Devoir de Philosophie

Hugo, Hernani (extrait).

Publié le 07/05/2013

Extrait du document

hugo
Hugo, Hernani (extrait). À Aix-la-Chapelle, la diète délibère afin d'élire le nouvel empereur parmi les prétendants au Saint Empire : François Ier, Frédéric II et Don Carlos. Ce dernier, informé d'une conjuration menée contre lui, s'est fait conduire jusqu'aux caveaux qui renferment le tombeau de Charlemagne afin d'y surprendre l'assemblée des conjurés. L'obscurité du sépulcre est propice au monologue intérieur ; dans une adresse directe à Charlemagne, Don Carlos, encore roi d'Espagne, médite sur la puissance politique : être ou ne pas être empereur ? Hernani de Victor Hugo (acte IV, scène 2) DON CARLOS, seul. Charlemagne, pardon ! ces voûtes solitaires Ne devraient répéter que paroles austères. Tu t'indignes sans doute à ce bourdonnement Que nos ambitions font sur ton monument. -- Charlemagne est ici ! Comment, sépulcre sombre, Peux-tu sans éclater contenir si grande ombre ? Es-tu bien là, géant d'un monde créateur, Et t'y peux-tu coucher de toute ta hauteur ? -- Ah ! c'est un beau spectacle à ravir la pensée Que l'Europe ainsi faite et comme il l'a laissée ! Un édifice, avec deux hommes au sommet, Deux chefs élus auxquels tout roi né se soumet. Presque tous les états, duchés, fiefs militaires, Royaumes, marquisats, tous sont héréditaires ; Mais le peuple a parfois son pape ou son césar, Tout marche, et le hasard corrige le hasard. De là vient l'équilibre, et toujours l'ordre éclate. Électeurs de drap d'or, cardinaux d'écarlate, Double sénat sacré dont la terre s'émeut, Ne sont là qu'en parade, et Dieu veut ce qu'il veut. Qu'une idée, au besoin des temps, un jour éclose, Elle grandit, va, court, se mêle à toute chose, Se fait homme, saisit les coeurs, creuse un sillon ; Maint roi la foule aux pieds ou lui met un bâillon ; Mais qu'elle entre un matin à la diète, au conclave, Et tous les rois soudain verront l'idée esclave, Sur leurs têtes de rois que ses pieds courberont, Surgir, le globe en main ou la tiare au front. Le pape et l'empereur sont tout. Rien n'est sur terre Que pour eux et par eux. Un suprême mystère Vit en eux, et le ciel, dont ils ont tous les droits, Leur fait un grand festin des peuples et des rois, Et les tient sous sa nue, où son tonnerre gronde, Seuls, assis à la table où Dieu leur sert de monde. Tête à tête ils sont là, réglant et retranchant, Arrangeant l'univers comme un faucheur son champ. Tout se passe entre eux deux. Les rois sont à la porte, Respirant la vapeur des mets que l'on apporte, Regardant à la vitre, attentifs, ennuyés, Et se haussant, pour voir, sur la pointe des pieds. Le monde au-dessous d'eux s'échelonne et se groupe. Ils font et défont. L'un délie et l'autre coupe. L'un est la vérité, l'autre est la force. Ils ont Leur raison en eux-mêmes, et sont parce qu'ils sont. Quand ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire, L'un dans sa pourpre, et l'autre avec son blanc suaire, L'univers ébloui contemple avec terreur Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l'empereur. -- L'empereur ! l'empereur ! être empereur ! -- Ô rage, Ne pas l'être ! -- et sentir son coeur plein de courage ! -- Qu'il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau ! Qu'il fut grand ! De son temps, c'était encor plus beau. Le pape et l'empereur ! ce n'était plus deux hommes. Pierre et César ! en eux accouplant les deux Romes, Fécondant l'une et l'autre en un mystique hymen, Redonnant une forme, une âme au genre humain, Faisant refondre en bloc peuples et pêle-mêle Royaumes, pour en faire une Europe nouvelle, Et tous deux remettant au moule de leur main Le bronze qui restait du vieux monde romain ! Oh ! quel destin ! -- Pourtant cette tombe est la sienne ! Tout est-il donc si peu que ce soit là qu'on vienne ? Quoi donc ! avoir été prince, empereur et roi ! Avoir été l'épée, avoir été la loi ! Géant, pour piédestal avoir eu l'Allemagne ! Quoi ! pour titre césar et pour nom Charlemagne ! Avoir été plus grand qu'Hannibal, qu'Attila, Aussi grand que le monde !... -- et que tout tienne là ! Ah ! briguez donc l'empire, et voyez la poussière Que fait un empereur ! Couvrez la terre entière De bruit et de tumulte ; élevez, bâtissez Votre empire, et jamais ne dites : C'est assez ! Taillez à larges pans un édifice immense ! Savez-vous ce qu'un jour il en reste ? ô démence ! Cette pierre ! Et du titre et du nom triomphants ? Quelques lettres, à faire épeler des enfants ! Si haut que soit le but où votre orgueil aspire, Voilà le dernier terme !... -- Oh ! l'empire ! l'empire ! Que m'importe ! j'y touche, et le trouve à mon gré. Quelque chose me dit : Tu l'auras ! -- Je l'aurai. -- Si je l'avais !... -- Ô ciel ! être ce qui commence ! Seul, debout, au plus haut de la spirale immense ! D'une foule d'états l'un sur l'autre étagés Être la clef de voûte, et voir sous soi rangés Les rois, et sur leur tête essuyer ses sandales ; Voir au-dessous des rois les maisons féodales, Margraves, cardinaux, doges, ducs à fleurons ; Puis évêques, abbés, chefs de clans, hauts barons ; Puis clercs et soldats ; puis, loin du faîte où nous sommes, Dans l'ombre, tout au fond de l'abîme, -- les hommes. -- Les hommes ! c'est-à-dire une foule, une mer, Un grand bruit, pleurs et cris, parfois un rire amer, Plainte qui, réveillant la terre qui s'effare, À travers tant d'échos nous arrive fanfare ! Les hommes ! -- Des cités, des tours, un vaste essaim, -- De hauts clochers d'église à sonner le tocsin ! -- Rêvant. Base de nations portant sur leurs épaules La pyramide énorme appuyée aux deux pôles, Flots vivants, qui toujours l'étreignant de leurs plis, La balancent, branlante à leur vaste roulis, Font tout changer de place et, sur ses hautes zones, Comme des escabeaux font chanceler les trônes, Si bien que tous les rois, cessant leurs vains débats, Lèvent les yeux au ciel... Rois ! regardez en bas ! -- Ah ! le peuple ! -- océan ! -- onde sans cesse émue, Où l'on ne jette rien sans que tout ne remue ! Vague qui broie un trône et qui berce un tombeau ! Miroir où rarement un roi se voit en beau ! Ah ! si l'on regardait parfois dans ce flot sombre, On y verrait au fond des empires sans nombre, Grands vaisseaux naufragés, que son flux et reflux Roule, et qui le gênaient, et qu'il ne connaît plus ! -- Gouverner tout cela ! -- Monter, si l'on vous nomme, À ce faîte ! Y monter, sachant qu'on n'est qu'un homme ! Avoir l'abîme là !... -- Pourvu qu'en ce moment Il n'aille pas me prendre un éblouissement ! Oh, d'états et de rois mouvante pyramide, Ton faîte est bien droit ! Malheur au pied timide ! À qui me retiendrais-je ? -- Oh ! si j'allais faillir En sentant sous mes pieds le monde tressaillir ! En sentant vivre, sourdre, et palpiter la terre ! -- Puis, quand j'aurai ce globe entre mes mains qu'en faire ? Le pourrai-je porter seulement ? Qu'ai-je en moi ? Être empereur, mon Dieu ! j'avais trop d'être roi ! Certes, il n'est qu'un mortel de race peu commune Dont puisse s'élargir l'âme avec la fortune. Mais, moi ! qui me fera grand ? qui sera ma loi ? Qui me conseillera ? Il tombe à deux genoux devant le tombeau. Charlemagne ! c'est toi ! Source : Hugo (Victor), Hernani, 1830. Microsoft ® Encarta ® 2009. © 1993-2008 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
hugo

