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La fonction de déplacement dans les contes de Perreault et de Grimm

Publié le 24/09/2010

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Dans les deux contes, le déplacement initial est volontaire dans le sens où les héros suivent leurs parents de bon gré, malgré le fait qu'ils soient au courant de leurs projets funestes. Comme bien des enfants, il ne leur viendrait pas à l'esprit de désobéir. Bien sûr, le déplacement est aussi involontaire car ils ne désirent pas être abandonnés et c'est pourquoi ils inventent un moyen de retrouver leur chemin. D'ailleurs, lorsque les héros sortent au petit matin pour ramasser des cailloux, ils ne rencontrent aucun obstacle, ils sont libres d'évoluer dans leur univers, la maison, qui est leur sécurité. Cette partie des deux contes est la moins effrayante car le lecteur sait que les héros rentreront chez eux. 

La forêt, lors de ce premier périple est un endroit familier, on suppose que ce n'est pas la première fois que les enfants vont aux bois avec leurs parents. Le lecteur, quant à lui, est bien au chaud dans sa maison et comprend donc qu'il s'agit ici d'une symbolique¹, semblable au périple de Caillou qui, échappant à la surveillance de sa mère, ira faire un tour du pâté de maison. C'est le voyage de l'imaginaire qu'il entreprend.

 

Mais la fois suivante, non seulement est-il impossible aux héros de circuler librement chez eux pour aller chercher des cailloux - l'inutilité du déplacement annonce ici l'échec de leur prochaine tentative de rentrer à la maison facilement- mais encore sont-ils floués de façon bien plus cruelle puisqu'on les perd encore plus profondément dans la forêt.  Cette fois-ci, l'espace n'est pas aussi accueillant  pour le Petit Poucet et ses frères quand leurs parents ''..les menèrent dans l'endroit de la Forêt le plus épais et le plus obscur…'' ni pour Hansel et Grethel , qui se retrouvent ''au fin fond de la forêt, plus loin qu'ils n'étaient jamais allés.'' Parce que le stratagème des miettes de pain n'a pas fonctionné, et que par conséquent, tous liens avec les parents sont coupés, les enfants ne font que s'enfoncer de plus en plus loin dans la forêt. Le déplacement devient alors inutile et épuisant. Les enfants ne rencontrent  que des embûches et sont au bord du désespoir. Est-ce là, pour le lecteur, la réalisation du fantasme de l'autonomie, avec la peur qu'elle comporte, celle de ne pas y arriver seul ?

 

C'est alors qu'une lueur d'espoir se présente à Hansel et Grethel sous la forme d'un oiseau blanc comme neige, et au Petit Poucet, sous celle d'une ''petite lueur comme une chandelle.'' Cette impression d'être sorti du bois se révelera fausse, bien entendu. Le jeune lecteur y percevra peut-être cet étranger auquel on ne doit se fier, cet inconnu attirant mais ô combien trompeur et dangeureux. Bien qu'ils suivent cette piste de façon volontaire, le lecteur agréera que les personnages n'ont guère le choix. Même si ce choix s'avère mauvais, il est préférable à celui, inévitable, de mourir de faim dans la forêt ou d'être dévoré par les loups. Dans le Petit Poucet cependant, le héros dut grimper au sommet d'un arbre pour apercevoir la lueur, ce qui lui donne un peu plus de mérite qu'Hansel et Grethel, qui eux erront pendant trois jours avant de découvrir l'oiseau. Suivre une lueur qui disparaît fréquemment, dû à la géographie du terrain, est plus difficile que de suivre un petit oiseau blanc qui nous montre le chemin. Le Petit Poucet agit sur son propre sort d'une façon plus consciente que les héros du conte des frères Grimm dans cette partie de l'histoire. Il n'est pas guidé par l'espace mais s'en inspire. Son voyage est donc plus profitable puisque ce sont ses efforts qui sont récompensés. Peut-être est-ce la raison qui le poussera à être de plus en plus audacieux tout au long du récit.

