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John SEARLE (1932-) La chambre chinoise

Publié le 19/10/2016

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John SEARLE (1932-)

La chambre chinoise

Même si mes pensées se présentent à mon esprit sous la forme d'un enchaînement de symboles, la pensée a forcément quelque chose en plus, car un enchaînement de symboles abstraits ne ferait pas de sens en soi. Si mes pensées concernent quelque chose, les enchaînements ont forcément une signification qui fait que mes pensées sont à propos de quelque chose. En un mot, l'esprit, en plus de sa syntaxe, a une sémantique. La raison pour laquelle un programme d'ordinateur ne sera jamais pareil à un esprit est tout simplement que le programme est purement syntaxique, tandis que l'esprit a quelque chose de plus. L'esprit est sémantique, au sens où, en plus de sa structure formelle, il a un contenu.

Pour illustrer cette idée, j'ai inventé une expérience de pensée. Imaginons qu'un groupe de programmeurs ait écrit un programme qui permet à un ordinateur de simuler la compréhension du chinois. Alors, si l'on pose à l'ordinateur une question en chinois, celui-ci va la confronter à sa mémoire, ou à sa base de données, et fournir les bonnes réponses en chinois. Supposons qu'en outre ces réponses soient aussi bonnes que celles d'un véritable Chinois. Alors, pourra-t-on dire que l'ordinateur comprend le chinois au sens littéral, comme un Chinois comprend sa langue ? Maintenant, imaginons que nous nous trouvons enfermés dans une pièce où se trouvent plusieurs paniers pleins de symboles chinois. Imaginons qu'aucun de nous ne comprenne un seul mot de chinois, mais que nous ayons chacun un livre en français qui nous dise comment manipuler les symboles chinois. Les règles contenues dans ce livre spécifient de façon purement formelle les manipulations des symboles, en termes de syntaxe, et non de sémantique. L'une des règles dirait : « Prenez un signe chingching dans le panier n° 1, mettez-le à côté d'un signe changchang, à puiser dans le panier n° 2. » Maintenant, supposons qu'on apporte dans la pièce d'autres signes chinois, et que le livre nous donne d'autres règles qui nous disent qu'il nous faut faire sortir certains signes de la pièce. Supposons qu'à notre insu les symboles qu'on a fait pénétrer dans la pièce aient été nommés « questions », et ceux qu'on en a fait sortir « réponses aux questions ». Supposons, pour finir, que les programmeurs aient si bien fait leur travail, et que vous soyez si doué pour manipuler les symboles que vos réponses deviennent impossibles à distinguer de celles que donnerait un Chinois de Chine. Vous voilà enfermé dans votre pièce, à jongler avec vos symboles chinois, à faire sortir des symboles censés répondre à d'autres symboles qui entrent. Dans une telle situation, je vous défie d'apprendre un mot de chinois par la simple manipulation de vos symboles.

Mais voici à quoi je voulais en venir : en exécutant un programme d'ordinateur, du point de vue d'un observateur extérieur, vous vous comportez exactement comme si vous compreniez le chinois, tout en n'en comprenant pas un mot. Or, si ce processus ne suffit pas à vous apprendre le chinois, il n'y a aucune raison pour qu'un ordinateur digital fasse mieux que vous, ceci pour une raison, encore une fois, très simple. Si vous ne comprenez pas le chinois, aucun ordinateur ne le pourra, car aucun ordinateur digital, simplement parce qu'il sait traiter un programme, n'a quoi que ce soit de plus que vous. Il n'a, tout comme vous, qu'un programme formel qui lui permet de manipuler des symboles chinois sans les interpréter. Là encore, un ordinateur a une syntaxe, mais pas de sémantique. Ma parabole chinoise visait à nous rappeler quelque chose que nous savons depuis le début. Pour comprendre un langage, ou tout simplement avoir des états mentaux, il nous faut quelque chose de plus qu'une poignée de symboles formels, à savoir une interprétation, une signification liées à ces symboles. Un ordinateur digital tel que nous l'avons défini, ne peut avoir tout cela puisque ses opérations, comme nous l'avons vu, se définissent en termes de capacité à obéir à des programmes qui eux-mêmes se spécifient de façon purement formelle, sans aucun contenu sémantique.

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