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LA FRANCE EST-ELLE UN ETAT DE DROIT ?

Publié le 17/01/2011

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droit

La notion d’Etat de droit rappelle les liens qui unissent l’Etat et le droit. L’Etat appelle le droit puisque la puissance de l’Etat s’exprime par la norme juridique et passe par l’édiction de normes obligatoires s’imposant aux administrés. Toutefois, si l’Etat dispose de la souveraineté, du pouvoir de domination ce pouvoir ne saurait être absolu et arbitraire car l’Etat est tenu par les règles qu’il édicte tant qu’il ne les a pas abrogées. 

Le concept d’Etat de droit apparaît au 19ème siècle dans la doctrine juridique allemande (Jellinek/ H. Kelsen) qui privilégie une conception purement formelle en s’appuyant sur la hiérarchie des normes (chaque norme doit être conforme à la norme qui lui est immédiatement supérieure et une norme ne peut être prise que sur la base d’une norme autorisant son édiction)  et suppose une forme d’auto limitation du pouvoir étatique qui accepte de se conformer au droit qu’il édicte. Toutefois, cette conception formelle tend à faire l’impasse sur les valeurs sur lesquelles les normes doivent reposer dans une démocratie libérale. 

Cette notion permet également de décrire et d’analyser une certaine forme d’Etat qui apparaît progressivement en Europe dès la fin du Moyen-âge et qui tend à se démarquer du despotisme et de la tyrannie et dans laquelle la puissance royale, loin d’être sans borne serait assujettie à la loi. Cette volonté de limiter le pouvoir absolu et l’arbitraire conduira progressivement à la mise en place de la séparation des pouvoirs et à l’émergence de chartes protectrices des droits et libertés des individus (Magna Carta en 1215, Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789). Elle rappelle également que la finalité de l’institution étatique est d’assurer aux citoyens, sécurité et protection.

En France, la notion d’Etat de droit à longtemps été assimilée au principe de légalité qui est la traduction logique de la théorie de l’Etat-Nation et de la suprématie de la loi posée par la Révolution. Or, l’Etat de droit suppose le respect de la hiérarchie des normes. Si depuis la Révolution française de nombreuses constitutions se sont succédées, la conception rousseauiste de la loi a conduit à la suprématie de loi sur toute autre norme, laissant de côté la Constitution. Cette suprématie de la loi a entraîné de facto la suprématie du pouvoir législatif sur les autres créant ainsi un déséquilibre des pouvoirs.

La France, avec ses nombreuses constitutions et ses variations de régimes politiques peut-elle être considérée comme un Etat de droit au sens formel (respect de la hiérarchie des normes) et matériel (édiction de normes porteuses des valeurs des démocraties libérales) du terme ?

Nous verrons que si la France peut aujourd’hui être considérée comme un Etat de droit, cela n’a été possible qu’au terme d’une longue période de tâtonnements, qui s’est traduite par sa soumission progressive à un ordre juridique hiérarchisé (I) mais surtout par la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité des lois et une protection des droits et libertés (II)

 

   I- Une soumission progressive de la France à un ordre juridique hiérarchisé

Si le pouvoir royal a pu être considéré à certaines époques comme un pouvoir absolu, il rencontrait cependant certaines limites avec les lois fondamentales du royaume et les coutumes, les franchises et les privilèges des divers ordres ou villes du royaume. Mais ce n’est qu’à partir de la Révolution française que tout va être remis à plat sur la base du concept de l’Etat-Nation. 

Les révolutionnaires vont mettre en place un ordre juridique hiérarchisé, intégrant les diverses productions normatives en un ensemble cohérent et hiérarchisé (A). Toutefois, la volonté de neutraliser le pouvoir royal (exécutif) et la peur du gouvernement du juge entraînera la toute puissance du pouvoir législatif au détriment des deux autres pouvoirs et un refus systématique de mettre en place en contrôle des lois (B).

   A- L’œuvre révolutionnaire pour du pouvoir au respect du droit

- droit édicté doit être clair, stable, valable seulement pour l’avenir (pas de lois rétroactives), égalité de tous devant la loi

- volonté des révolutionnaires de mettre en place un système normatif cohérent et hiérarchisé :

- les droits inaliénables et sacrés de l’Homme que l’Assemblée Nationale reconnaît (DDHC de 1789) =>loi fondamentale à portée universelle

- la Constitution qui a pour objet d’assurer la garantie de ces droits (qu’elle transforme en droits civils) et de réaliser la séparation des pouvoirs (art. 16 DDHC)

- la loi qui ne saurait porter atteinte et mettre obstacle à l’exercice des droits naturels et civils garantis par la Constitution

- les actes de l’exécutif chargés d’assurer la promulgation et l’exécution des lois 

- administration (ne dispose d’aucun mandat de représentation) ne peut que faire appliquer les lois

- les juges (ne disposent d’aucun mandat de représentation) ne peuvent ni s’immiscer dans l’exercice du pouvoir législatif ni suspendre l’exécution des lois.

Cette hiérarchie des normes ne sera que partiellement respectée dans la mesure où les révolutionnaires n’ont prévu aucun mécanismes de contrôle.

   B- Les limites de l’Etat de droit face à la toute puissance du pouvoir législatif

- La volonté de neutraliser le pouvoir exécutif (ancien pouvoir royal) et le mythe rousseauiste de la loi qui ne peut mal faire (elle est l’expression de la volonté générale) va cependant mettre à mal cette organisation dès lors que les  révolutionnaires n’ont pas prévu de mécanismes juridictionnels chargés de faire respecter cette hiérarchie des normes.

- la primauté du pouvoir législatif est basée sur l’assimilation de la loi à la Nation : la loi est considérée comme l’expression de la volonté générale (alors même que le suffrage n’est pas universel et que le mandat des représentants n’est pas impératif mais représentatif) et ne peut mal faire => rien ne peut être au dessus d’elle, elle n’a pas à être contrôlée car cela reviendrait à contrôler la Nation.

- la hiérarchie des normes sera interprétée comme la simple prééminence de la loi et assimilée au principe de légalité (vérification de la validité des toutes les normes par rapport à la loi) ce qui revient à nier toute valeur juridique à la Constitution et aux droits fondamentaux.

- mise en place du Conseil d’Etat en l’an VIII => soumission de l’administration au respect de la loi par un contrôle juridictionnel ouvert aux particuliers.

- accès des citoyens au droit et principe d’égalité de devant la loi 

Si les révolutionnaires et leurs successeurs sont parvenus à imposer un début de hiérarchisations des normes et à stabiliser les normes juridiques, cette construction reste imparfaite tant qu’elle nie la valeur juridique de la Constitution et des droits fondamentaux qui y sont attachés. 

 

   II- La consécration de l’Etat de droit par la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité des lois et la protection des droits et libertés

La consécration de l’Etat de droit passe par le respect de la hiérarchie des normes mais aussi par  la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité des lois (A) et la soumission des différentes normes au respect des droits et libertés fondamentaux (B)

   A- La mise en place d’un véritable contrôle de constitutionnalité

- tentative avortée avec le Comité constitutionnel sous la IVème République

- Conseil constitutionnel sous la Vème République (art. 61 et suivants de la Constitution) : mise en place d’un contrôle effectif de la constitutionnalité des lois. Toutefois, ce contrôle reste limité pour plusieurs raisons :

- Conseil est surtout mis en place pour protéger le domaine de l’exécutif contre le législatif (on l’a qualifié de cerbère ou de chien de garde de l’exécutif)

- le contrôle des lois organiques est automatique tandis que le contrôle des lois ordinaires n’est que facultatif et le Conseil ne peut s’auto saisir.

- les personnes pouvant saisir le conseil sont limitées, il faudra attendre la réforme de 1974 et l’ouverture de la saisine à 60 députés ou 60 sénateurs pour que l’opposition puisse y avoir accès et la réforme de 2009 avec la question prioritaire de constitutionnalité pour que les justiciables puisse y avoir accès au cours d’un procès.

 

   B- La consécration de l’Etat de droit par l’extension du bloc de constitutionnalité et la référence au préambule de la constitution 

- Au début, le contrôle de constitutionnalité ne porte que sur les articles numérotés de la Constitution qui portent essentiellement sur la définition des pouvoirs, leur organisation et les rapports qu’ils entretiennent. On a longtemps considéré que le préambule de la constitution était relevait plutôt de la déclaration d’intention et que les références qui s’y trouvaient étaient très générales.

- décision du 16 juillet 1971 du Conseil constitutionnel  (DC 71-44 dite « liberté d’association «) amorce une nouvelle ère du contrôle de constitutionnalité : 

=> La décision Liberté d'association donne une valeur constitutionnelle à des déclarations de reconnaissances de principes, et refuse ainsi de se cantonner à la simple régulation des conflits entre Gouvernement et Parlement. 

=> Ensuite, le Conseil Constitutionnel prend une nouvelle place de défenseur des droits fondamentaux des citoyens, et n'est plus réductible à une « arme pointée contre le Parlement «, ou un « chien de garde de l'exécutif «.

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