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jacques RIVIÈRE (1885-1925) L'idéal du roman d'aventure en 1913

Publié le 15/01/2018

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jacques RIVIÈRE (1885-1925)

L'idéal du roman d'aventure en 1913

Jacques Rivière définisait, à la veile de la première guerre mondiale, un idéal du roman qui eut un retentissement considérable. Après une littérature symboliste, alu­sive et subjective, le roman moderne devait retrouver la vérité de la vie. Le texte sur «Le Roman d'aventure» parut dans la Nouvelle Revue Française de 1913 avant d'être repris en volume.

Mais il est temps de revenir au roman. Cette discrétion intérieure, qui semble s'imposer aujourd'hui à tous les arts, comment y saura-t-il satisfaire ? En quoi consistera son épanouissement ? - En ceci que tous les états, toutes les impressions, tous les moments musicaux, y seront résolus en faits, en actes, en paroles. Les rares œuvres de forme romanesque que le symbolisme nous a laissées, sont pleines de passages tout poétiques, pareils à la vibration des cloches et au bourdonnement, après qu'elles se sont tues, de l'air ébranlé. De temps en temps, l'auteur suspend son récit et s'installe dans une sorte d'émotion, dans un milieu d'ondes et de frémissements; 0n ne sait plus ce qui se passe pendant ce temps ; ce n'est qu'un bruit à nos oreilles ; objets, événements, sentiments, tout est confondu à nouveau et forme une vague et tournante symphonie; le lecteur se sent placé au cœur d'une foule de choses invisibles dont il ne perçoit que l'agitation. Mais c'est ce que nous ne pouvons plus accepter; nous demandons au roman nouveau de remettre entre nos mains ses richesses toutes monnayées ; de la fleur confuse et har 

 

monieuse qu'on nous donnait à respirer, nous voulons qu'on fasse sortir mille petites graines dures et séparées. Cartes sur table : je veux tout voir. Je saurai bien vous dire ensuite si c'est émouvant. Mais distribuez d'abord, je vous en prie, en dialogues, en rencontres, en visites, en lettres, en montées et descentes d'escaliers, en incidents de trottoir, en hasards de coins de rue, toutes ces belles impressions que vous voudriez me communiquer directement. Faites crever ces nuées, si séduisantes pour vous, mais que je veux ne connaître qu'en pluie. Rien ne doit passer sans intermédiaire de vous à moi; nous ne sommes plus complices; il y a quelque chose entre nous; votre voix ne porte pas assez loin pour m'atteindre; il faut que vous m'écriviez et que vous transformiez en petites lettres noires et distinctes ce que vous eussiez aimé à me livrer par un simple signe, à me jeter d'une seule fois tout droit dans l'âme. Je ne recevrai rien de vous, tant que vous serez là ; je ne prendrai que ce que vous aurez laissé. Il faut que votre imagination s'abaisse jusqu'à sentir les fissures que lui imposera la réalité, jusqu'à ce qu'elle craque et s'émiette ; il faut qu'elle s'approche des choses jusqu'à ce qu'elle soit envahie par la gêne et l'obligation, jusqu'à ce que remonte en elle le malaise et l'humi¬lité du détail. Dans l'œuvre qu'enfin vous me présenterez, je veux ne plus trouver trace des plaintes de votre cœur, de vos mélancolies, ni de vos élans et n'avoir affaire qu'à des événements.

En d'autres termes la parfaite actualisation d'un roman, c'est sa par-faite activité. Quand il est en acte, c'est quand il n'est plus composé que d'actions. Plus aucune place pour le rêve, ni pour les décors immobiles; tous les éléments travaillent. L'œuvre est pareille à ces machines où rien ne dort et qui, sitôt qu'elles sont en marche, semblent n'être plus faites, au lieu de matière, que d'innombrables fonctions. L'exemple qu'il faut alléguer ici. c'est celui des romans de Daniel de Foë.

Nouvelles Études, Gallimard, 1947, pp. 263-265

« monieuse qu'on nous donna it à respirer, nous voulons qu'on fasse sortir mille petites graines dures et sépar ées.

Cartes sur table : je veux tout voir.

Je saurai bien vous dire ensuite si c'est émouvant .

Mais distribuez d'abord, je vous en prie, en dialogues, en rencon tres, en visites, en lettres, en mon tées et desc entes d'escaliers, en inciden ts de trottoir, en has ards de coins de rue, tou tes ces belles impressi ons que vous voud riez me com muniquer directement.

Faites crever ces nuées, si séduisantes pour vou s, mais que je veux ne conna ître qu'en pluie.

Rien ne doit passer sans intermédia ire de vou s à moi; nou s ne sommes plus complices ; il y a quel que chose entre nous ; votre voix ne po rte pas assez loin pour m'attei ndre ; il faut que vous m'é criviez et que vous transformiez en petites lettres noires et distinctes ce que vous eussiez aimé à me livrer par un simp le signe, à me jeter d'une seule fois tout droit dans l'âme .

Je ne recev rai rien de vou s, tant que vous serez là; je ne pren drai que ce que vous aurez laissé.

Il faut que votre imagination s'aba isse jusq u'à sen tir les fissures que lui imposera la réalité, jusqu' à ce qu'elle craque et s' émiette ; il faut qu'elle s'approche des choses jusqu' à ce qu' elle soit envahie par la gêne et l'obligation, jusq u'à ce que remon te en elle le malaise et l'hum i­ lité du détail.

Dans l'œuvre qu'enfin vous me présenterez, je veux ne plus trou ver trace des plaintes de votre cœur, de vos mélanco lies, ni de vos élans et n'a voir affaire qu'à des événemen ts.

En d'autres termes la parfaite actualisation d'un roman, c'est sa par­ faite activité.

Quand il est en acte, c'est quand il n'est plus composé que d' act ions .

Plus aucune place pour le rêve, ni pour les décor s imm obiles; tous les éléments travaillent.

L'œuvre est pareille à ces mach ines où rien ne dor t et qui, sitôt qu'elles sont en marche, semblent n'être plus faites, au lieu de matière, que d'inno mbrables fonctions.

L'exemple qu'il faut alléguer ici.

c'est celui des roma ns de Daniel de Foë.

Nouvelles Études, Gallimard, 1947, pp.

263-265. »

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