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Kundera et la Psychanalyse

Publié le 22/09/2010

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Dans une entrevue à Christian Salmon, Milan Kundera mentionne que «le romancier n'est ni historien ni prophète : il est explorateur de l'existence « . Dans son roman L’insoutenable légèreté de l’être, Kundera met en relation des personnages complexes et contrastés au travers desquelles nous découvrons les réalités de ceux-ci par l’ensemble de leurs caractères psychiques observables. Le personnage de Tereza propose un ensemble d’éléments qui se retrouvent dans la théorie freudienne, dont l’impossibilité à vivre sans le regard de l’autre, le stade du miroir non dépassé et les pulsions refoulées.

 

 Tereza a constamment besoin du regard du grand Autre, le regard d’une personne extérieur à elle-même. Pour Tereza, Tomas est son seul et unique grand Autre. Lorsque celui-ci se retrouve avec d’autres femmes ou qu’il pense à une autre femme, parce que Tomas à plusieurs maitresse, le regard de Tomas n’est plus tourné avec Tereza, qui elle voudrait toujours être regardé. Tereza voudrait être la seule femme que Tomas regarde, mais celui-ci échappe au désir de Tereza — désir créé de la frustration — puisqu’il regarde d’autres femmes comme Sabina. Par ailleurs, le non-regard de Tomas vers Tereza amène celle-ci à envier et à jalouser les femmes que Tomas fréquente. En éprouvant une jalousie envers toutes les femmes que Tomas rencontre, Tereza agit par une répression de ses sentiments, plus précisément la condensation. Celle-ci par mécanisme de défense en veut à toutes les femmes d’avoir accès à Tomas, alors qu’elle-même ni parvient pas. Elle n’accepte pas d’être séparée de Tomas et condense toute sa tension psychologique provoquée par celui-ci qui l’empêche de satisfaire ses pulsions, dans une jalousie incontrôlée envers les maitresses de Tomas. Cette situation s’apparente également au complexe d’Électre, cependant au lieu d’éprouver un sentiment direct de jalousie envers sa mère, elle éprouve un sentiment généralisé de jalousie en présence des femmes. Lorsqu’elle n’a pas d’Autre qui la regarde, Tereza angoisse. Cette dépendance du regard de l’Autre lui cause le complexe d’infériorité qui l’assujettit malgré elle. Le complexe d’infériorité de Tereza tire sa source non seulement de son problème avec le grand Autre, mais aussi de la relation que celle-ci entretenait avec sa mère. Tereza semble être le  « prolongement de la vie de sa mère « . Mère, à laquelle, elle ne voudrait pas ressembler puisque « ce qui la contrariait parfois c’était de retrouver sur son visage les traits de sa mère « . Le moi idéal de Tereza ne veut pas ressembler à sa mère et quand celle-ci se voit en les traits physiques de sa mère autant qu’en les traits psychologiques, Tereza se sent honteuse. Le sentiment de honte de Tereza place sa mère dans une position de pouvoir par rapport à elle, ce qui la rend inférieure. 

Nous pouvons parallèlement observer l’importance du regard pour Tereza en lien avec le stade du miroir par « ses longs regards répétés devant le miroir « . Le stade du miroir est le stade psychosexuel ou habituellement l’enfant se construit une idée de lui-même en observant son reflet. Elle a constamment besoin de constituer son Moi à travers la découverte du grand Autre ou d’elle-même avec le reflet que lui procure le miroir. L’autre devient donc son double spéculaire. Lorsque Tereza se regardait dans un miroir, «elle tentait de [se] voir à travers son corps. [..] Ce n’était pas la vanité qui l’attirait vers le miroir, mais l’étonnement d’y découvrir son moi. «  Pour Tereza, la découverte de son Moi dans le reflet du miroir n’est pas dépassée, son manque de stabilité psychologique l’empêche d’atteindre son développement complet et c’est ce qui fait d’elle une femme immature. Tant que Tereza va mépriser son corps, qui lui fait penser à sa mère, elle ne pourra pas évoluer pleinement. Contrairement à Sabina, par exemple qui exploite et aime son corps Tereza vit sous le poids de son corps qu’elle exècre. Cette immaturité l’amène à la fixation, c'est-à-dire à l’attachement persistant et intense que Tereza entretient pour Tomas et au souvenir négatif qu’elle garde de sa mère qui l’entraine à la régression. Les fixations de Tereza pour Tomas et sa mère démontrent également son complexe d’infériorité en laissant une trop grande place à ces deux personnes qu’elle d’une certaine manière sacralisé.

