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Georges LUKACS (né en 1885): « Le temps qui est l'instrument de cette victoire... »

Publié le 15/01/2018

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La Théorie du roman, rédigée en 1914-15 , a été publiée pour la première fois à Berlin chez Paul Cassirer en 1920. Par la suite, Lukacs l'a reniée et s'est refusé à toute réimpression jusqu'en 1 962. Cette Théorie du roman a été traduite en français pour la première fois en 1 963 et publiée aux éditions Gonthier. Dans le chapitre intitulé Le Romantisme de la désillusion, Lukacs montre que, dans le roman, sens et vie se séparent et que, dès lors, l'action du roman n'est qu'un combat contre les puissances du temps, d'un temps qui est à la fois ~ suppression de la vie » et • plénitude de la vie ».

L'Éducation sentimentale de Flaubert repose sur une telle expérience vécue de la temporalité et c'est parce qu'elle y fait défaut, au contraire, parce qu'ils ne saisissent le temps que sous son aspect négatif, que les autres grands romans de la désillusion sont des échecs. Parmi les ouvrages importants de ce type, L'Éducation sentimentale est apparemment celui qui manque le plus de composition ; l'auteur ne tente aucun effort pour vaincre, par un processus quelconque, le morcellement de la réalité extérieure en fragments hétérogènes et vermoulus, ni davantage pour suppléer au manque de liaison et de symboles sensibles par une peinture lyrique d'états d'âme: les morceaux du réel restent simplement juxtaposés dans leur dureté, leur incohérence, leur isolement. Et l'auteur ne confère au héros du roman une importance

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« AN THO LOGIE particulière ni en limit ant le no mbre des protagon istes et en fais ant converger rigoureus ement toute la com positi on sur le personna ge cen tral, ni en rehau s­ sant sa personna lité afin qu'elle se détache de tou tes les autres ; la vie de Fré déri c Moreau est tout aussi inconsistante que le monde qui l'entou re; ni dan s l'ordre du lyrisme ni sur le plan de la contestation son intér iorité ne possède de puissance pathétique capable de faire contrepoids à cet te inani té.

Et ce livre pourtant, le plus typique de son siècle en ce qui concerne la problém atique du roman, est le seul qui , avec son contenu désolant que rien ne vient édulcorer, ait atteint la véritable objectivité épique et, grâce à elle, la positivité et la force affirmatrice d'une forme parfaite ment acco mplie.

C'e st le temps qui est l' instrument de cette victoire .

Son cours non en travé et ininter rompu est le principe unificateur de l'ho mogénéité qui polit tous les fragments hétérogènes et les relie, par un rapp ort sans dou te irra tionne l et inexpr imable.

C' est lui qui met de l'ordre dans l'imbrog lio des personnages et qui leur prête l'apparence d'une réalité organi que se déve loppant par ses propr es forces : sans aucune signification visible, des personn ages surg issent et disp araissent à nouveau, entrent en rappor t les uns avec les autr es, rompent les liens qu'ils viennent de nouer.

Mais dans ce deven ir et ce rejet dans le passé, étrangers à tou t sens, qui étaient là avant les hommes et qui leur survivront, les personn ages ne sont pas simp lemen t insér és.

Au-de là des événe ments et de la psycho logie, ce flux du temps confère sa tota lité propre à leur existence ; si con tingente que soit l'app ariti on d'une figure du point de vue pragma tique et psycho logique , elle surgit cependa nt d 'un continu existant et vécu et l'atmo sphère qui l' entou re, du fait qu'elle est soutenue par un seul et unique courant de vie, suppr ime le carac tère acciden tel de ses expériences vécues et le carac tère isolé des événemen ts au sein desquels elle apparaît.

La tota lité de vie qui sert de support à tou s les hommes devient ainsi quelque chose de dynamique et de vivant : la grande étendue de tem ps qu' embrasse ce roman, qui articule les homm es et les générations et rapp orte leurs actions à un complexe historique et soc ial, n'est aucunement un concept abstrait, une unité mentale construite après coup comme l'est celle de La Comé die humaine dans son ensemble, mais une ré alité qui existe en soi, un con tinu concret et organique .

Cette totalité n'est cependan t une véritabl e ima ge de la vie que dans la mesure où, même à son égard, tout systè me idéa l de vale urs reste régulateur, dans la mesure où l'idée qui lui est imma­ nente n'est autre que celle de son existence propre, de la vie en général.

Mais cette idée qui révèle plus brutalement encore le carac tère lointain que prennent les vrais systèmes d'idées lorsqu'i ls se réduis ent en l'ho mme à de simples idéaux, retire à l'échec de tou tes les entreprises son aride déso­ lation ; tout ce qui advient est dénué de sens, incohérent et pén ible , ma is s'i rradie en même temps d'une lumière d'espoir et de souvenir.

Et l'espoir ici n'est pas une création artificielle et abstraite , cou pée de la vie, que son échec profane rait et dépréciera it ; il est lui- même un élémen t de cette vie dont il épou se les formes et qu'i l embellit en s'efforçant de la. »

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