajoutez du jaune, c'est pas étonnant que vous obteniez du jaune ; sans jaune, vous n'y seriez jamais arrivé. « Sur quoi le peintre est remonté continuer son travail. « Ce type ne manque pas d'air. Quand je pense qu'il a le culot de discuter avec quelqu'un qui a étudié la lumière toute sa vie ! « m'a dit le patron du restaurant. Cette histoire montre à quel point je faisais confiance à ce que j'appelais les vrais mecs. Ce peintre m'avait auparavant raconté tellement de choses plausibles que j'étais prêt à admettre qu'il existait un phénomène bizarre que j'ignorais. Normalement, ça devrait donner du rose ; mais je me disais que si ça donnait du jaune, c'est qu'il devait se passer quelque chose d'inattendu et d'intéressant, que je ne voudrais manquer pour rien au monde. Ce genre d'attitude m'a fait commettre pas mal d'erreurs en physique. Il m'est arrivé de ne pas avoir suffisamment confiance en la théorie et d'imaginer toutes sortes de complications qui la rendraient non applicable ; dans ces cas-là, j'arrivais à me persuader que tout pouvait arriver, même ce dont j'étais pratiquement sûr que ça ne pouvait pas arriver. Source : Feynman (Richard), Vous voulez rire, Monsieur Feynman !, trad. par Françoise Balibar et Claude Guthmann, Paris, Interéditions, 1985. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.

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