 

À partir du moment où les enfants trouvent refuge, les contes diffèrent: le Petit Poucet et ses frères savent très bien qu'ils pénètrent dans l'antre d'un être malfaisant alors qu'Hansel et Grethel se font bêtement avoir parce qu'ils tombent dans un piège, un peu gros d'ailleurs. Alors qu'ils auraient dû se méfier, ils reviennent à leurs habitudes d'enfant et font fi de toute prudence. Le Petit Poucet ne passera qu'une nuit dans la maison de l'ogre, et saura  bien la mettre à profit. Encore là, c'est du à la prévoyance du  héros que lui et ses frères ne se font pas manger. Il faudra quatre semaines à Hansel et Grethel pour se libérer de leur prison. Le geste de Grethel qui l'amène à pousser la sorcière dans le four est astucieux mais à peine prémédité; disons plutôt qu'elle a sauté sur l'occasion. Contrairement au changement de coiffe opéré par le Petit Poucet, son geste est irréfléchi et spontané. 

 

Après s'être débarrassé de la vieille sorcière, les enfants entrent sans peur dans la maison de pain d'épice. Le merveilleux fait en sorte qu'ils y trouvent un trésor. Le lecteur y verra-t-il la dualité que la vie présente? Qu'on peut retirer du bien d'une situation mauvaise au départ? Ils n'y trainent pas trop longtemps quand même et  se dépêchent de fuir cette ''forêt ensorcelée''. C'est encore un oiseau ( l'oiseau, parfaite métaphore du voyage, se trouvant d'ailleurs à profusion dans les deux contes²) qui les aidera à traverser. 

Cette traversée est importante pour les héros. Tout au long du conte, Hansel et Grethel ont toujours pu compter l'un sur l'autre, mais ils se doivent ici de traverser tour à tour. On peut supposer qu'il s'agit là de la métaphore d'une indépendance nouvellement acquise³. Après avoir enduré toutes ces épreuves, c'est là le test ultime.

C'est sur l'autre berge que la forêt redevient plus famillière aux deux héros. On sait d'ores et déjà que le ruisseau est la limite du fantastique, que l'aventure est terminée et qu'il ne reste que les honneurs à recevoir. La traversée les ramène dans le monde usuel. Ce qui n'est pas le cas chez Grimm. En effet, le Petit Poucet semble mieux conserver son titre de héros du fait qu'il ne retourne pas à sa situation initiale. Il devient le pourvoyeur de la famille. Alors qu'Hansel et Grethel, bien qu'ils rapportent avec eux un trésor, retrouvent avec bonheur le rôle d'enfants qui est le leur, en sautant au cou de leur père.                 

 

Quand le Petit Poucet et ses frères quittèrent la maison de l'ogre, '' ils coururent presque toute la nuit, toujours en tremblant et sans savoir où ils allaient.'' Une autre épreuve les attend puisque l'endroit choisi pour ce cacher est précisément celui où l'ogre décide de s'asseoir. Encore là, le Petit Poucet renverse la situation, cet endroit est tour à tour un refuge et une mauvaise cachette pour les enfants, puis un moment de faiblesse pour l'ogre.C'est également un point tournant pour le Petit Poucet puisqu'il renvoie alors ses frères et continue l'aventure seul. C'est d'ailleurs sans hésitation aucune qu'il dépouille le méchant de ses bottes et se rend tout droit à la maison de ce dernier. Ces bottes permettant au Petit Poucet de voyager bien plus vite, sa petitesse n'est alors plus du tout un désavantage. Les bottes lui permettent de rentrer chez lui couvert de richesses et feront de lui un grand voyageur, puisqu'il deviendra  courrier pour le roi et de riches dames.  Le merveilleux est d'autant plus ''crédible'' qu'il ne résout pas le conte en lui-même. Le Petit Poucet aurait très bien pu se sauver avec ses frères, mais il reste et risque sa chance. Il n'est dès lors plus l'enfant qui subit mais celui qui agit. Les voyages accomplis à l'aide des bottes font du héros un superhéros.

 

Bibliographie

 

Bettleheim, Bruno. 1976 Psychanalyse des contes de fées, Éditions Robert Laffont 

¹ p.86

² p.210

³ p.211

 

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