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Il est de jurisprudence constante que la liberté est la règle et les restrictions de police, l'exception, commentez

Publié le 05/12/2010

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« Être libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. « [ Nelson Mandela ]

 

On pourrait associer de trait d'esprit de Neslon Mandela avec l'article 4 de notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui dispose que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui « ; l'idée de liberté apparaît alors comme un droit de l'homme inaliénable de chaque citoyen, de notre société, mais également de notre droit français.

 

Cependant, à l'instar du grand qui s'oppose au petit, du fort au faible, la liberté s'oppose à la restriction, ces deux notions sont ainsi antonymes, de plus si la liberté appartient à tous, le pouvoir de restreindre semble être détenu par l'Administration et plus précisément par la police administrative. Le mot police vient du grec Polis qui signifie cité, mais également démocratie, aujourd'hui la police est encore polysémique, dans le langage commun il fait référence à l'action des forces de l'ordre, alors qu'il peut également se rapporter aux compétences de certaines autorités publiques telles que le maire qui détient la « police municipale «. C'est ce dernier sens que nous retiendrons ici, car ce sont ces autorités administratives qui sont compétentes pour édicter des restrictions. Ces autorités administratives sont aussi nombreuses que diverses et possèdent soit un pouvoir de police général à l'instar du premier ministre, des préfets ou des maires ; soit un pouvoir de police spéciale tel que les ministres, les organes exécutifs des établissements publics de coopération intercommunale, quelques Autorités administratives indépendantes, etc.

 

S'il apparaît que ces autorités administratives sont dans l'obligation d'émettre des mesures de police dans la mesure où le maintien de l'ordre public nécessite  une obligation d'action de l'Administration, garante de celui-ci. De plus, les mesures de police édictée par ces autorités semblent devoir se conformer à la procédure applicable sous peine d'être illégales.

 

Il ne faut pourtant pas croire que l'Administration n'a aucune limite quant aux mesures qu'elle peut prendre, en effet même si ces mesures de police sont importantes, les dangers qu'elles peuvent faire courir aux libertés supposent qu'un contrôle juridictionnel puisse exister. Ce contrôle est alors assuré par le juge administratif en général et exceptionnellement par le juge judiciaire dans le cadre de l'exception d'illégalité, cette dernière situation reste cependant assez rare.

 

Dans une conclusion sur l'arrêt Baldy du Conseil d'État du 17 août 1917, le commissaire du gouvernement Corneille ressorti le principe selon lequel « la liberté est la règle, la restriction de police l'exception «, la liberté apparait alors comme le principe fondamental régissant la vie de tous et la restriction de police comme une « dérogation « à ce principe.

 

On peut trouver les prémices de ce principe dans un arrêt du Conseil d'État daté du 19 février 1909 : l'arrêt Abbé Olivier. Dans cette espèce, le maire de Sens avait pris, le 1er septembre 1906, un arrêté interdisant « toutes manifestations religieuses et notamment celles qui ont lieu sur la voie publique à l'occasion des enterrements «. L'abbé Olivier avait alors contrevenu à cet arrêté, il fût poursuivi et contesta ainsi l'arrêté municipal. Le Conseil d'État saisi de la légalité de ce dernier posa alors un principe général encore d'actualité aujourd'hui qui dispose que « le maire ne peut édicter une telle réglementation que sur la base de considérations locales d'ordre public. «, en l'espèce aucune situation locale ne justifiait cette interdiction, il en suivit l'annulation de l'arrêté. On comprend alors de cet arrêt qu'une considération d'Ordre public nécessaire à tout acte administratif dans la mesure pour l'Administration est garante de cet Ordre public.

 

Après énumération de cet arrêt, il apparaît alors intéressant de commenter ce principe comme quoi « la liberté est la règle et les restrictions de police, l'exception «, de comprendre son fondement tout en mesurant sa portée.

 

Nous conviendrons alors que cette formule est née de la combinaison faite de l'attachement français aux principes mis en avant par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais également de la nécessité de fait naissant de la notion d'ordre public ( I ) ; mais qu'elle donne à son tour naissance à certaines notions juridiques ( II ).