« Quand ils sortent, tous deux égaux, du sanctuaire, L’un dans sa pourpre, et l'autre avec son blanc suaire, L'univers ébloui contemple avec terreur Ces deux moitiés de Dieu, le pape et l'empereur. — L'empereur ! l'empereur ! être empereur ! — Ô rage, Ne pas l’être ! — et sentir son cœur plein de courage ! — Qu'il fut heureux celui qui dort dans ce tombeau ! Qu'il fut grand ! De son temps, c'était encor plus beau. Le pape et l'empereur ! ce n'était plus deux hommes. Pierre et César ! en eux accouplant les deux Romes, Fécondant l'une et l'autre en un mystique hymen, Redonnant une forme, une âme au genre humain, Faisant refondre en bloc peuples et pêle-mêle Royaumes, pour en faire une Europe nouvelle, Et tous deux remettant au moule de leur main Le bronze qui restait du vieux monde romain ! Oh ! quel destin ! — Pourtant cette tombe est la sienne ! Tout est-il donc si peu que ce soit là qu'on vienne ? Quoi donc ! avoir été prince, empereur et roi ! Avoir été l'épée, avoir été la loi ! Géant, pour piédestal avoir eu l'Allemagne ! Quoi ! pour titre césar et pour nom Charlemagne ! Avoir été plus grand qu'Hannibal, qu'Attila, Aussi grand que le monde !… — et que tout tienne là ! Ah ! briguez donc l'empire, et voyez la poussière Que fait un empereur ! Couvrez la terre entière De bruit et de tumulte ; élevez, bâtissez Votre empire, et jamais ne dites : C'est assez ! Taillez à larges pans un édifice immense ! Savez-vous ce qu'un jour il en reste ? ô démence ! Cette pierre ! Et du titre et du nom triomphants ? Quelques lettres, à faire épeler des enfants ! Si haut que soit le but où votre orgueil aspire, Voilà le dernier terme !… — Oh ! l'empire ! l’empire ! Que m'importe ! j'y touche, et le trouve à mon gré. Quelque chose me dit : Tu l'auras ! — Je l'aurai.

— Si je l’avais !… — Ô ciel ! être ce qui commence ! Seul, debout, au plus haut de la spirale immense ! D'une foule d'états l'un sur l’autre étagés Être la clef de voûte, et voir sous soi rangés Les rois, et sur leur tête essuyer ses sandales ; Voir au-dessous des rois les maisons féodales, Margraves, cardinaux, doges, ducs à fleurons ; Puis évêques, abbés, chefs de clans, hauts barons ; Puis clercs et soldats ; puis, loin du faîte où nous sommes, Dans l'ombre, tout au fond de l'abîme, — les hommes. — Les hommes ! c'est-à-dire une foule, une mer, Un grand bruit, pleurs et cris, parfois un rire amer, Plainte qui, réveillant la terre qui s'effare, À travers tant d'échos nous arrive fanfare ! Les hommes ! — Des cités, des tours, un vaste essaim, — De hauts clochers d'église à sonner le tocsin ! — Rêvant. Base de nations portant sur leurs épaules. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles