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Jean PRÉVOST (1901-1944) La technique du point de vue chez Stendhal

Publié le 15/01/2018

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Jean PRÉVOST (1901-1944)

La technique du point

de vue chez Stendhal

Le roman par lettres, le roman rédigé sous forme de mémoires, le roman conté comme par un témoin, résolvent dès le début, une fois pour toutes, par les lois de leur genre, la question de savoir qui raconte, par quels yeux le lecteur est censé voir les événements.

C'est une coutume qui s'est peu à peu établie dans le roman français, de vouloir deux ou trois points de vue sur le même fait. Dans le roman par lettres (comme au théâtre dans les confidences du premier acte), chaque épistolier a sa manière de présenter les événements. L'auteur supposé témoin et racontant comme un témoin, montre devant ces événements la pensée de son héros, mais la corrige de temps à autre par ses propres jugements. Enfin, même dans les Mémoires véritables ou fictifs, nous avons besoin que l'auteur, instruit par les conséquences de ses actes, par la suite de sa vie, et refroidi par l'éloignement du temps, redresse de temps en temps ses anciens jugements ; il oppose sa folie à sa sagesse. Saint Augustin, dans ses Confessions, emploie de manière constante et pathétique ce dédoublement de l'auteur. En France, c'est souvent par l'humour que l'auteur se dédouble lui-même, et nous offre deux vues différentes sur sa propre histoire. De même que les objets ne prennent leur relief que par la vision des deux yeux, ou que les

technique

« ] ean Prév ost mon tagnes creusent leurs perspec tives quand le voy ageur les voit de plusieurs po ints différents , de même un récit, pour ne point paraître inconsist ant, pour arrêter le jugement du lecteur, veut que l'auteur nous présen te, à cha que occa sion grave, deux ou plusieurs points de vue sur la scène et le héros.

C'e st par là que le roman, entre autres caractères propres, diffère du conte.

Le conte est borgne.

Un admirateur de Balzac et de Sten dhal s'étonnera de voir que Flaubert, par exemple , n'in tervient presque jamais, ne présen te les événemen ts que selon les réac tions présentes des personnages.

Ainsi il donne à l'esprit la fati gue, l'éblou issement, la compréhens ion imparfaite que donnen t aux yeux les objets vus de trop près: il fait loucher le jugement du lecteur.

Salamm bô, le chef- d'œuvre du fl.aubert isme sinon de Flaubert , est un conte.

En retour, il n'est pas fa cile de présen ter sur un même fait des jugemen ts multipl es.

On risq ue d'être long, de se répéter.

On risque surtout que ces deux points de vue opposés sur le même fait ne puissent se concilier dans l' esprit du lecteur.

· Da ns cette partie si peu étudiée et si imp ortan te de l'art de racon ter, Le Roug e et le Noir est un chef- d'œuvre qui n'a jamais été surp assé.

Quand Julien est en scène, c'est par ses yeux que nous voyons les évé­ nemen ts : c' est de l'intérieur du héros que nous suivons ses pensées.

Nous venons de voir comment l'auteur nous introdu it pro gressi vement dans l'esprit de son héros.

Les monologues directs n'ont que quelques lignes; la transition est fa ite entre les mono logues et le reste du récit par de brefs discours indirects.

Ce même discou rs indirect sert aussi à nous mener de la pen sée de Julien à celle de l'aute ur.

Ces transiti ons sont si rapides et si bien ménagées que le lecteur ne s'aperç oit pas du changement ; il n'a pas à faire l'effort d'accom ­ moda tion nécess aire dans un roman par lettres pour pa sser d'une lettre à l' aut re.

La netteté reste complète.

Jamais nous ne prenons le point de vue de l' auteur pour celui de Julien.

Quand l'auteur raille ou criti que , nous ne ris quons pas de confond re.

Quand il approu ve, il faut qu'une forme spéciale de style (et pourt ant naturelle) nous sou lève en une ligne bien au-dessus du récit, jusq u'à hauteur de jugement objectif.

Mais il arrive aussi que nous suivions telle scène en nou s trouvant postés à l'in térieur de Madame de Rênal, telle autre à l'in térieur de M.

de Rênal.

Da ns la seconde partie, bien plus audacieuse, il arriv era, au cou rs d'u n dia­ logue, que l'auteur nous montre le dedans des pensées de Julien et le ded ans des pensées de Mathilde (forts différents de leurs paroles) .

Si nous apercevions ces pensées intérieures également bien, nous serions pa rtagés.

Julien sera donc montré plus amplement .

Pou r Ma thilde, la pensée est d'abord conjecturée d'après son attitude -puis elle est éclairée d'un mot plus bref.. »

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