 

   I. De l'attachement de l'État français aux libertés à la nécessité du maintien de l'Ordre public

 

Comme nous l'avons déjà abordé, la notion de liberté est à la base de l'État français tel que nous le connaissons, on peut évidemment raccourcir l'histoire en évoquant la soif de liberté des bourgeois du 18e siècle qui mena à la Révolution française de 1789 et dans le même temps à l'édiction de la fameuse Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il apparaît alors que la notion de liberté revêt un caractère « inaliénable « ( A ) qui doit cependant être concilié avec la nécessité du maintien de l'Ordre public ( B ).

 

         A. Le fondement de la supériorité des libertés aux restrictions de police

 

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. « ( Article 2 DDHC 1789 ) tel que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui « ( Article 4 DDHC 1789 ). Les libertés individuelles sont alors reconnues, définies et protégées par la prestance et la constitutionnalité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ces droits individuels assurent alors à l'individu qui les détient, une certaine autonomie en face du pouvoir dans les domaines de l'activité physique tels que la sûreté personnelle, la liberté d'aller et venir, la liberté et l'inviolabilité du domicile ; de l'activité intellectuelle et spirituelle telle que la liberté d'opinion, de conscience ou encore la liberté de culte et de l'activité économique telle que le droit de propriété ou encore la liberté du commerce et de l'industrie.

 

Ce sont ces droits individuels qui sont alors la « règle « qui s'oppose à « l'exception « des mesures de police, cette supériorité s'explique simplement par l'assise de telles libertés dans notre État de droit. Ces libertés se rapprochent alors de la notion de l'Ordre public telle que nous la connaissons,  et même si « la notion d'ordre public ne se comprend que par son contraire « [ Philippe Malaurie ], on peut cependant mettre en avant les principaux buts de cette notion.

 

Dans un ordre matériel, on retrouve la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique qui sont toutes trois consacrées par l'article L. 2212-2 du CGCT et qui dispose que la « police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique «. D'abord, la sécurité et la sûreté sont indissociables, elles se combinent dans le but de garantir les libertés individuelles, la notion de sureté tend à garantir les individus contre l'État, il s'agit d'éviter des actions ou des décisions portant atteinte à des libertés individuelles, c'est-à-dire éviter des voies de fait tandis que la sécurité vise quant à elle les individus vis-à-vis des autres individus. Ensuite, la tranquillité publique renvoie à certains comportements individuels ou collectifs pouvant être à l'origine de troubles, de désagrément à l'ordre public. Enfin, la salubrité publique renvoie à l'hygiène et la santé publique.

 

Outre cet ordre matériel, on pourrait retirer de la notion d'ordre public un ordre moral qui peut être confondu avec les « bonnes mœurs «, on cite généralement un arrêt de section rendu par le Conseil d'État daté du 18 décembre 1959 ( Société « les films Lutétia « ) où la haute juridiction dicta qu'un maire pouvait « interdire à raison du caractère immoral «. De même, le Conseil d'État dans un arrêt du 21 octobre 1991 ( Morsang-sur-Orge ) intégra à la notion d'ordre public celle de la « dignité de la personne humaine «.

 

Il apparaît cependant que ces deux dernières notions ont été mises en exergue par le juge administratif dans le but de restreindre des libertés, on peut alors se demander dans l'optique d'un Ordre public, gardien des libertés individuelles, pourquoi ce dernier contribue à  restreindre certaines libertés telles que la liberté de diffusion des films dans l'arrêt du 18 décembre 1959.

 

         B. Le paradoxe : la restriction garantissant la liberté

 

Nous venons d'évoquer que si l'Ordre public permet de garantir les libertés individuelles, il peut également être la justification de restrictions liberticides. On pourrait l'expliquer en citant encore une fois l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui indique qu'il n'y a pas qu'une liberté « globale «, mais bel et bien des libertés dont chacun dispose comme il le souhaite dans la limite des libertés d'autrui.  Ainsi, l'Ordre public n'apparait pas comme le gardien de la liberté, mais réellement comme le gardien des libertés de toutes et tous, dans l'objectif de l'intérêt général. C'est pour cette raison que la police administrative dispose du moyen d'interdire.

 

Si l'« interdiction « a toujours créé de la crainte chez l'homme, la restriction de libertés le révolte. Cependant, il est ici intéressant de rappeler le principe qui nous intéresse ici :  « la liberté est la règle et les restrictions de police, l'exception «, c'est seulement sous cette contrainte que la police administrative dispose de ce pouvoir de restriction. La liberté étant la règle, l'interdiction lui faisant grief doit être justifiée, c'est-à-dire que la restriction nécessite un péril de l'Ordre public afin d'être mise en place, cela signifie que la restriction d'une liberté n'est possible que pour garantir une autre liberté. A contrario, on peut retenir que s'il n'existe aucune menace à l'ordre public, l'administration ne pourra légalement pas agir. Il faut alors envisager la mesure de police non pas comme un acte purement négatif, mais comme un acte ayant un objectif positif utilisant des moyens négatifs comme la privation de libertés.

 

On pourra dès lors parler de l'extension exceptionnelle que peuvent prendre les pouvoirs de police lorsque la notion d'ordre public est perturbée. Ainsi, lorsque l'état de siège, c'est-à-dire « en cas de péril imminent résultant d'une guerre étrangère ou d'une insurrection à main armée, ou alors l'état d'urgence est déclaré, les pouvoirs de l'Administration sont décuplés et l'ordre public s'en retrouve par là même chamboulé. Les libertés qui sont normalement garanties pourraient alors être menacées. Outre ces textes législatifs spéciaux, le juge administratif a été l'auteur de ce que l'on a nommé la jurisprudence des « circonstances exceptionnelles «, par exemple dans un arrêt du 28 juin 1918 (  Heyriés ), le Conseil d'État a reconnu, en raison des circonstances exceptionnel de la guerre, la légalité d'un décret présidentiel portant sur la suspension de l'application d'une loi.

 

Il serait cependant faux de penser que ces décisions échappent au contrôle juridictionnel, même si sa portée réelle dans des situations de crise exceptionnelle est réduite, il y a toutefois un contrôle qui applique encore et toujours le principe de proportionnalité des mesures de police...

 

  II. La portée réelle du principe, « la liberté est la règle, la restriction l'exception «

 

Le fait que « la liberté soit la règle et la restriction de police, l'exception « emporte deux choses, tout d'abord ce principe fait naitre une nécessité de proportionnalité examinée par le juge administratif entre la liberté attaquée et la restriction ( A ), ensuite ce principe donne également naissance à une « interdiction d'interdire « de façon générale et absolue ( B ).

 

         A. La nécessaire proportion entre la liberté attaquée et la restriction

 

Afin que la mesure de police prise par l'autorité compétente soit légale, le juge après avoir vérifié que la mesure contestée a bien été prise en vue du maintien de l'ordre public, va d'abord examiner la nécessité de l'interdiction, il va alors examiner si les troubles susceptibles d'être provoqués par une réunion publique sont d'une gravité telle que l'ordre public ne pouvait être maintenu que par son interdiction. L'illustration classique de ce procédé est l'arrêt du 19 mai 1933 ( Benjamin ) où M. Benjamin, un conférencier d'extrême droite avait publié un ouvrage, il tenait des conférences pour faire sa publicité. En raison de sa position politique, il était controversé et ses réunions étaient source de troubles publics. Benjamin devait alors tenir une conférence à Nevers et le maire de cette dernière décida d'interdire la tenue de la conférence. M. Benjamin contesta cette décision, le Conseil d'État dit alors que « dans le cas d'espèce le Maire de Nevers aurait pu maintenir l'ordre public sans interdire la réunion, la décision par laquelle il avait interdit celle-ci était illégale, car disproportionnée. «, le maire aurait pu simplement déployer des forces de police.

 

De plus, la légalité de la mesure de police est subordonnée à une proportion entre l'ordre public protégé et la liberté attaquée ; alors, le juge examine si l'ordre public n'aurait pas pu être maintenu « par une mesure moins rigoureuse « ou « moins contraignante et d'une moindre portée «, ou bien que la mesure « n'excède pas les précautions nécessaires « au maintien de l'ordre public. Alors, on peut donner en exemple de cette obligation de proportionnalité la légalité accordée par le Conseil d'État à une interdiction de manifester dans certaines rues ( 21 janvier 1966 : Legastellois ). On peut alors rappeler ce que nous avons précédemment abordé, c'est-à-dire l'impact des circonstances sur ce principe qui dit que « la liberté est la règle, la restriction de police l'exception «, la restriction apparaît alors comme dépendante des circonstances dans sa légalité, et essentiellement soumise à l'appréciation du juge administratif.

