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Jean Echenoz, 14

Publié le 15/06/2014

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14 est un roman de Jean Echenoz paru le 4 octobre 2012 aux éditions de Minuit. Né en 1947, Echenoz est un écrivain et romancier français. Après sa fabuleuse trilogie de romans biographiques, Jean Echenoz revient avec un court roman époustouflant qui a pour toile de fond la Première Guerre Mondiale. On y découvre une galerie de personnages dont un certain Anthime et son frère, tous les deux amoureux de la même femme qui attendra avec impatience l'heure de leur retour dans ce petit village vendéen. Mais voilà que la guerre est une affaire un peu plus sérieuse, un peu plus dangereuse et un peu plus compliquée qu'elle ne le paraissait aux yeux de cette joyeuse troupe. Dans cet extrait, Arcenel apparaît comme une victime de la guerre. En effet, il va être exécuté pour un crime qu'il n'a pas voulu commettre et il va donc assisté impuissant à sa propre mort. Echenoz nous dresse à travers cet extrait une scène réaliste où Arcenel va servir d'exemple. I. Un compte-rendu (scène réaliste) et une critique de la guerreA) Les indices spatio-temporels Qui raconte ?-> Un narrateur apparemment absent qui prend en charge le récit + jugements dévalorisants sur la guerre (peu d'adjectifs, pas de pathétique, précision du vocabulaire) Ligne 7 : « Là », adv de lieu cf Somme Suippe (p 97) = promenade d'ArcenelLigne 63 : « dans la clairière » Ligne 43 : « le cantonnement » = le fonctionnement de l'armée Ligne 44 et 45 : « la remise à pompe » = les lieux publics et privés mis au service des militaires, réquisition Ligne 48 : « L'école du village », «  la plus grande salle de classe » = un village en temps de guerre qui devient un tribunal (contradiction) Ligne 82 : « la grande ferme de Suippe », « la butte de tir » Au printemps, un matin (p 97) Arcenel a été arrêté en début d'après-midi « il a passé le reste du jour et de la nuit » Ligne 46 : « le lendemain matin, devant le conseil de guerre » Ligne 74 : « la sentence était applicable dans les 24 heures » Ligne 91 : « le lendemain », ligne 99 : « puis, après le coup de grâce » date de l'exécution. -> Tout se déroule rapidement pour décider de la vie d'un homme, justice expéditive. B) Les protagonistes « On » ( ligne 1, 6, 48 et 84) désignent les gendarmes et les militaires qui ne sont jamais individualisés (un groupe et une fonction) Les gendarmes :« Les gendarmes, on les détestait presque autant sinon plus que les types d'en face (périphrase désignant les allemands) » ligne 12 = la peur et la haine qu'inspirent les gendarmes au moyen de cette comparaison (degrés, comparaison dévalorisante) -> Intention d'Echenoz de témoigner sur la grande guerre et révéler une réalité passée sous silence. Ils sont omniprésents et tout-puissants : dans les combats (ligne 17) et dans la vie civile (« Ils avaient pris le contrôle de tout » ligne 21-22, « assurant la police... ») Ils ont un rôle précis, renforcer le pouvoir des militaires « -éviter que le soldat se défile et veiller à ce qu'il aille bien se faire tuer comme il faut- » (ligne 15 à 17) = 2 phrases nominales en parataxe, commentaire d'auteur, jugement dévalorisant et ironique (opp sens positif des verbes à l'infinitif avec la critique, effet de décalage).« briser les mouvements de panique et enrayer les replis spontanés » (ligne 17 et 18) = fonction répressive et malsaine + désaveu de l'armée pour assurer l'ordre. Les hommes sont pris dans une souricière (destinée inévitable, affronter leur destin, commentaire d'auteur).Ils ont aussi un rôle de maintien de l'ordre « Charger de vérifier les titres des permissionnaires » (ligne 28), « Traquaient aussi les retardataires, ivrognes et émeutiers, espions et déserteurs » (ligne 38) = énumération, animalisation des soldats, dénaturation, emploi du pluriel qui soulignent l'horreur de la guerre et le refus de se battre et d'obéir. Ils jouent aussi un rôle dans la vie civile : « surveiller tout ce qui tentait de franchir les limites imparties aux unités » (pronom indéfini dévalorisant qui désigne « les épouses et les putes » + « les commerçants de toute sorte ») : ils forment une barrière infranchissable qui empêche de franchir la ligne de front dans un sens ou dans l'autre. « Plus indulgemment » = leur attitude n'est pas juste (profitent du marché noir ? Et de la situation) -> Echenoz brosse un tableau apocalyptique Les militaires :« Ce tribunal improvisé » (ligne 49), « Trois hommes, commandant de régiment, sous-lieutenant, adjudant-chef » (point de vue interne), « ces hommes » (ligne 61), « les officiers » (ligne 72). Ils sont désignés par leur fonction. II. Une arrestation arbitraire aux conséquences