Devoir de Philosophie

La part de l'imaginaire

Publié le 22/02/2012

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À première vue, rien ne prédispose à une affinité entre la littérature et la technique. Bien des romantiques du siècle dernier, de Vigny à Baudelaire, ont opposé la spiritualité de l'art à la trivialité de l'industrie ; les pragmatiques, dont la philosophie a accompagné les révolutions industrielles, se gaussaient des jeux de langage. Antithèses faciles que renforce un ensemble solide de préjugés scolaires. Pourtant, Diderot et Queneau ont dirigé une encyclopédie ; le romancier Édouard Estaunié a pensé les télécommunications et le poète Charles Cros a imaginé le phonographe ; Blaise Cendrars était fasciné par les trains express et Marcel Proust par le téléphone ; le fantaisiste Boris Vian était ingénieur, et le facétieux Georges Pérec, documentaliste au CNRS. Certes, la technique est totalement absente de grandes oeuvres littéraires. Mais cela ne doit pas nous faire oublier les riches et complexes relations qui unissent la création littéraire et l'invention technique. La technique est déjà omniprésente dans la mythologie grecque, où elle apparaît surtout comme « thaumaturgie » (art de fabriquer des prodiges). Prométhée domestique le feu, Héphaïstos à des servantes artificielles, Dédale s'approprie le vol, Thésée télécommunique en binaire (voile noire/voile blanche). Mais ce sont des histoires d'échec et de punition. Car, pour les Grecs, la prouesse est guettée par la démesure, puisqu'elle arrache l'homme à sa condition. C'est la littérature postérieure à l'âge classique qui prend vraiment en compte l'histoire du changement technique et s'interroge sur ses ressorts. Dès la Renaissance, époque où rayonne en la personne de Léonard de Vinci la double invention artistique et technique, se développe une production littéraire considérable et mal connue, qui triomphera à la fin du XIXe siècle sous le nom de « vulgarisation ». Cette science écrite se veut parfois désintéressée, comme l'« astronomie populaire » qui prétend élever l'âme d'un peuple matérialiste. Mais, en regard de cet idéalisme radical, il y a un puissant courant vulgarisateur des techniques. On s'y consacre à l'explication des applications électriques, du télégraphe, des canaux, on s'y intéresse à la lutte des avionneurs et des ballonneurs, avant de se passionner pour la conquête spatiale. La science, synonyme d'invention, est mère de conquêtes. Yves Jeanneret, Revue Sciences Humaines nº 59, mars 1996.

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