 

Afin d'apprécier la nécessité, le juge va mettre « en balance « divers facteurs, il va alors apprécier l'ordre ou plutôt l'intensité des menaces qui pèsent sur celui-ci, la mesure se retrouve ainsi illégale si aucune menace précise n'existe et ensuite, il va s'intéresser aux libertés, c'est-à-dire l'importance de la liberté mise en cause et le degré d'atteinte qui y est porté. À l'issue de cette étude, il mettra en balance les aspects positifs ( sauvegarde de l'Ordre ) et négatifs ( atteinte aux libertés ) de la mesure. Il faut alors réaliser « le dosage méticuleux des sacrifices « selon la forme du commissaire du gouvernement Teissier dans ses conclusions sur l'arrêt du 5 juin 1908.

 

Il faut cependant remarquer que le juge détermine non pas si l'acte en question était une des décisions possibles, mais seulement la mesure nécessaire. La privation de liberté reste alors l'exception, la « roue de secours «, le « dernier espoir ”… Elle doit alors assurer le meilleur équilibre entre les coûts et les avantages. Il faut également noter que les mesures de police doivent également respecter le droit de la concurrence, et donc ne pas avantager certaines entreprises plutôt que d'autres.

 

Outre ce conditionnement extrême de l'utilisation de mesure de police privatrice de libertés, le principe qui nous intéresse aujourd'hui ouvre également une seconde conséquence dont nous nous sommes déjà rapprochés sans nous en rendre compte : c'est l'« interdiction d'interdire « de façon générale et absolue.

 

         B. L'« interdiction d'interdire « de façon générale et absolue

 

La notion de proportion que nous venons d'évoquer qui donne à toute mesure disproportionnée un caractère illégal tend à nous faire penser que, en l'absence de circonstances très graves, sont impossible les mesures d'interdiction générale et absolue, car elles n'apparaissent, par définition, pas proportionnées. C'est en ce sens que le caractère général et absolu est fréquemment relevé à l'appui de la déclaration de son illégalité par exemple l'arrêt d'Assemblée du Conseil d'État daté du 22 juin 1951 ( Daudignac ) où un arrêté du Maire portant interdiction générale du photofilmage dans la ville de Mautauban avait été pris, le Conseil d'État avait alors soutenu que l'arrêté était entaché d'excès de pouvoir.

 

À l'inverse, certains arrêts précisent dans un but de reconnaissance de légalité d'une mesure de police que l'interdiction édictée n'est « ni générale, ni absolue «, en ce sens il faudra s'intéresser à un arrêt de section du Conseil d'État du 6 janvier 1997 ( Soc. AS Conseil Formation ) où l'absence de caractère absolu avait été accordé à des mesures de police prononçant la suspension, provisoire par nature, d'une activité.

 

Il ne faut cependant pas en conclure qu'une interdiction « générale et absolue « est illégale du seul fait qu'elle est générale et absolue et inversement bien sûr, une interdiction « précise « pourra être illégale comme nous l'avons déjà abordé. Le juge devra alors se rapporter aux faits d'espèce afin d'apprécier si l'interdiction est trop générale et absolue au regard du système de la « balance « que nous avons déjà évoqué. Le terme de « général et absolue « se retrouve alors mouvant et laissé à l'appréciation seule du juge administratif.

Une nuance doit cependant être apportée ici, parfois le danger est si important que le contenu de la mesure de police peut être extrêmement poussé et sévère. Alors, en raison de l'atteinte à la dignité humaine, l'interdiction totale du lancer de nain est légitime alors qu'il s'agit d'une mesure très restrictive ( CE 27 octobre 1995 : Commune de Morsang-sur-Orge ).

 

Toutefois, il faudra s'arrêter sur le fait que les interdictions générales et absolues, ou trop générales et absolues, sont suspectes d'illégalité, on retrouve alors cette formule qui a guidé nos mots : « la liberté est la règle, la restriction l'exception «.

 

D'ailleurs, cette maxime nous pousse à penser que l'Administration étant garante de cette règle, de son respect, et étant la seule à pouvoir appliquer les restrictions ( non sans contrôle, évidemment ), il se peut que la personne publique se retrouve alors dans l'obligation d'agir afin de protéger ces libertés, même si elle risque parfois d'en restreindre d'autres...

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