tragiques à valeur exemplaire Le lecteur découvre en même temps qu'Arcenel en point de vue interne (approche cinématographique) la scène. Première étape, l'arrestation « on lui a demandé » (ligne 1), « On ne lui a même pas demandé », « on lui a lié les mains derrière le dos » = arrestation rapide et arbitraire résumée par trois « on » et négation qui le rendent coupable, c'est une victime dès le début dans ces deux phrases au style indirect. Le point de vue interne (ligne 5 « aimait mieux croiser le regard attentif doux, profond des chevaux que celui des gendarmes ») personnifie et humanise les animaux avec des adjectifs par opposition à l'absence de sentiments des gendarmes. Cela souligne sa peur et son incompréhension. « Les gendarmes, Arcenel aurait dû y penser » (ligne 11) = le conditionnel passé première forme traduit la deuxième réaction d'Arcenel qui est de réfléchir (il a suivi son instinct d'abord, solitude et égarement puis retour à la réalité prise de conscience qu'il est dans l'illégalité : ligne 40 « Déserteur... Sans le savoir, ni le vouloir ») Deuxième étape, l'emprisonnement (ligne 43 à 46 « remise à pompe verrouillée », « sans eau ni pain ») = Inhumanité. Troisième étape, le jugement est traduit par les interrogations d'Arcenel (point de vue interne), ce qu'il voit lui (scène muette)« On a poussé plus qu'introduit... » (ligne 48) = violence, pas de ménagement. -> Les forces en présences sont perçues par Arcenel. Les insignes (ligne 57 à 69) lui permettent de les reconnaître, leur physique (ligne 60 à 61), brève description. « Semblablement gelés » (métaphore de la glace) traduit qu'ils sont tous les mêmes et n'éprouvent pas de sentiments, ils jouent un rôle (« les trois mêmes comédiens » métaphore de la comédie du jugement), cf moustache portée par Charles. Il s'agit d'un simulacre de jugement vu par les yeux du personnage qui va en être victime. Il confond les militaires et le rôle répressif des gendarmes (« paru identiques à ceux de la veille » ligne 62) car il ne comprend plus, les militaires deviennent comme des gendarmes. -> Scène muette « sans rien dire », «  un coup d'oeil de pure forme, un regard échangé entre eux », « les officiers ont voté à mains levées », le jugement est expédié. Il ne peut pas se défendre, pas d'interrogatoire, « sommaire exposé des faits » (ligne 70), les militaires rappellent les faits et on ne lui demande rien même pas de s'expliquer. La sentence est énoncée au style indirect libre « la sentence était applicable... le conseil se refusant le droit de refuser la demande de grâce » (ligne 74 à 77) = pas d'échappatoire, destin inéluctable (commentaire d'auteur ligne 77 qui met en évidence la sidération d'Arcenel qui est témoin de son propre jugement). Quatrième étape, l'exécutionLa scène est vue par Arceline puis entendue « on lui bande les yeux », par lui « il l'a juste entendu crier quatre ordres brefs » (ironie qui nous permet de voir et entendre la scène, pas de sentiment, horreur d'une exécution sommaire, rapidité des actions et indices temporels).« On l'a fait s'agenouiller devant six hommes... » (ligne 84) -> « l' » pronom personnel objet Point de vue interne « Il a identifié deux connaissances » (ligne 87), personne ne vient l'aider, il est seul, déjà mort en tant que déserteur. Honte ou peu de la part des autres. « L'aumônier divisionnaire », « fait son petit travail » (ligne 93) soulignent l'hypocrisie et la critique violente du cautionnement religieux. Puis la fin de l'exécution est prise en charge par le narrateur (ligne 94 à 97, rôle des négations)« De sorte que ce verdict fît méditer la troupe » (ligne 101 à 102). La réalité des exécutions sommaires est dénoncée car elles n'avaient pour but de créer la peur face aux soldats qui voulaient échapper à la guerre en désertant. -> Erreur tragique ici et absurde car Arcenel n'a pas voulu déserter. Il n'a pas pu s'exprimer, juste assister impuissant à son exécution. Echenoz souligne l'absurdité de la guerre. On est ici dans un faux tribunal « improvisé », dont la forme n'est pas respectée. Arcenel sert d'exemple. Conclusion Un texte à forte intensité puisque le personnage assiste, impuissant à sa propre mort, exécuté pour un crime qu'il n'a pas commis. La critique des militaires et de la façon de mener la guerre est virulente. La réflexion sur l'absence d'humanité est traduite par des rôles que chacun joue, le gendarme, le militaire, le prêtre, l'exécuteur. Tout cela nous ramène à la métaphore de l'opéra, du spectacle (page 94) déjà utilisée par Voltaire dans son texte Candide (1759) au XVIIIème siècle au chapitre III (« le théâtre de la guerre ». Arcenel est donc « fusillé » (page 94), comble de la guerre.

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