Le personnage de Tereza est défini par son Thanatos, c'est-à-dire par ses pulsions de mort ou son énergie négative et autodestructrice. Le Ça est sans doute l’instance de l’appareil psychique la plus forte chez ce personnage, entre autres par les manifestations inconscientes de ces pulsions. Les pulsions de Tereza se manifestent particulièrement sous la forme du  rêve, qui est une source de renseignements éclairant quant aux désirs de Tereza. Tereza a deux personnalités émotives, une qui vit le jour et l’autre qui vit la nuit. Le jour,  malgré sa grande fragilité Tereza reste le plus flegmatique possible. Elle semble calme, même si elle ne l’est pas vraiment. Cependant, la nuit, toutes ses angoisses refoulées du jour surgissent sous la forme du rêve. Les rêves de Tereza « se [répètent] comme des thèmes à variations ou comme les épisodes d’un feuilleton télévisé « . Elle rêve à répétition d’une énorme piscine autour de laquelle des femmes marchaient nue en chantant sous les ordres de Thomas, « quand une femme faisait un faux mouvement, il l’abattait d’un coup de revolver « . Du rêve de Tereza ressort d’abord la conformité qui s’établit entre elle, Tereza, et les autres femmes, par le fait qu’elles sont toutes nues. Pour Tereza, la conformité est un handicap, elle ne veut en rien ressembler aux autres. Le sentiment désagréable que lui a procuré l’uniformité imposée de son rêve provient certainement de sa mère qui disait que son « corps est comme tous les autres corps; tu n’as pas le droit à la pudeur; tu n’as aucune raison de cacher quelque chose qui existe sous une forme identique à des milliards d’exemplaires « . Tereza va même jusqu’à comparer le sentiment d’uniformité à celui que peuvent procurer les camps de concentration.  En plus de ressusciter son passé avec sa mère, Tereza par son rêve tente d’exprimer comment elle se sent par rapport à Tomas qui rencontre d’autres femmes. En allant vivre avec Tomas, elle croyait pouvoir devenir une personne à part entière, unique et inégalable. C’est d’ailleurs, le désir refoulé de son rêve que d’être unique parmi les autres, cependant, Thomas « avait tracé […] un signe d’égalité entre elle et les autres : il les embrassait toutes de la même manière […] ne faisant aucune […] différence entre le corps de Tereza et les autres corps «.  Thomas lui fait donc revivre ce que Tereza vivait dans son enfance et ce qu’elle manifeste par son rêve. Dans un autre rêve que Tereza raconte à Tomas, Tereza démontre à travers ses actions de fortes pulsions de mort.

D’abord, elle commence à raconter son rêve en disant qu’elle était enterrée dans un caveau, ce qui signifie que c’est quelqu’un qui a placé Tereza là, puisqu’un caveau, ça se ferme de l’extérieur. Dans ce rêve, Tereza dit à Thomas : « Je ne vois rien, j’ai des trous à la place des yeux « , alors qu’elle voit celui-ci qu’une fois par semaine. Le fait que celle-ci ait des trous à la place des yeux révèle que Tereza se cache la vérité, un peu comme Œdipe qui s’est crevé les yeux pour ne pas voir la vérité en face. Cette vérité qu’elle se refuse de voir est probablement liée à Tomas qui passe beaucoup plus de temps avec ses maitresses qu’avec elle-même. De plus, comme Tereza a besoin du regard de l’autre pour vivre, celle-ci ne peut que vouloir la mort, lorsque dans son rêve, elle est enfermée dans un caveau avec Tomas qui vient la voir sur des périodes échelonnées de différentes longueurs. 

Autant par ses rêves que dans le regard de l’autre, Tereza n’a pas le contrôle sur elle-même. Cependant, le seul moment ou elle réussit à être le maître d’elle-même, c’est lorsqu’elle à son appareil photo. C’est à ce seul moment qu’elle maîtrise son Moi. Elle jouit du pouvoir que lui procure l’appareil photo. La photographie est en quelque sorte un moyen pour Tereza de sublimer sa haine pour la transformer en passion. À un moment donné, Sabina pose pour Tereza, qui elle est cachée derrière son « œil mécanique « . L’objectif lui permet de se dissimuler, mais son pouvoir est décuplé, puisque l’objectif lui sert « comme une arme « devant la maîtresse de son mari. Autant pour le travail que pour le loisir, les photos prises par Tereza sont les seules manifestations du pouvoir de Tereza par son regard.

En résumé, Tereza ne parvient pas au dépassement de soi en raison de sa trop grande dépendance envers l’Autre, qui est Tomas et de par son immaturité face à son propre corps, qui lui rappelle constamment celui de sa mère. Le seul contrôle qu’elle exerce est celui en possession de son appareil photo qui est l’arme qui lui procure son pouvoir. Tereza pourrait aussi être défini par la lourdeur de son existence dans l’ombre d’autrui et par la non-acceptation des événements qui composent sa vie.

 

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