Devoir de Philosophie

L' Ironie Dans Les Liaisons Dangereuses ( Laclos & Frears )

Publié le 22/09/2010

Extrait du document

liaisons dangereuses

 

1) Quelle est la place de l’ironie dans Les Liaisons dangereuses de Laclos et dans son adaptation par Stephen Frears.

 

Les liaisons dangereuses de Laclos et son adaptation par Stephen Frears mettent en scène deux libertins qui s’emploient à pervertir leurs victimes. Ils comparent souvent leur entreprise à une guerre ou à une partie de chasse. L’ironie est une de leurs armes et l’insigne  par lequel ils se reconnaissent. Nous verrons donc d’abord quel usage Valmont et la marquise de  Merteuil font de l’ironie, puis nous montrerons la place de l’ironie dans la construction du roman et du film.

 

L’ironie est donc d’abord présente dans la relation épistolaire qu’entretiennent Valmont et la marquise de Merteuil. Elle a pour fonction d’établir une connivence dans leurs échanges épistolaires et s’exerce contre leurs victimes puisqu’elle vise à les moquer, à moquer leurs valeurs : elle consiste en un décalage entre la lettre de l’énoncé et son sens, décalage qu’ils peuvent déceler parce qu’ils ont le même code (Ainsi la Merteuil parle-t-elle dans la lettre 20 du « service « qu’elle veut rendre à Gercourt en éduquant Cécile). Ce décalage entre la parole et l’intention est au cœur de l’éthique libertine, ce qui apparaît très nettement a contrario lorsque Merteuil reproche Cécile de dire « tout ce qu’elle pense et rien de ce qu’elle ne pense pas « (lettre 105).

L’ironie dont ils font preuve est une forme d’ironie théâtrale : en effet, ils se conçoivent tous les deux comme des acteurs sur le grand théâtre du monde (la marquise nous apprend dans la lettre 81 comment elle a appris à travailler sa physionomie) et ils se donnent en spectacle l’un à l’autre. La marquise par exemple joint à son récit de l’aventure avec Prévan (lettre 85), la lettre reçue de la Maréchale de*** (affligée du péril devant lequel sa « vertueuse amie « s’est trouvée) pour  faire mesurer à Valmont le décalage entre le sens apparent (pour la bonne société) de l’événement, et son sens véritable. Dans le film de S. Frears, ces effets sont traduits essentiellement par le jeu des acteurs par les regards qu’échangent Valmont et Merteuil incarnés par Michele Pfeiffer et John Malkovith mais aussi par les regards caméra par lesquels ils cherchent la connivence du spectateur. Leurs jeux de physionomie, très subtils et mis en valeurs par les très gros plans, témoigne de leur double jeu. 

Il faut observer que l’ironie dont savent faire preuve les deux libertins s’exerce de plus en plus, au fur et à mesure qu’avance le roman, à leur encontre. Dès lors que la guerre se prépare entre eux, ils deviennent à la fois les destinataires et les victimes de leur ironie,  dans ce qui apparaît comme une sorte de combat des chefs : Merteuil raille le sentiment amoureux que Valmont dévoile à l’égard de la présidente de Tourvel, mouche sa volonté de la posséder (« j’ai pu avoir quelquefois la prétention de remplacer tout un sérail ; mais il ne m’a jamais convenu d’en faire partie. Je croyais que vous saviez cela «, lettre 127) et Valmont raille le goût que la marquise de Merteuil commence à prendre pour le chevalier Danceny.

 

Mais la construction du roman donne au lecteur tout sa place dans la communication ironique qui s’institue : le lecteur, plus encore que les deux libertins, dans la mesure où il lit toutes les lettres qui s’échangent, est celui qui décode le mieux les effets d’ironie. Il est de ce point de vue dans une parfaite connivence avec les deux libertins, ainsi qu’avec le « rédacteur « du roman. A la lecture de la lettre 48, écrite sur la croupe d’Emilie, le lecteur décèle parfaitement le double sens des paroles de Valmont puisque Laclos a pris soin de placer avant la lettre adressée à la marquise de Merteuil (lettre 47) dans laquelle il raconte sa nuit et les circonstances de l’écriture de la lettre suivante. 

Bien souvent, et c’est particulièrement vrai à la fin du roman, l’ironie ne passe pas par le discours des libertins mais par la seule construction du roman et des « répliques « que constituent les lettres : c’est la raison pour laquelle on peut parler d’ironie dramatique : ainsi la lettre dans laquelle Madame de Rosemonde félicite la présidente de Tourvel d’avoir converti son neveu (lettre 126) vient-elle juste après le cri de victoire de Valmont qui a enfin fait céder la vertu de sa victime (lettre 125). Des effets d’ironie comparables, c’est à dire ménagés par le réalisateur, sont notables dans le film. Bien souvent en effet le texte d’une lettre est entendu en voix off par le spectateur tandis que l’image montre autre chose ou montre la réalité. L’effet est sensible dans la mise en scène de la lettre 48 : la voix off dit le texte de la lettre de Valmont tandis qu’un montage alterné présente tantôt les images de la nuit de Valmont avec Emilie, tantôt le visage angélique  et paisible de La Présidente, éclairé au contraire dans la lumière du jour, et dont l’air paisible montre à quel point elle se méprend sur le sens des paroles de Valmont.

Il faut enfin observer l’ironie présente dans les différentes formulations du sens du roman. La leçon du roman telle que l’énoncent Madame de Rosemonde ou Madame de Volanges (« Si on était éclairé sur son véritable bonheur, on ne le chercherait jamais hors des bornes prescrites par les lois et la religion « ) est parfaitement morale mais un certain nombre d’éléments empêchent un peu de la prendre au pied de la lettre : en effet le lecteur a trop été en situation de connivence avec les libertins, et y a pris trop de plaisir, pour se reposer finalement sur la satisfaction de les voir punis (notons d’ailleurs que Stephen Frears atténue le châtiment de la marquise de Merteuil puisqu’il ne dit rien de la petite vérole dont le roman la rend victime et rien non plus d’un exil en Hollande). 

Mais le lecteur se demande aussi s’il faut voir dans la peinture de cette aristocratie libertine un reflet de la société du 18ème siècle et de ce point de vue « l’éditeur « et le « lecteur « s’emploient à brouiller les pistes, à distiller des suppositions contradictoires et par conséquent pleines de sous-entendus. Tandis que le rédacteur affirme l’authenticité des lettres, l’éditeur les met en doute, affirmant que des mœurs aussi dégradés ne peuvent pas être observés dans une société des Lumières, laissant ainsi entendre que la vertu y régnerait. Mais de manière très facétieuse, il ajoute que la meilleure preuve de ce qu’il avance est qu’on ne verrait pas une présidente mourir de chagrin et une jeune fille déflorée avant son mariage rentrer dans un couvent : le lecteur comprend en réalité que si cet ensemble de lettres n’est pas à l’image de la réalité, c’est qu’il en donne une image encore trop idéale et que la société réelle est bien pire que l’image qu’en donne ses lettres.

 

L’ironie est donc au cœur de l’œuvre de Laclos, au cœur de sa construction, au cœur du discours des personnages, et au cœur de la vision du monde qui s’y énonce. C’est d’ailleurs ce qui fait le sens de ce roman  si incertain : le lecteur est à la fois complice de tous ces jeux de rôle, de tous ces faux semblants et étourdi par eux.

 

Liens utiles