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Indifférence Et Liberté

Publié le 22/09/2010

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L’indifférence est appelée communément l’absence de choix ou l’absence d’un intérêt marqué pour une chose ou une autre. Il y a une forme d’égalité sur une balance imaginaire où tous les motifs se valent. C’est la règle du pareil au même. C’est un principe que Jodoin a à cœur. Descartes, dans le Discours de la méthode, ne dit pas textuellement que l’homme est indifférent là où il manque de connaissances mais plutôt que moins il aura de raisons le poussant à choisir, plus il sera indifférent. Le plus bas degré de liberté est bel et bien l’indifférence. Un des slogans clamé par l’équipe au pouvoir dans 1984 (Orwell),Big Brother, n’est-il pas «L’ignorance, c’est la force« ?

Par peur de se tromper, Jodoin se taira. «Je dis peut-être : car il y a du pour et du contre.« Il n’y a que ceux qui connaissent la vérité qui ne se trompent jamais. Et puisque Jodoin sait ne pas la connaître, il préfère se dérober. Jodoin est indifférent. Il est l’homme du «peu importe«. Peut-être ne l’a t-il pas toujours été, mais aujourd’hui, il l’est affreusement. Nombre de ses paroles corroborent ce fait : «Je lui répondis que ça m’était égal pourvu qu’il n’y eut rien à faire.«, «Je lui ai répondu qu’il connaissait mieux que moi les besoins de sa clientèle et que je n’avais par conséquence pas d’opinion à ce sujet.«, «[…] la seule opinion que je pouvais émettre puisque je n’avais pas examiné en détail son stock de livre.«, «Je lui avouai que je manquais d’esprit d’observation et que je refusais de porter un jugement sur tout édifice, à moins de l’avoir vu quelques douzaines de fois.«, «J’ajoutai toutefois que j’étais fort mauvais juge en cette matière.«, «Je n’aurais pas osé porter un jugement là-dessus.«, etc. L’obscurité et la confusion cautionnent l’indifférence. Jodoin parle toujours d’hypothèses, d’arguments, de logique, de raison« et d’opinions mais ne prend pas clairement position.

La déresponsabilisation de Jodoin peut être interprétée comme son refus à vouloir payer le prix de la liberté : «Pourvu qu’on ne soit pas libre. […] pourvu qu’un devoir vous force à rester en place.« Jodoin démissionne d’un système et s’abandonne à vivre une vie médiocre. Même s’il écrit un journal personnel, il ne diffuse ni ses opinions ni ses impressions; nous lisons le journal seulement dix ans après son écriture. Une autre devise de Big Brother est non sans hasard «La liberté, c’est l’esclavage«. Retiré en lui-même, Jodoin se met à l’abri de toutes obligations, se cachant derrière sa casquette, avec une grande visière opaque. Assis entre deux chaises, sur son tabouret à la librairie ou à la taverne, il n’ose bouger au risque de tomber… voire voler. La taverne où viennent biberonner les gens est comme les losanges dispensateurs de sommeil (Fahrenheit 451, Bradbury), ou le soma (Le meilleur des mondes, Huxley). Elle témoigne davantage d’une société de la diversion que du réel divertissement. «En apparence, nulle pression extérieure ne s’exerce donc sur moi.« Chez Trefflé a comme avantage de n’être pas très loin de l’endroit où Jodoin demeure, pas très loin de son lit. Il existe une métaphore qui compare le sommeil, l’engourdissement alcoolique et la torpeur des individus comme somnolents et qui ne prennent pas conscience des magouilles qui se passent sous leur nez. Hervé semble presque aveugle, «Quant à mes ses dons d’observations, je les estime à peu près nuls.« «Tu dors ou quoi ? Réveille-toi donc!«

À l’image de sa province paralysée et de la serveuse du café complètement niaise, Jodoin a de la difficulté à admettre qu’il puisse y avoir une différence entre stagnation et stabilité. Différence notable pourtant. Le mot clé dans l’existence de Jodoin est complaisance; il vit en dessous de ses moyens et ne s’en trouve pas plus mal. La richesse de son vocabulaire, l’envergure de sa culture et ses tirades érudites le trahissent. Si la connaissance est directement proportionnelle à la liberté, Jodoin est libre, mais seulement en théorie, dans le silence de son orgueil. Son manque d’ambition lui vaut son petit pain, lequel semble le satisfaire pleinement. Il ira jusqu’à se mépriser, se négliger, perdre toute estime de soi : «Je me considérais moi-même comme plutôt fini, en ce sens que je n’espérais plus atteindre à une quelconque réussite intellectuelle, sociale, pécuniaire ou simplement matrimoniale…« Son manque de goût marqué pour le changement témoigne d’une pulsion de mort ou plutôt d’un décret mortifère où il trouve asile. Il répète sans cesse «J’y serais resté indéfiniment.«, «Je déteste les déplacements.«, «Je ne me sens guère le goût de me déplacer encore une fois.« Il a la certitude que les choses resteront comme elles le sont maintenant, que rien ne changera. Le Hervé désillusionné est devenu un fanatique de l’équilibre, des habitudes et de la redondance. Il doit impérativement combattre le changement. Si le temps sème le changement, il lui suffit d’arrêter le temps. «Il s’agit de tuer le temps« Jodoin semble d’ailleurs toujours las, fatigué, aux limites de la lenteur et de l’immobilité : «Quand je dis que je ne fais rien, je veux dire que je ne bouge pas.« Souvenons-nous que c’est son manque d’argent qui motive sa recherche d’emploi et non quelque ambition personnelle. C’est pourtant le journal qui remporte la palme du meilleur tueur de temps. La longueur des phrases sème la répétition des gestes quotidiens comme celle d’un disque trop usé qui saute. Hervé est à l’image de la révolution, il est plus que tranquille : «J’avais pu garder mon équanimité.« Ce n’est pas sa lâcheté apparente qui fait de lui un anti-héros. Il refuse d’obtempérer, certes, mais en douce. Sa mollesse s’exprime justement cette subversion trop silencieuse. Peut-être croit-il que les circonstances le disculpent.

L’immuabilité du corps de Jodoin, de son esprit et de son ambition pourrait bien se lire à un degré supérieur. Il existe une forme d’acceptation pacifique chez Jodoin qui n’est pas sans rappeler celle de la décennie 50-60 et de sa génération cotonneuse. «Je ne regrette pas mon refus. La chambre que j’occupe me satisfait pleinement. Elle n’est pas grande, mais quelle importance ?« «Mais quand on est trop las pour marcher loin […], alors tuer le temps devient un problème sérieux.« Tout se situe au niveau de l’acceptation passive d’une situation qu’il n’a pas choisie. De même qu’il accepte et s’habitue à l’odeur fétide de la bouche d’air chaud ou à la quantité de bière qu’il ingurgite.

 

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